9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Nul besoin de connaître parfaitement les rouages de la législation européenne pour comprendre ce qu’est vraiment l’agriculture biologique aujourd’hui. Voici donc un angle d’approche qui concerne les implications et applications concrètes du label européen, qui donnent toute sa légitimité à l’ »Eurofeuille« … Un petit détour par l’expérience locale du Réseau RADiS confirmera ensuite le rôle essentiel de la bio dans la transition vers une alimentation respectueuse et solidaire.
Par Mathilde Roda et Caroline Dehon
Les règles techniques de production de l’agriculture biologique découlent du rejet des engrais et pesticides chimiques de synthèse ; elles illustrent la volonté de favoriser la vie du sol, tout en rappelant la nécessité de placer l’animal au centre du cycle de production. Si de telles préoccupations n’apparaissent pas toujours explicitement dans les textes de loi, la bio se base cependant sur une série de pratiques dont la plupart étaient déjà bien présentes, dès les premières années du mouvement agrobiologique.
La quête de l’équilibre au sein des fermes
En culture, les alternatives aux pesticides doivent répondre à la nécessité de maîtrise des adventices, de lutte contre les maladies et les ravageurs. Le projet « Vers une Wallonie sans pesticides« , mené depuis 2018 par Nature & Progrès, ambitionne de diffuser les méthodes développées dans les fermes bio afin d’inspirer et d’inciter le monde agricole, dans son ensemble, à se passer de pesticides ! Ne pouvant compter sur la chimie pour « rattraper » une culture, les agriculteurs bio misent avant tout sur des méthodes préventives. Ils visent donc de longues rotations, idéalement de sept ans, et l’alternance des cultures en fonction des besoins et cycles de développement différents – culture d’hiver ou de printemps – afin de casser celui des adventices, des maladies et des ravageurs, et de maintenir ainsi la fertilité et l’activité biologique des sols, mais aussi de sécuriser les activités agricoles par la diversification. Installer une prairie temporaire – une prairie qui restera en place pendant trois ans et qui sera fauchée régulièrement – en tête de rotation est connu pour avoir un effet nettoyant sur la parcelle. L’agriculture biologique favorise donc le développement de prairies et également les associations de cultures, la couverture permanente du sol et les engrais verts en intercultures. Autres points d’attention importants : le choix de variétés adaptées au terroir et la réussite des semis dans les conditions adéquates, ce qui conditionnera grandement la vigueur des plants.
Les élevages bio misent également sur des animaux rustiques, à même d’être au maximum nourris à l’herbe et de se passer de traitements vétérinaires systématiques. Ce n’est pas la course à la production qui motive l’éleveur bio – une Holstein bio produit entre quatre et cinq mille litres de lait par an, contre six à neuf mille litres en conventionnel – mais bien plus l’autonomie et la résilience de la ferme. Si les animaux doivent sortir, c’est bien sûr pour des questions de respect de leurs comportements naturels mais aussi pour développer leur rusticité. Il en va de même concernant la faible densité d’élevage ou l’aménagement des espaces de vie qui, au-delà du bien-être animal, influencent les performances de production en réduisant les risques de maladies et de comportements déviants, tels que la caudophagie ou le picage. Des pratiques, encore investiguées par la recherche agronomique, sont utilisées depuis longtemps par des éleveurs bio, comme la plantation de haies fourragères ou l’incorporation de plantes aux propriétés médicinales dans les mélanges prairiaux…
On comprend donc bien que les pratiques bio, au-delà de remplacer la chimie par du désherbage mécanique – qui ne vient finalement qu’en curatif – ou les médicaments par des huiles essentielles, ont pour objectif de favoriser un équilibre au sein de l’exploitation agricole. Cet équilibre passe par une réflexion globale, de la préparation de la terre à la récolte, du choix du bétail à la gestion des prairies. Une telle réflexion intègre finalement tous les maillons de la chaîne car l’autonomie ne s’arrête évidemment pas à la porte de la ferme…
Des filières pas comme les autres
Le concept de filière représente l’ensemble des étapes qui s’échelonnent entre la production primaire et la distribution d’un produit. Il peut se décliner de nombreuses manières, dans le monde agricole, et impliquer bien des dimensions. En bio, une telle idée engage au minimum – ainsi que nous vous l’avons décrit en amont – le fait que chaque étape – production, transformation, distribution – respecte le cahier des charges bio. Mais au-delà de cela, au-delà de la plus-value purement économique du produit qui en résulte, de nombreuses filières biologiques s’attachent à intégrer d’autres dimensions : sociale, environnementale, éthique.
Nature & Progrès soutient le développement de ce type de filières bio, comme l’indique ci-après notre encart consacré au Réseau RADiS. Toutes impliquent un panel beaucoup plus large d’acteurs dans la distribution d’un produit local jusqu’au consommateur final. Ces acteurs sont davantage consultés et impliqués dans ces filières qu’ils coconstruisent aux côtés des représentants des différents maillons : producteurs, transformateurs, distributeurs, etc. Ce qui fait ainsi la richesse et contribue à la réussite de ces filières, c’est la proximité à la fois humaine et territoriale des acteurs. Les consommateurs apprennent à mieux connaître les producteurs et leurs réalités – par des visites en fermes, par exemple -, les producteurs ne se contentent plus de livrer simplement leurs productions mais s’impliquent davantage dans la vie locale et se soucient de savoir où, comment et par qui les denrées qu’ils ont travaillées seront transformées et valorisées. Ces filières, bio et locales, permettent ainsi de fédérer une communauté d’acteurs où chaque enjeu prend tout son sens puisque chacun sait parfaitement ce qu’il y a derrière ce qu’il mange et qu’il y a contribué à sa manière. Trouver des visages sur l’alimentation, refuser l’anonymat de l’assiette, est une chose qui nous tient à cœur chez Nature & Progrès. Certes, de telles initiatives prennent du temps, beaucoup plus de temps que les filières dites « classiques » ; elles impliquent la mise en place de processus participatifs et d’une meilleure gouvernance qui, eux-mêmes, sont chronophages. C’est néanmoins ce qui les rend plus « impactantes », plus durables, puisqu’elles sont à l’image de chacun des acteurs et de son territoire. À ce titre, elles ne changent pas seulement l’alimentation, elles changent la vie !
