Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°175

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Par Guillaume Lohest,

rédacteur pour Nature & Progrès

Planter des arbres peut apparaître comme un geste romantique. En réalité, l’immense majorité des plantations d’arbres se fait aujourd’hui dans le cadre de ce qui s’appelle « l’exploitation forestière ». La forêt, qu’on le regrette ou non, est une industrie, un secteur économique.

Le bois, un matériau omniprésent dans notre environnement

 

Vous qui lisez ces pages, comme moi qui les écris, sommes sans doute attristés par cette vision désenchantée et réductrice de la forêt. Nous devons toutefois faire preuve de lucidité. Nos modes de vie ne sont-ils pas complices ? Un petit exercice nous aidera à y voir plus clair. Prenons une minute pour énumérer tout ce qui, dans notre quotidien, est issu de « l’exploitation forestière ».

Où est le bois dans nos vies ?

Dans la maison, il est présent sous nos pieds avec les parquets, autour de nous dans les meubles – armoires, étagères, tables, chaises – ou encore dans les portes, fenêtres et escaliers. Il structure aussi l’habitat lui-même : ossatures, poutres, charpentes ou isolants à base de fibres de bois se répandent dans la construction. Il s’invite à table sous forme de planches, de cuillères ou de cure-dents. Dans nos bureaux et nos sacs, on le retrouve transformé en papier : journaux, livres, enveloppes, cahiers, cartons d’emballage, mouchoirs et rouleaux de papier toilette. Il chauffe encore bon nombre de foyers belges, sous forme de bûches, de pellets ou de plaquettes. Il façonne aussi les crayons que nous utilisons, les pinceaux, les manches d’outils, les jeux d’enfants, les instruments de musique ou les objets artisanaux. Le bois est dans les caisses de fruits du marché, dans les palettes qui transportent les produits, dans les clôtures de jardin, et même dans certains textiles, issus de fibres de cellulose.

Il est matériau, énergie, contenant, support, objet. Invisible parce qu’évident, il témoigne de notre profonde dépendance à l’arbre.

Aimer la forêt ne peut donc pas se limiter au sentiment que l’on éprouve quand on s’y promène. C’est aussi un acte, qui exige un regard critique sur nos modes de consommation, nos imaginaires et, surtout, sur les politiques menées dans notre pays et dans le monde entier – puisque, ne soyons pas hypocrites, certains de nos meubles ont une provenance, disons, scandinave, et de nombreux autres objets que nous utilisons sont issus de bois d’importation.

« Durable », nous dit-on

Tiens, en parlant de politique, il est coutumier d’entendre dire, et cela nous rassure, que la forêt wallonne est gérée de manière durable. Qu’entend-on par là ? Un premier élément que les acteurs de la filière bois mettent en avant, c’est que « la superficie des forêts belges ne cesse d’augmenter : 435.000 hectares en 1866, 618.000 hectares en 1970 et 692.916 hectares en 2000, soit près de 60 % d’accroissement en 140 ans. Les forêts représentaient 21 % du territoire belge en 2020[i]. Pour la Wallonie, c’est même 33 %. La FEBHEL – fédération des entreprises de la filière bois-énergie – insiste aussi sur le fait qu’il ne faut pas confondre exploitation forestière et déforestation. « La déforestation consiste à remplacer une surface forestière par un environnement non-forestier tandis que l’exploitation forestière consiste à récolter du bois avant de renouveler la ressource. Cela est encouragé par les certifications (telles que PEFC et FSC) qui promeuvent une gestion durable des forêts, facilement reconnaissables par leur logo respectif. Avec une gestion durable des forêts, aucune pénurie n’est à craindre pour les consommateurs de bois-énergie. »

Tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? En juin 2023, pourtant, Natagora et Canopea ont décidé de se retirer du programme de gestion du label PEFC, le plus utilisé en Wallonie. Leurs arguments ? Le long processus de révision de la certification PEFC, dans le but d’inciter les propriétaires privés à rejoindre le label, a réduit les ambitions environnementales au strict minimum légal et a manqué de transparence. Les associations invitent alors à un changement de regard. « Plutôt que de percevoir les améliorations environnementales comme des menaces pour la rentabilité du secteur forestier, le PEFC devrait y voir des opportunités que les générations futures lui sauront gré d’avoir pu saisir. »[ii]

