Holà, calme-toi, vieil agité pas encore vacciné. Tout n’est quand même pas allé de travers, depuis un an… Leur priorité, à nos gouvernants, c’est de revenir à la normale, en « présentiel », dans l’enseignement. Ils ont raison, non ? Bien sûr que oui qu’ils ont raison. Mais cela ne pourra s’appuyer que sur un dépistage massif et régulier, et sur la mise à l’écart immédiate de tout individu testé positif. Exactement ce qu’il eut fallu faire, à l’échelle de la population entière, dès le début de la menace. Défaut de prévoyance ? Encore une bonne chose à méditer pour les pandémies du futur…
Qui se soucie de nous ?
Donner la priorité au retour à l’école est évidemment une première réponse à la crise mentale qui secoue l’ensemble de la population. Mais, quelles que soient les compétences et les motivations de nos enseignants, se contenter d’un simple retour au business as usual sera largement insuffisant. Ceux qui étudient sont en souffrance, ils sont en demande. Qu’ils expriment leur détresse avec plus ou moins de force, il faudra leur expliquer pourquoi nous sommes si cupides, si égoïstes, si « court-termistes », si peu soucieux du destin de la planète… Ben oui, nous y voilà. Il est heureux qu’un « banc d’essai » au traitement de la grande crise climatique – là où se concentre aujourd’hui toute cette grande inquiétude « post-moderne » dont nous parlions – ait été fourni par une pandémie que la majeure partie de la population hésite encore à qualifier de crise écologique. Pour l’heure, il faut, dans l’urgence, faire le tri avec les chers gamins : au fond, qu’est-ce qui est un gros souci, et puis qu’est-ce qui n’a pas été si mal que cela ? De quoi souffrons-nous vraiment ? Ici et maintenant.
D’abord, nous avons tous peur de mourir. Autant le dire clair et net. Ce foutu machin, et tous les experts qui nous en causent d’une manière si docte et inspirée, nous ont fichu une pétoche infernale. Et personne n’est là pour dédramatiser tout cela, personne pour relativiser, personne pour en rigoler, même si ce n’est évidemment pas drôle. Bref, rien de tout ce qu’on appelle ordinairement la « culture ». Des médias, bien sûr, qui radotent et qui repassent leurs vieux plats pourris aux heures de grande écoute – puis qui se prennent la tête quand plus personne n’écoute -, des « réseaux sociaux » aussi, en pagaille, où le tout-venant déverse sans limite raisonnable son angoisse et sa bêtise. Et puis, des prophètes délirants, comme s’il en pleuvait, et du simplisme prêt-à-consommer pour qui le monde n’est que haine et opportunisme… Oublions-les. Tout cela peut amuser un temps mais, au bout d’une longue année d’ennui et d’ennuis, nombreux sont ceux font le choix, plus ou moins définitif, de « tourner le bouton », la tête en plein micmac… Il y a les bons livres aussi, heureusement, mais tout le monde n’aime pas cela… Alors trop souvent, nous restons là, face à nous-mêmes, à ruminer comme de vieilles vaches à l’étable. Trop seuls face à la peur qu’on nous a faite… Pourquoi ?
Ici se confondent deux notions pourtant très différentes – ou qu’on nous a sans doute volontairement « permis » de confondre – : le confinement et l’isolement. Le confinement est un enfermement, le plus souvent consenti pour une raison de force majeure, qui vise à protéger l’individu du monde extérieur et de ce qui s’y passe. L’isolement est une mise à l’écart, indispensable d’un point de vue sanitaire, parce que cette même personne représente un danger pour ses congénères du monde extérieur. L’isolement bien sûr n’est pas l’emprisonnement qui est une peine à purger ; quant à la quarantaine, c’est évidemment un isolement, et pas un confinement… Ce que nous imposèrent les circonstances, dans le cas de la réponse sanitaire apportée à Sars-Cov-2, fut souvent ressenti douloureusement d’un point de vue mental, même si nous y avons éventuellement consenti. Pris, à tort ou à raison, comme une injonction disproportionnée, c’est surtout la cause de la détresse qui se propage et s’étend, affectant principalement une grande partie des plus jeunes… La question se pose donc de savoir de quoi il s’agit vraiment, Confinement ou isolement ? Il y a un an exactement, juste avant la première vague, aucun Belge n’était malade mais un « confinement » fut pourtant imposé, en tirant parti avec habileté du fait que tout contaminable est un contaminant en puissance. Cette réponse sanitaire fut-elle consentie ou, au contraire, imposée à la population, et dans quelle mesure exacte ? Le fait est que le mot ne fut plus officiellement utilisé ensuite, remplacé par une abracadabrantesque histoire de bulles sorties d’on ne sait trop quelle vieille pipe à savon. Trop tard ! La population et les médias s’étaient habitués à l’idée de ce confinement / déconfinement, l’utilisant depuis à tort et à travers, dans la confusion la plus grande. La question du consentement ou de la coercition risquant d’être débattue fort longtemps encore, disons simplement que c’est, là aussi, une chose importante à méditer, en prévision des pandémies du futur.