Le Réseau RADiS : des filières bio, locales et solidaires !
Voici deux années et demie que le Réseau RADiS – Réseau Alimentaire Dinant Solidaire, www.reseau-radis.be – a été lancé par la Fondation Cyrys et Nature & Progrès. Son objectif ? « Soutenir et développer la transition de la région dinantaise vers une alimentation bio et locale, respectueuse des Hommes et de la Terre, en favorisant la solidarité et l’implication de tous. » Pour accomplir cet objectif, le Réseau défend et représente quatre valeurs piliers : le bio, le local mais aussi les côtés solidaire et participatif. Les animatrices de Nature & Progrès travaillent sur le territoire dinantais :
– à la mise en place filières biologiques, en soutenant notamment la production primaire et la transformation,
– à rendre accessible au plus grand nombre les produits issus de ces filières,
– à sensibiliser les habitants du territoire à l’importance d’une alimentation de qualité : bio, locale, de saison.
Afin qu’il soit en cohérence avec les besoins du territoire et réellement porteur de sens, ce travail s’effectue quotidiennement en étroite collaboration avec l’ensemble de ses acteurs : citoyens-consommateurs, producteurs, transformateurs, commerçants, institutions territoriales… Et c’est ainsi que :
– les élèves des écoles primaires communales d’Onhaye dégustent chaque mardi un potage collation réalisé par les membres du Réseau avec les légumes des maraîchers bio du territoire,
– Laurie, jeune boulangère hastièroise, a animé auprès de citoyens un atelier de panification à partir des farines bio produites par Alessandro et Frédéric, producteurs cultivant leurs céréales à Dinant,
– Philippe a installé son activité de maraîchage bio sur les terres de Tanguy, simple citoyen, à Lisogne,
– boulangers, citoyens et producteurs du territoire se sont rencontrés autour du four à pain mobile d’Y Voir Transition,
– Fara, Béatrice, Claire et Samir, bénévoles-citoyens, se retrouvent toutes les deux semaines chez Jean pour éplucher ses légumes et ceux de Philippe…
Au fil de ces rencontres, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, ses réalités, ses contraintes, ses besoins, ses envies… Au-delà de la création de simples filières, il y a la création de liens à travers des moments de partage, de sensibilisation, de réflexions. Cette démarche participative et inclusive permet de rendre plus pérenne l’initiative, en instaurant des collaborations qui n’auraient sans doute pas pu voir le jour autrement.
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
La règlementation européenne sur l’agriculture biologique a fait l’objet de plusieurs révisions, depuis sa première publication, en 1991. La dernière en date est d’application depuis le 1er janvier 2022 et des règlements nationaux sont toujours en cours d’élaboration pour en réguler l’application dans chaque Etat-membre. On entend ainsi souvent dire que « le bio d’ici et le bio de là-bas, ce n’est pas la même chose« . Remettons la ferme au milieu du village européen…
Par Mathilde Roda
La législation bio européenne repose sur le Règlement (UE) 2018/848. C’est le document de référence qui définit les grandes lignes et principes de l’agriculture biologique. Il est accompagné d’actes d’exécution, qui précisent certains articles, et d’actes délégués, qui en précisent ou en modifient le contenu non essentiel (1). Ces règlements ont un portée légale identique dans tous les pays de l’Union Européenne. Aucun gouvernement ne peut faire l’impasse sur ce qui y est explicitement noté. Un agriculteur bio d’Espagne doit donc respecter les mêmes règles qu’un agriculteur wallon ou un agriculteur polonais.
Ce qui peut varier est cependant de deux natures. Soit il s’agit de points laissés volontairement, par la Commission Européenne, à l’appréciation des gouvernements nationaux et qui concernent la gestion administrative ou certains champs d’application non encore couverts par la règlementation européenne comme, par exemple, la restauration collective ou l’élevage d’escargots. Soit il s’agit d’une liberté donnée aux Etats membres d’interpréter des termes qui ne sont pas explicitement définis. Par exemple, l’âge en dessous duquel on considère un « jeune bovin », ce qu’il faut entendre par « principalement couvert de végétation », le pourcentage à partir duquel « principalement » est atteint, etc. Il peut donc y avoir des divergences sur ces points précis mais elles resteront toujours limitées par le respect de la règlementation générale.
Mais comment ça se passe en Wallonie ?
En Wallonie, un Arrêté du Gouvernement Wallon régit l’application des règlements européens ; il est complété par un Guide de Lecture, plus pragmatique, permettant aux acteurs de terrain de clarifier les règles afin d’homogénéiser l’application de la législation bio sur le territoire wallon. Le secteur agricole wallon a été consulté lors de l’élaboration de ces documents ; Nature & Progrès a participé à ce d’un long processus de négociations.