La résilience des forêts wallonnes

Dans le même temps, un processus plus général était en cours : les Assises de la forêt. Initiées en février 2022, elles ont abouti en mars 2023 sur 74 résolutions et, un an plus tard, sur une « Stratégie forestière régionale » de 75 pages. Fruit de plus de soixante réunions avec tous les acteurs concernés – experts universitaires, administration, propriétaires, gestionnaires, filière bois, chasseurs, associations, tourisme, etc. –, cette stratégie repose sur cinq axes tentant de tenir compte de préoccupations diverses, de la biodiversité à la production de bois, en passant par la recherche et le rôle social et récréatif de la forêt. Une stratégie qui ferait donc globalement consensus, dans un contexte de vulnérabilité face au dérèglement climatique que plus aucun acteur ne conteste. Augmenter la résilience des forêts est donc un maître-mot de cette stratégie, ce qui devrait passer par une protection accrue des forêts dites « anciennes » (âgées de plus de 250 ans). La diversité en essences feuillues y est plus importante. Par conséquent, si le chêne périclite, il y aura encore du hêtre, de l’érable ou du bouleau. Dans les monocultures, évidemment, c’est différent. Quand les scolytes arrivent sur les épicéas, ils attaquent toute la parcelle d’un coup. Deuxième point : dans les forêts anciennes, les racines des arbres ont toujours été présentes dans le sol. Leurs systèmes racinaires ont déjà fouillé le sol et le sous-sol du mieux qu’ils pouvaient pour aller chercher profondément de l’eau mais aussi les ressources en nutriments[iii].

La conscience tranquille ?

On ne peut que se réjouir de cette relative convergence de vues autour d’une stratégie commune de la part d’acteurs dont les objectifs peuvent être opposés. Mais cela vaut pour la Wallonie. À l’échelle du monde, qui nous concerne tout autant, la joie est-elle de mise ?

Il paraît que la déforestation « ralentit ». Doux euphémisme qui signifie qu’elle se poursuit : on déforeste moins vite.

L’évaluation des ressources forestières mondiales 2020 de la FAO estime que 420 millions d’hectares de forêt ont été déboisés (affectés à d’autres utilisations) entre 1990 et 2020, soit, l’équivalent de la superficie de l’Union Européenne[iv]. À quoi il faut ajouter la dégradation des forêts, plus difficile à quantifier, mais bien réelle. 

Certes, c’est l’agriculture intensive qui est la première cause de déforestation. Mais l’exploitation industrielle de bois n’est pas en reste. Ainsi, même si soutenir des fermes biologiques et autonomes est un geste en faveur des forêts – une grande partie de la déforestation servant à la cultiver un soja qui nourrit le bétail de la majorité des exploitations intensives -, cette démarche ne suffit pas. Et notre papier ? Et nos « essuie-tout » ? Et notre papier-toilette ? Et nos meubles scandinaves ? Impossible de dresser un bilan complet de toute l’économie du bois ici, mais il faudra le faire. Le but n’est pas de faire reposer sur nos épaules de consommateurs l’ampleur du désastre, mais d’augmenter notre conscience critique et notre volonté d’agir collectivement pour que les lois changent et que l’économie perde son pouvoir de nuisance.

 

REFERENCES

[i] « Bois-énergie et forêt », https://www.febhel.be.

[ii] Corentin Roland. « Canopea et Natagora se retirent du label de gestion forestière durable PEFC », www.canopea.be, 6 juin 2023.

[iii] Estelle Spoto. Les bienfaits des forêts anciennes en Wallonie : « Un arbre, c’est un investissement sur plusieurs décennies », Le Vif, 10 juillet 2024.

[iv] FAO. 2022. La situation des forêts du monde. https://www.fao.org.

 

 

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