Le révélateur de crises latentes
La limitation drastique de nos contacts, nécessaire afin d’endiguer la circulation du virus et sa capacité à muter rapidement, a entraîné ipso facto la fermeture des lieux où la vie sociale a lieu, sans tenir le moindre compte des impacts sur la santé mentale que causeraient cet isolement de fait, ou ce simple confinement suivant que notre ressenti balance de l’un ou l’autre côté… Le lobbying économique, au service d’intérêts particuliers, semble avoir d’abord penché pour un confinement général, court mais radical. Il se ravisa ensuite afin d’exiger un déconfinement complet dont les conséquences se sont avérées particulièrement chaotiques. Ces mêmes milieux tablent à présent sur la vaccination de masse, méprisant carrément le fait que les gens ne sont pas des numéros et qu’on ne dispose pas tout-à-fait de leurs corps comme de vulgaires baudruches qui garnissent le paysage social…
Et pourtant, Sars-Cov-2 ne désarmant pas, aucune autre issue ne semble aujourd’hui se dessiner. Aux yeux d’une part considérable de la population, la grande manipulation qu’est la vaccination sera cependant inscrite au passif des gros acteurs économiques et de leurs hérauts. Que cela leur semble juste, ou pas ! La Covid-19 n’est évidemment pas seule en cause. En réalité, on l’a souvent souligné, la pandémie est le révélateur, l’amplificateur des crises graves qui agitaient, qui clivaient déjà nos sociétés depuis des lustres. Nous nous bornerons ici à en évoquer trois : l’aggravement des inégalités, la crise de l’organisation du travail et la méfiance croissante de nos concitoyens envers l’état et ses représentants. Le coronavirus est venu nimber tout cela de bien singuliers éclairages…
– Inégalités
Il y a, aux yeux de beaucoup d’entre nous, des riches et des pauvres, depuis que le monde est monde… Il n’aura échappé à personne que les victimes prioritaires de Sars-Cov-2 furent bien les plus faibles d’entre nous, physiquement mais sans doute aussi moralement : ceux qui étaient déjà malades, la clientèle des maisons de repos, les gens en surpoids ou en dépression, etc. S’ajoutent bien sûr à ce sinistre « protocole morbide », tous ceux qui vivent dans des locaux surpeuplés ou quasiment insalubres, dans des quartiers dits défavorisés où la promiscuité est grande et l’adoption des gestes barrière aléatoire. Viennent encore les précaires de l’information que n’atteignent jamais les savants conseils des épidémiologistes et la rhétorique, pourtant diverse et variée, de nos ministres… Avec la crise sanitaire, le capitalisme dont ils sont les gardiens du temple n’a fait qu’aggraver la crise sociale ! Or la technique des confinements locaux et temporaires, par exemple, semble avoir le vent en poupe. Mais qui cela touchera-t-il majoritairement sinon des quartiers populaires, ne faisant qu’accentuer l’impact social de la crise ? De quoi exacerber des tensions qui ne sont pas neuves et créer localement un véritable climat d’émeute… Le tohu-bohu qui régna, le samedi 13 mars à Liège, et les dégâts matériels certes injustifiables qui s’ensuivirent sont malheureusement là pour en attester.
Mais bon dieu, nous sommes quand même des gens ouverts au dialogue, entend-on alors… Nous pouvons entendre cette détresse mais pourquoi embêter les riches quand les pauvres sont en souffrance ? Ne revisite-t-on pas là le Germinal, du cher vieux Zola, et n’entend-on pas déjà siffler le Kärcher à Sarko ? Attention ! De nos jours, les classes moyennes auxquelles nous appartenons, pour la plus grande partie d’entre nous, n’ont plus la garantie de ne jamais basculer, par un jour certes particulièrement funeste, dans la précarité et le besoin. Il suffit parfois de bien peu de choses… Aujourd’hui, les demandes d’aide explosent ! Selon la Croix-Rouge, 40% de la population font face à d’importantes difficultés d’ordre financier… A une époque où la richesse se concentre de plus en plus dans les villes – dans certains quartiers de certaines villes ! -, le choix d’une agriculture qualitative et prospère est également devenu une nécessité pour garantir un avenir à bien des territoires en déshérence – ou même carrément en voie d’abandon – et aux populations qui y résident.