L’agriculture étant une matière régionalisée, la Flandre possède aussi son propre arrêté et des différences d’interprétation subsistent ainsi entre les deux régions. Si cela peut paraître aberrant, il faut aussi se rendre compte que les réalités agricoles flamandes et wallonnes sont différentes. La communication interrégionale est cependant très active et ces différences sont sans doute vouées à être lissées, en espérant que la volonté d’autonomie et de valorisation du terroir de la Wallonie inspirera au Nord du pays. Cela risque de devenir incontournable, au vu du contexte agricole et de son évolution…
Des règles claires, applicables à tous
Socle de base, la législation bio européenne offre un cadre réglementaire cohérent qui marque les différences avec les agricultures conventionnelles. Ce cadre est contrôlé strictement. La législation bio ne se substitue pas aux règlementations agricoles et alimentaires générales mais vient s’inscrire en complément. Ce règlement de base « énonce les règles régissant la production biologique, la certification correspondante et l’utilisation, dans l’étiquetage et la publicité, d’indications faisant référence à la production biologique, ainsi que les règles applicables aux contrôles » (2). L’appellation « bio », concernant l’agriculture et l’alimentation, est réservée à ce qui entre dans le cadre de ce règlement. Les cosmétiques et produits d’entretien ne sont donc pas couverts et les labels faisant référence à l’appellation « bio », dans ces cadres-là, ont par conséquent leurs propres cahiers des charges – par exemple, Cosmebio. L’appellation « bio » peut alors ne pas avoir exactement la même signification.
Plus concrètement, le champ d’application du Règlement (UE) 2018/848 prévoit de couvrir les produits agricoles vivants – cultures, animaux, semences et autres matériels de reproduction des végétaux -, les produits agricoles transformés à destination de l’alimentation humaine, l’alimentation pour les animaux, ainsi que – et c’est une nouveauté – une douzaine de produits considérés comme liés à la production agricole : les huiles essentielles, la laine, le coton, les levures, la cire d’abeille, le sel…
La culture en bio
Le label bio européen encadre la production végétale en ce qui concerne le recours à des intrants et à des semences bio, mais il le fait aussi en recourant à des listes restrictives de produits autorisés pour la gestion des maladies et des ravageurs. Le règlement, en vigueur depuis 2022, apporte des éléments nouveaux, en ouvrant la porte à l’utilisation de semences plus « hétérogènes » afin de favoriser la sélection paysanne de semences bio. Il affiche aussi la volonté d’aller vers plus de « 100% bio », en limitant les possibilités de dérogations. En effet, vu le manque d’accès à des matières bio – semences, fumier, paille… – dans certains pays dont le nôtre, la Commission permet de déroger à la règle dans un certain cadre. Ce nouveau règlement cherche donc à limiter de telles exceptions afin de pousser au développement du secteur bio pour qu’il s’autonomise. Enfin, comme un retour aux fondamentaux, le R2018/848 prévoit que la rotation en cultures annuelles inclue obligatoirement des légumineuses et autres engrais verts.
Un point d’attention tout particulier doit être porté, dans l’évolution de la règlementation, à la multiplication des tentatives d’introduction de nouvelles substances ou de nouveaux produits dans la liste des intrants utilisables en agriculture biologique. Le secteur se montre généralement défavorable aux demandes concernant des produits issus de la chimie de synthèse ou des co-produits de l’industrie, se montrant par contre ouvert aux substances naturelles qui offrent des alternatives à certains produits autorisés qui sont controversés, comme le cuivre en pommes de terre, par exemple, ou les insecticides pyréthrinoïde en maraîchage. Un tel cap doit absolument être conservé !
L’élevage en bio
En bio, on ne pense seulement à la mise à mort « correcte » de l’animal mais aussi à sa « mise en vie » ! La règlementation européenne – qui revendique l’agriculture biologique comme « l’application de normes élevées en matière de bien-être animal » – définit la taille et l’aménagement des bâtiments d’élevage ainsi que du parcours extérieur, l’alimentation des animaux – bio, sans OGM – et les méthodes de gestion des maladies. Le bio base le soin aux animaux sur des pratiques préventives naturelles, les traitements médicamenteux faisant parfois l’objet d’une dérogation sur prescription vétérinaire. La règlementation européenne rappelle également que les animaux doivent être en lien avec le sol et qu’il faut absolument les traiter conformément à leur nature : une vache ou un mouton doivent brouter, un porc doit pouvoir fouiller le sol avec son groin et une volaille gratter la terre… Certains de ces principes, hélas, ne sont pas traduits dans le texte de loi en articles contraignants et ne sont donc pas toujours strictement appliqués sur le terrain. Parmi les nouveautés, on notera la volonté de favoriser l’autonomie alimentaire des éleveurs, en augmentant la proportion d’aliments pour animaux provenant de l’exploitation elle-même ou, si cela n’est pas possible, produits en coopération régionale. Encore faut-il voir comment chaque état définit la notion de « régional ». Wallonie et Flandre n’ont déjà pas la même approche, la première considérant la Belgique et les régions limitrophes alors que la deuxième pense à l’Europe, dans son entièreté…
La Commission a aussi réaffirmé le besoin qu’ont tous les animaux d’accéder à un espace de prairie, et pas seulement une cour extérieure, même si la formulation n’est à nouveau pas contraignante, en ce qui concerne les porcs. En volailles, les densités restent très faibles par rapports aux élevages conventionnels – elles sont deux fois moins élevées qu’en élevage standard intensif – et des règles sont ajoutées en ce qui concerne les bâtiments : plus de perchoirs, meilleur accès aux trappes menant à l’extérieur qui doivent aussi être plus grandes. Une évolution particulièrement décevante concerne la possibilité d’élevages de taille industrielle, puisque la limitation à trois mille poules pondeuses – ou quatre mille huit cents poulets de chair – se fait maintenant par « compartiment » et non plus par « bâtiment ». Heureusement, il est demandé d’aménager les espaces extérieurs avec une grande variété de végétaux, des arbres et des arbustes étant répartis sur toute la superficie pour permettre une utilisation équilibrée de tout l’espace mis à disposition pour les volailles. Notons enfin que des règles sont maintenant définies pour les élevages de lapins et de cervidés, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
La transformation en bio
Les principes spécifiques à la transformation biologique ne peuvent être mieux résumés que par le règlement lui-même ! Il stipule que la production de denrées alimentaires biologiques transformées repose sur les principes suivants : produire à partir d’ingrédients agricoles biologiques, restreindre l’utilisation des additifs alimentaires et d’auxiliaires technologiques, exclure les substances et méthodes de transformation susceptibles d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable nature du produit, recourir à des méthodes de transformation biologiques, mécaniques et physiques, exclure les nanomatériaux manufacturés.
Un produit transformé pourra être étiqueté comme « biologique », à condition qu’au moins 95%, en poids, des ingrédients agricoles du produit soient biologiques. Les 5% d’ingrédients agricoles restants concernent une liste de cinq cas particuliers non disponibles en bio : algues, poisson sauvage, boyaux, gélatine… Seuls cinquante-six additifs alimentaires et quarante-deux auxiliaires technologiques sont actuellement autorisés car ils ont été jugés nécessaires à la production, à la conservation ou à la qualité organoleptique des produits transformés. Les colorants ne sont pas autorisés, sauf en estampillage ou en décoration des œufs de Pâques.
Un socle déjà bien solide
Si, aux yeux de certains, la législation bio européenne ne va pas assez loin dans ses exigences, et si elle va déjà trop loin pour d’autres, on peut au moins lui reconnaître le mérite de poser les bases d’une réflexion solide au sujet des méthodes de production de notre alimentation. Au-delà du simple respect de ces règles, les producteurs et les transformateurs bio – les vrais ! – sont poussés à mettre en place une batterie de pratiques toujours plus adéquates et plus ambitieuses afin qu’elles correspondent toujours mieux à la philosophie qu’ils défendent, garantissant ainsi au consommateur une alimentation toujours plus proche de ses exigences nutritionnelles et sociétales.
Notes :
(1) Certisys, nouvelle règlementation bio 2022. En ligne : www.certisys.eu/nouvelle-reglementation-bio-2022/
(2) Le Règlement (UE) 2018/848 est consultable en ligne, via une recherche sur https://eur-lex.europa.eu. Nous vous invitons fortement à lire les articles 4 et 5 qui rappellent les objectifs et principes généraux de l’agriculture biologique.
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Aux origines du mouvement de l’agriculture biologique, en France et en Belgique, on trouve un groupement de quelques dizaines de scientifiques qui se sont intéressés à l’importance de l’humus et de l’activité biologique des sols. Cette communauté, active, dès la fin des années quarante, a développé l’intérêt pour ce qu’on appelle communément la « vie du sol » qui est le point de départ, trop souvent négligé, de l’agriculture biologique telle qu’on la pratique toujours maintenant partout en Europe (1).
Par Mathilde Roda
Si l’aversion pour les externalités provoquées par les pesticides et les engrais chimiques fut un point de départ, les acteurs du mouvement agrobiologique élaborèrent aussitôt une pensée beaucoup plus large qui réunit leurs réflexions axées sur la santé des consommateurs et l’autonomie des agriculteurs. L’écologie vint, plus tard, prendre sa place dans l’équation… Le terme même d’ »agriculture biologique » fut popularisé, dès les années cinquante, par des médecins nutritionnistes qui furent rapidement rejoints par des agronomes et des producteurs en polyculture-élevage (2). Pour les médecins, il était urgent que la population retourne à une alimentation exempte de matières d’origine synthétique ; pour les agronomes, il n’était plus possible de promouvoir un système agrochimique qui éloignait de plus en plus les agriculteurs de leurs indépendances, technique et économique. Pour les agriculteurs surtout, il devenait impératif de trouver une alternative au courant modernisateur qui les poussait à l’endettement : mécanisation excessive, achats d’intrants, augmentation des frais vétérinaires…
Dès le départ, la bio reposa donc sur une réflexion globale et inclusive qui rendait indissociables l’agriculture et l’alimentation. La quête d’un modèle alimentaire sain poussa à la recherche d’un modèle agricole cohérent qui aurait, comme rouage central et indispensable, la vie du sol ! Car un sol sain donne des cultures saines qui sont la base d’une alimentation saine, tout en étant le facteur déterminant de la résilience des fermes agricoles.
Des principes fondateurs innovants !