– Travail
N’évoquons même pas ce vaste pan du monde du travail où télétravailler est inimaginable, un monde où la pénibilité est rarement reconnue à sa juste valeur, en temps de crise a fortiori. Saluons, une fois encore, tous ceux qui ont pris des risques pour le bien de tous, et souvent pour un salaire indigne de leur effort. Passons trop rapidement sur tous les autres qui n’ont pas droit de cité dans la marche de l’entreprise qui est pourtant la leur mais doivent se motiver avec le seul but de garantir des dividendes aux actionnaires… Concentrons toute notre attention sur cette fantastique opportunité offerte par la crise sanitaire : le télétravail !
Ah ! Le télétravail, quelle fantastique aubaine pour améliorer l’existence… Ne devait-il pas être l’occasion rêvée de mettre moins de véhicules sur les routes et d’épargner aux travailleurs le temps précieux ainsi gâché ? Pour une meilleure qualité de vie, croyait-on… Un an après, tout le monde râle : patrons en manque de contrôle, employés frustrés de contacts style Caméra café, familles encombrées par l’irruption d’un employé et de ses nombreux outils… Soyons justes : là encore le défaut de prévoyance fut particulièrement criant. Qui aurait imaginé des conditions expérimentales aussi délirantes pour tester avec rigueur l’intérêt exact du télétravail ? Absence d’infrastructures et de matériel adéquats dans la plupart des logis, absence de compensations financières – chauffage, électricité, matériel de bureau… – par la quasi-totalité des employeurs, défauts graves d’organisation du boulot et intrusions fréquentes de la hiérarchie, etc. Il y a surtout le fait évident que le télétravail ne semble jamais envisageable que partiellement, et jamais à 100% comme ce fut décrété de but en blanc. Hé, la faute à qui si personne n’avait pensé à rien avant que le ciel nous tombe sur la tête, si le patronat n’avait jamais voulu y croire, préférant le vieux paternalisme bêtifiant à une saine collaboration basée sur la confiance ?
En réalité, pouvoirs publics et employeurs se sont jetés là-dessus, dès le début de la crise, comme la vérole sur le bas clergé. Comme si c’était du pain bénit ! Il s’agit hélas d’une forme d’organisation compliquée dont ils ne savaient évidemment pas grand-chose, dont ils se méfiaient même pour la plupart. Tous furent pourtant trop heureux d’avoir quelque chose à proposer dans l’urgence. Dans les métiers « pour lesquels le télétravail est possible« , c’était sans doute cela… ou rien du tout ! L’affaire fut donc vite pliée, d’autant plus qu’il eut été difficile de payer tous ces gens à ne rien faire. Avec l’impact terrible qu’une mise à l’arrêt générale aurait eue sur l’économie… L’idée d’un « revenu de base » refit donc vite surface en pareil contexte, un revenu alloué sans condition, de la naissance à la mort, uniquement parce que chacun a le droit de vivre décemment. Un autre débat, direz-vous ? Pas si sûr…
– Représentation
Isolement aidant, le sentiment n’a jamais été aussi fort de ne pas être entendu, ni même simplement écouté. Nombreux éprouvent même maintenant le sentiment nouveau d’être carrément oubliés ! Les crises qui s’empilent n’ont jamais été aussi graves mais semblent totalement ignorées au seul profit des plus riches qui font tourner l’économie. Faire redémarrer rapidement la machine fut longtemps le seul souci ! La protection du business semble, à présent, trouver d’autres voies et c’est le souci de la santé mentale générale qui exige que la vie reprenne son cours. L’Etat, lui, emprunte tant qu’il peut dans un compromis généralisé qui ne pouvait avoir de sens qu’en temps de « vaches grasses », le seul pourtant qui paraît encore possible alors que la fragmentation de la vie politique n’a jamais été aussi forte. Un spectacle d’impuissance totale, en somme, qui indispose toujours plus gravement l’électeur ordinaire, lequel préfère, de plus en plus souvent, le simplisme grandiloquent des extrêmes – qui ne sont pourtant pas beaucoup plus malins ! -, sachant très bien, par ailleurs, que c’est toujours le citoyen ordinaire qui paiera finalement la facture. Dans six mois, dans deux ans, dans vingt ans…
Bref, la confiance du citoyen dans l’Etat s’érode toujours un peu plus à chaque coup. La démocratie s’est engagée dans une impasse, sans aucun plan B bien sûr, alors qu’elle n’avait déjà guère de plan A… En France, le rapport annuel de la Cour des Comptes publié mi-mars, centré sur les effets concrets et la gestion opérationnelle de la crise sanitaire, a pointé une trop faible anticipation des services publics concernés, au premier rang desquels la santé et l’éducation nationale. Il serait difficile de prétendre avoir fait beaucoup en Belgique. Pire encore que ce péché d’omission public : cette crise de confiance gagne aujourd’hui la science elle-même qui s’est, il est vrai, trop souvent compromise avec de gros intérêts transnationaux. Tout cela est parfaitement connu mais aucune réponse ne se dessine pour autant. Plus rien n’est donc aujourd’hui pardonné à l’Etat et à l’ensemble de ses représentants. Des défaillances de logistique ordinaire en temps de crise grave – qui n’ont absolument rien à voir avec l’impossibilité de prévoir l’imprévisible – sont ressenties comme de véritables injures faites aux « gens normaux », à tous ceux qui « trinquent » au quotidien. De l’eau apportée, volontairement ou non, au moulin de ceux qui veulent toujours moins d’Etat et qui revendiquent la « loi du plus fort » économique ? Le « trumpisme » décidément nous guette, il est derrière la porte. Est-il encore temps de réagir ?