Réaffirmons-le inlassablement : pour la bio, le sol est la base de tout ! Bien plus qu’un support de culture, il est la combinaison de milliards d’alliés, depuis la microscopique bactérie jusqu’à la macrofaune, ui est encore parfois considérée par certains comme des « ravageurs ». Voilà pourquoi on retrouve – dès l’origine de l’agriculture biologique, des principes de limitation de la perturbation du sol. Si la gestion des adventices passe par des méthodes mécaniques, une telle intervention ne peut pas être pas réalisée n’importe comment. Le labour n’est pas un recours systématique et les premiers conseillers techniques, dès 1959, faisaient déjà la promotion du sous-solage afin de le remplacer. Pratique encore présentée aujourd’hui comme innovante, les associations végétales sont également promues, dès le début des années soixante, par les pionniers de l’agriculture biologique. En plus de favoriser l’enrichissement des sols en azote, ces associations sont présentées comme un traitement préventif naturel pour garantir la santé des céréales, en favorisant la présence d’auxiliaires antagonistes.
Parmi les autres principes fondateurs de l’agriculture biologique, se retrouvent encore la polyculture, avec des rotations longues, l’insertion de légumineuses dans l’assolement, le compostage du fumier de ferme enrichi en pailles, la stimulation des micro-organismes du sol par l’apport d’amendements organiques adaptés, ou encore le recours à des cultures dérobées enfouies comme engrais vert. L’agriculture biologique se pense, depuis toujours, non pas comme un retour en arrière, mais bien plus comme une voie de progrès parallèle à celle qui est proposée par l’agrochimie.
« L’agriculture biologique a pour but de développer la véritable fertilité du sol, basée sur l’humus, et d’obtenir de hauts rendements en récoltes et en bétail, avec une qualité de produits et une résistance aux maladies que ne peuvent donner ni certaines pratiques négligentes d’autrefois, ni les méthodes couramment utilisées aujourd’hui. », expliquait déjà Jean Boucher, en 1959 (3)…
De « la bio » à « le bio »…
Au fil de son histoire, la bio a intéressé de plus en plus, tant les citoyens-consommateurs que les professionnels de l’agriculture. Il a donc fallu la normer pour éviter les débordements. C’est ce qu’ont permis, dès 1972, les premiers cahiers des charges élaborés par Nature & Progrès. Normer, cela veut dire cadrer les pratiques, en interdire certaines et donc contrôler le respect des règles édictées. Un tel cadre normatif amena de la confiance mais également un côté restrictif qui laissa souvent peu de place à la globalisation de la réflexion.
Cet engouement qui se structurait de plus en plus suscita inévitablement l’intérêt du monde politique. Mais c’était la volonté de ses défenseurs ! La reconnaissance officielle donna au mouvement son cadre légal et permit une promotion plus large de l’agriculture biologique. Si Nature & Progrès et les autres acteurs de l’agriculture biologique n’avaient pas attendu le législateur européen pour avancer (4), cette étape constitua néanmoins une victoire importante dans la légitimation des préceptes agrobiologiques.
Ce qui put – et peut encore – faire tiquer les adeptes de la bio, c’est que la création du label européen, en 1991, fut le théâtre d’une réduction spectaculaire de ses grands concepts à une série de critères purement techniques. Les principes fondateurs de l’agriculture biologique se retrouvent souvent relégués au rang de simples « considérants » introductifs, non traduits en articles de loi. La bio est ainsi devenue le bio : un marché de produits labellisés qui, pour la majorité des consommateurs, se réduisent à des produits sans pesticides (5). Or l’agriculture biologique a toujours été, à nos yeux, un gage essentiel de rapprochement du producteur et du consommateur. Il est donc indispensable d’aller beaucoup plus loin – et c’est ce que permet le label Nature & Progrès – même si, au travers du label bio « Eurofeuille » se traduisent déjà bon nombre des principes fondateurs du bio.
La rigueur du travail de l’historien
Telle est bien l’histoire de la bio que certains, aujourd’hui, seraient bien tentés d’ignorer, ou carrément de réécrire. Mais réécrire l’histoire, cela porte un nom. Réécrire l’histoire, c’est du révisionnisme ! Et la condamnation du révisionnisme ne doit pas concerner que l’horreur sans nom des chambres à gaz ! Le marketing de la grande distribution est chatouillé en permanence par les démons du révisionnisme, lui qui se laisse trop souvent aller à ne voir dans le « produit issu de l’agriculture biologique » qu’un simple, un vulgaire objet de mode dont le temps viendra à passer pour être remplacé par d’autres. De nouveaux acteurs de l’agroécologie – ce Canada Dry qui le goût et la couleur de l’agriculture biologique mais qui n’est évidemment pas l’agriculture biologique ! – rêvent aujourd’hui d’y réintroduire des pesticides ! « Nous ne pouvons pas faire sans« , clament-ils à qui veut bien les entendre. Mais réintroduire le ver dans le fruit ne serait-il pas le projet secret de l’industrie qui les manipule ?
Et que pouvons-nous faire d’autre, face à ce négationnisme intolérable qui prétend stimuler la vie du sol en recourant aux services du glyphosate, que d’en appeler à la vérité historique, celle de l’agriculture biologique et de tous ceux qui l’ont faite au fil des décennies ? Car la bio ne s’incarne pas seulement dans les principes du présent. La bio, c’est avant tout la vie et les espoirs de tout ceux qui l’ont rendue concrète. Pour notre santé et celle de la terre !
Notes :
(1) Pour connaître tous les détails de l’origine du mouvement biologique francophone, voir les articles de Florian Rouzioux parus dans les revues Valériane n°143, 144 et 145.
(2) Rouzioux Florian, « Les voix contestataires du Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (1958-1961) – Des Ligériens au service de l’indépendance des paysans et de la santé du sol« , Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest, n°2, 2022
https://ajco49.fr/2022/11/14/les-voix-contestataires-du-groupement-dagriculture-biologique-de-louest-1958-1961-des-ligeriens-au-service-de-lindependance-des-paysans-et-de-la-sante-du-sol
(3) Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Principes d’Agriculture Biologique », Jean Boucher, 1959. Lu dans (2).
(4) Pour en savoir plus, voir la revue Valériane n°134 et l’article intitulé « Regards sur l’évolution du label Nature & Progrès ».
(5) Sujet développé par Michel Besson dans « La bio et l’agroécologie sont des projets de transformation sociale« , revue Valériane n°98.
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
La rumeur est insistante : nos gestionnaires de réseau de distribution (GRD) installeraient de nouveaux compteurs électriques réputés « intelligents » chez les particuliers ! Le consommateur lambda peut-il vraiment s’y opposer ? En a-t-il réellement le droit, ou n’est-ce toujours qu’une simple promesse faite par nos politiciens et qui volera en éclats dès que l’installateur garanti IA (intelligence artificielle) sonnera à la porte ? A vrai dire, une fois de plus, rien n’est clair…
Par Dominique Parizel
Rappelons d’abord que tout ceci est de compétence régionale et est donc abordé très différemment en Wallonie et à Bruxelles. Précisons aussi que cette question concernera, à termes, l’ensemble des compteurs présents dans nos habitations – électricité, gaz, eau -, voire peut-être tout ce qui comptabilise – régule ? – les consommations dans les logements collectifs. Ces « modernisations » s’inscrivent dans le cadre de la Directive européenne 2018/2002, du 11 décembre 2018, dont il est très difficile pour le citoyen normalement intelligent de savoir si elle est déjà transposée – et surtout comment ? – dans les législations régionales…
Face aux géants des communications, que peut le simple citoyen ?
Disons-le tout net : ceci s’inscrit surtout dans le cadre du déploiement de la 5G, c’est-à-dire l’ »Internet de demain« , la connectivité ultra-invasive et ultra-rapide qu’aucun responsable politique ne semble aujourd’hui prêt à remettre en question. Au point que rien ne transpire, ou presque, des modalités de mise en œuvre des nouvelles infrastructures qui nous sont imposées, sans que nous n’ayons jamais rien demandé. Bonne ou mauvaise, la 5G ? A chacun son avis… Le droit élémentaire du citoyen, en tout cas, on s’en fout sans le moindre état d’âme ! Une nouvelle forme d’intelligence ? Bonjour, la transparence…
Or donc, le remplacement des vieux compteurs électromécaniques que nous connaissons depuis belle lurette semble avoir déjà commencé, même si pas mal de zones floues subsistent quant au cadre légal de cette vaste opération. Personne aujourd’hui ne semble, en tout cas, vouloir expliquer comment la Directive européenne est, ou pas, ou pas encore, transposée. On nous expliqua pourtant naguère – mais avec quelles garanties d’ordre légal ? – que la Déclaration de Politique Régionale Wallonne, du 9 septembre 2019, prévoyait d’accorder à chaque Wallon.ne le droit de refuser le placement, chez lui, chez elle, d’un compteur communicant, intelligent. Il semblerait cependant que nos GRD procèdent déjà à des remplacements de compteurs, diffusant – mais dans quel but ? – des messages incorrects à la population au sujet de législations qui n’existeraient peut-être même pas encore, se montrant même insistants ou, le cas échéant, menaçants, selon ce qui fut rapporté à Stop Compteurs Communicants – www.stopcompteurscommunicants.be/… La plus élémentaire « mise au courant » (!) du consommateur à propos de ses droits exacts en la matière serait, en tout état de cause, largement insuffisante… A Bruxelles, les choses sont plus catégoriques encore : un recours a été déposé contre l’ordonnance du 17 mars 2022 qui stipule que « nul ne peut refuser l’installation ou le maintien d’un compteur intelligent ni en demander la suppression« … On est à Bruxelles, à Téhéran ou bien à Pékin ?
Les GRD wallons, quant à eux, ne disposant évidemment plus de vieux compteurs électromécaniques – « faut bien vivre avec son temps, mon bon monsieur… » -, tiendraient la promesse gouvernementale, en cas de refus de particulier, en plaçant… ce dont ils disposent, c’est-à-dire des nouveaux compteurs « intelligents » mais désactivés, ou disons plutôt pas encore activés. Pour combien de temps ? Ces compteurs ne transfèreraient ainsi ni données, ni opérations à distance, mais émettraient malgré tout un signal, ce qui est très problématique pour les personnes électrosensibles. Témoignerait de cette émission le fait que de tels compteurs, branchés sur le réseau 4G, disposeraient – nous n’en avons jamais vu, d’où le conditionnel d’usage ! – de deux diodes, l’une indiquant que le compteur est dûment enregistré, l’autre l’intensité du signal émis. La possibilité de tout couper – et de garantir, par conséquent, l’effectivité d’un refus ainsi que le prévoit, sinon la loi, au moins la promesse gouvernementale – existe-t-elle donc vraiment ? Rien n’est moins sûr, semble-t-il. A Bruxelles, Sibelga est très clair : même coupé, le compteur continue d’émettre ! D’où les recours en justice introduits par Stop 5G – https://stop5g.be/fr/index.php.
Un problème ? Où ça, un problème ?