Ce qui va bien, ce qui va mal
Allons bon. Tout cela, ce n’est quand même que de la grande théorie. Un simple regard sur nous-mêmes, sur nos conditions réelles d’existence devrait nous permettre d’y voir plus clair, de dresser un bilan plus objectif de nos conditions de vie réelles. Restons pragmatiques, parlons plutôt de la « vraie vie », de quoi notre quotidien est fait : manger, habiter, dormir, bouger…
D’accord. Admettons que ce qui va plutôt bien est la conséquence d’un retour – plus ou moins accepté, plus ou moins temporaire – des consommateurs dans leur environnement de proximité. Ils s’efforcent d’acheter local, prennent le temps de cuisiner et, globalement, mangent mieux. L’agriculture biologique a bien fait son job et a ouvert la voie à suivre. Le citoyen l’a bien compris. Sauf, bien sûr, ceux qui « n’ont plus les moyens » et qui optent, nous dit-on, toujours plus pour le hard-discount ou vont carrément grossir la file des épiceries sociales quand le porte-monnaie est vide… Nature & Progrès, depuis cette année, expérimente le Réseau RADiS et entend ainsi démontrer qu’il n’y a de fatalité pour personne. Pour peu qu’on s’efforce de raviver le capital social, partout où c’est possible…
Côté habitat, son amélioration bénéficie des dépenses qui n’ont pas pu être faites ailleurs ; quand on reste toute la journée chez soi, ben oui, on est aux premières loges pour constater tout ce qui cloche. Encore faut-il que le droit à habiter soit un droit à habiter décemment. Or la crise sanitaire a montré à quel point ce droit était bafoué pour beaucoup d’entre nous… Rayon mobilité, l’évolution ne semble guère satisfaisante tant l’état catastrophique des transports en commun tend à ramener les gens inquiets dans leur bagnole. Mais pour aller où ? L’errance au volant serait-elle une manière de tromper l’angoisse ? La tendance n’est pas bonne car, si une reprise de l’activité mondiale s’amorce – poussée dans le dos par le dogme libéral dominant -, le prix du pétrole risque fort de repartir à la hausse et de nous emmener tout droit vers un bordel économique digne de 2008. A moins que l’alternative soit enfin sur les rails, avec l’électricité ou l’hydrogène ? Mais qui pourra se payer les splendides berlines qu’on nous fait miroiter ? Aucun constructeur ne semble prêt à proposer de petites urbaines qui font gagner de la place et de l’énergie… Est-ce pourtant si difficile à comprendre ?
L’homme de la rue, trop préoccupé par ses propres soucis, s’est évidemment empressé d’oublier tout ce qui est d’ordre écologique et climatique, cela va sans dire. Et personne n’a vraiment le cœur de le lui rappeler… Nous l’avons dit, l’isolement que nous vivons – même s’il ne dit pas son nom – est avant tout d’ordre mental. Nous pouvons être critiques sur notre « vie d’avant » mais manquons totalement de moyens pour comprendre où nous emmène la « vie d’après ». Peut-être est-ce également dû aussi à un manque d’engagement individuel de notre part, en faveur de ce que nous estimons être juste. Comment la crise fera-t-elle évoluer l’opinion ? Il est trop tôt pour la dire. L’écologie et le numérique triomphent, nous dit-on, mais rien n’est moins sûr… Le second a vu s’effondrer quelques grands mythes tenaces : la visioconférence, par exemple, fonctionne si mal que Microsoft est déjà en train de raconter que les réunions connectées du futur se feront à l’aide… d’hologrammes ! Quant à l’enseignement « en distanciel », il a tellement déprimé étudiants et enseignants qu’il ne semble déjà plus que très exceptionnellement envisagé, pour ce qui est du secondaire en tout cas, les étudiants du supérieur, de leur côté, n’aspirant qu’à retrouver leurs chers auditoires… L’écologie enfin fait toujours frémir les milieux économiques qui n’y voient que dépenses impossibles à financer ; ils n’admettent pas que la crise du coronavirus soit une crise écologique qui a pesé 6,5 % du PIB belge en 2020 et ne pensent qu’à renvoyer des avions strier l’azur virginal du confinement. Mais combien pèsera la crise climatique dans les années qui viennent ?