Les problèmes – nombreux ! – que soulève l’installation de compteurs communicants dans nos foyers furent longuement exposés dans une précédente analyse intitulée « Avons-nous besoin des compteurs « intelligents » pour réaliser une transition énergétique efficace ? » C’était en 2019, avant la Covid ! Pointons évidemment le respect élémentaire que nous devons témoigner à l’égard des personnes électrosensibles, à l’heure où la Wallonie s’enorgueillit d’éliminer, l’une après l’autre, l’ensemble des « zones blanches » du numérique. La question des pannes, ainsi que celle du coût élevé d’un matériel très sophistiqué – qui les prendra en charge ? -, semblent également sérieuses, alors que nos vieux compteurs électromécaniques fonctionnaient paisiblement et sans frais depuis plus d’un demi-siècle… Enfin, la grave question de ces « inconnus dans la maison », qui y laissent des portes numériquement entrouvertes, doit également être posée, à l’heure où les piratages informatiques de tous ordres foisonnent. Des réponses sérieuses doivent impérativement être apportées…
D’une manière plus large encore, nul n’ignore que la généralisation – espérée ou redoutée – de la 5G inquiète. La question de sa dangerosité intrinsèque n’est pas élucidée mais, plus encore, c’est l’ensemble des applications superflues qu’elle va permettre – et qui seront, pour la plupart, inutiles et très énergivores – qui interpelle en ces temps d’indispensable sobriété énergétique. Table-t-on, par exemple, sur la généralisation de la 5G et de son réseau de compteurs interconnectés – et donc réputés « intelligents » ! – pour écrêter les pics de consommation électrique ? Notre parc automobile est appelé à s’électrifier, à l’échéance 2035, mais rien n’est fait ni même prévu, semble-t-il, pour renforcer le réseau électrique. Cherche-t-on déjà à réguler les consommations de courant – en ce compris les recharges des batteries de véhicules – à l’aide de ces nouveaux compteurs communicants, en tarifant éventuellement la consommation « en temps réel » et non selon des profils, certes très approximatifs de consommation moyenne, comme c’est le cas actuellement ? Espère-t-on éviter ainsi les surcharges de réseau, et les risques de black-out, en menaçant le citoyen de payer très cher toute consommation imprévue ou intempestive ? Et de quoi seront faits les énigmatiques algorithmes qui décideront du droit de chacun au courant disponible ?
Où un minimum d’infos ne nuirait pas…
Nous dire si la transposition – ou pas ? – de la Directive européenne existe bel et bien permettrait déjà à l’humble quidam que nous sommes d’y voir un peu plus clair. Il existerait, paraît-il, une liberté laissée, dans la Directive européenne, aux Etats membres d’émettre ou de ne pas émettre… Pas besoin d’émettre en permanence, en effet, s’il s’agit juste de relever annuellement un compteur ! Une simple possibilité d’impulsion donnée à l’agent constateur suffirait, lorsqu’il passe à proximité… Faut-il craindre, au contraire, avec des interactions permanentes, qu’un Big Brother énergétique s’installe vraiment parmi nous ? Beaucoup de questions, beaucoup trop, et aucune réponse, alors qu’il semble que le « grand remplacement » ait déjà commencé, en Wallonie du moins. Et alors même que le Wallon aurait, paraît-il, un droit de refus… Mais de refuser quoi exactement, et selon quelles modalités ? Droit réel ou simple promesse ? Difficile à dire… Et on se fera encore gronder comme des garnements peu obéissants quand on parlera de défiance du citoyen à l’égard du politique…
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Sur la page de garde du Code wallon du Bien-être animal, code que nous envient nos voisins européens – www.wallonie.be/sites/default/files/2019-04/code_wallon_bea.pdf -, adopté par le Parlement de Wallonie le 3 octobre 2018, nous pouvons lire que les animaux sont « conscients, sensibles et vivants, comme nous ! » Notre relation à l’animal est-elle revisitée ? Certes, en cette matière, les lignes bougent, attisées par l’opinion du public et les études scientifiques…
Par Delphes Dubray
Dès juin 2012, durant une série de conférences sur la conscience chez les animaux humains et non humains, fut signée la Déclaration de Cambridge sur la conscience (en anglais Cambridge Declaration on Consciousness). Selon le texte de cette déclaration, les recherches ont démontré la capacité des organismes du règne animal à percevoir leur propre existence et le monde autour d’eux. De plus, la neuroscience a étudié les zones du cerveau et a découvert que les zones qui nous distinguent des autres animaux ne sont pas celles qui produisent la conscience. Il en résulte ainsi que les animaux étudiés possèdent une conscience parce que « les structures cérébrales responsables des processus qui génèrent la conscience chez les humains et les autres animaux sont équivalentes« .
Définition d’un concept central en éthologie animale
Le fait d’éprouver une expérience subjective du monde, une vie intérieure et, de ce fait, de ressentir des expériences positives – plaisir, bonheur, etc. – comme négatives – souffrance, douleur, etc. – porte un nom, il s’agit du de la « sentience », un terme entré dans le dictionnaire Larousse, en 2020. Les humains et la plupart des animaux sont des êtres « sentients » (1). L’idée est donc de porter un autre regard sur les animaux en les considérant pour ce qu’ils sont : des individus à part entière qui ont une expérience personnelle du monde et un désir de vivre et de ne pas souffrir. Que dit Wikipédia du terme « sentience » ? Issu du latin sentiens, ressentant, et de sentiere, percevoir par les sens, il désigne la capacité d’éprouver des choses subjectivement, d’avoir des expériences vécues. Les philosophes du XVIIIe siècle l’utilisaient pour distinguer la capacité de penser – la raison – de la capacité de ressentir. La « sentience » désigne donc la conscience dite phénoménale, c’est-à-dire la capacité de vivre des expériences subjectives, des sensations. Le concept de « sentience » est central en éthique animale car un être sentient ressent la douleur, le plaisir, et diverses émotions, ce qui lui arrive lui importe. Ce fait lui confère une perspective sur sa propre vie, des intérêts – à éviter la souffrance, à vivre une vie satisfaisante, etc. -, voire des droits – à la vie, au respect…
Quels critères pour déterminer la « sentience » d’un individu ?
La « sentience » reconnaît un avantage évolutif qui permet de poser des choix conscients et donc de s’adapter à de plus nombreuses situations, ainsi que d’anticiper leurs conséquences. Le consensus exprimé par la Déclaration de Cambridge sur la conscience porte sur la présence, chez tous les vertébrés, des caractéristiques neurologiques identifiées, par cette déclaration, à la « sentience ». Parmi ces caractéristiques, citons par exemple, la complexité du système nerveux – plus de cent mille neurones -, des circuits sensoriels composés de couches de neurones hiérarchiquement organisées, des circuits de différents sens convergents pour former une représentation isomorphique de l’environnement – un fait constaté par imagerie cérébrale -, des neurones très interconnectés, la présence de zones destinées au stockage de souvenirs et l’entrainement possible à des tâches sélectives.
En 2003, la biologiste Lynne Sneddon (2) avait prouvé la perception de la douleur chez les poissons – les truites arc-en-ciel. Jusque-là, la croyance populaire était « No cortex, no cry » qu’on traduira approximativement en « Pas de cortex, pas de cri« . Autrement dit, les humains s’accordaient à croire que les poissons n’étaient pas équipés neurologiquement pour ressentir la douleur. La démonstration de la présence d’un cortex à feuillets simples – « singly laminated cortex » – conclut que les poissons ont, eux aussi, la capacité de souffrir. La « sentience » d’un individu n’est donc pas une caractéristique binaire mais graduelle : un animal peut être plus ou moins sentient, ou pas sentient du tout. Le Dr Steven Laureys, cosignataire de la Déclaration de Cambridge s’interroge mène plus avant : « Et si la conscience n’était pas une caractéristique humaine mais un fondement de l’univers, régissant toute matière physique, comme le fait, par exemple, la gravité ? La conscience ne serait-elle pas une caractéristique fondamentale de la matière, chaque molécule ayant une forme infiniment petite de conscience, sorte de particule élémentaire qui peut s’assembler pour former des consciences plus complexes. Les comportements coordonnés des végétaux face à leur environnement illustrent cette idée. (3) »
Développée par le psychiatre et neurologue Giulio Tononi (4), la théorie de l’information intégrée postule que la conscience est affaire d’intégration de l’information, via une connectivité fonctionnelle à grande échelle, la quantité d’informations intégrées correspondant au niveau de conscience de l’individu. Cette quantité est mesurable et des modèles mathématiques ont ainsi été développés qui pourraient permettre de comprendre les mécanismes d’échange d’informations et le niveau de conscience des autres animaux.
Spécisme et antispécisme
La « sentience » des animaux – au moins des mammifères – est une notion qui n’est pas neuve, comme en témoignent les écrits de Leonard de Vinci, d’Erasme, de Thomas More, de Montaigne, de Shakespeare, de Francis Bacon… Certains philosophes l’ont toutefois niée – Aristote, Thomas d’Aquin, René Descartes ou encore Emmanuel Kant – et auraient donc été à l’encontre de connaissances couramment acceptées. Le sens même du concept d’animal-machine et d’émotions inconscientes, proposé par Descartes, fait partie de cette tendance et a beaucoup influencé, depuis lors, la pensée dans nos régions, de sorte que, pendant une grande partie du siècle passé, les spécialistes du comportement ont évité toute étude des sentiments des animaux, en raison de l’influence d’une branche de la psychologie appelée « behaviorisme ». Ils considéraient que les expériences subjectives – telles que les sensations, perceptions, images, désirs, pensées et émotions -, ne pouvant être directement observables, ne devaient pas être mentionnées. Même l’éthologie, fondée en Europe, fut une discipline très influencée par le « behaviorisme », les éthologues limitant généralement leurs considérations au comportement observable, bien que leur utilisation de termes tels que « faim », « douleur », « peur » et « frustration » ait pu suggérer que les états affectifs continuaient de guider leur réflexion sur le comportement. Tout ce qui était subjectif était cependant scientifiquement refoulé.
À la fin du XVIIIe siècle, le philosophe britannique Jeremy Bentham (5) avait pourtant affirmé l’importance morale de la « sentience ». Pour lui, en effet, la question n’était pas « peuvent-ils raisonner ? » ou « peuvent-ils parler ? » mais « peuvent-ils souffrir ? » Peter Singer reprit cette idée, en 1975, dans Animal Libération (6) et affirma que tout être sentient a des intérêts et qu’avoir des intérêts fonde le statut moral. Il appela ainsi « spécisme » (7) le fait que nous ne prenons pas – ou moins – en compte les intérêts des êtres sentients non humains, par rapport aux intérêts des humains. Les auteurs « antispécistes » (8) pensent, quant à eux, que la « sentience » est la condition nécessaire – et, pour beaucoup d’entre eux, suffisante – au statut moral.
La relation entre humain et animal est généralement à sens unique. Pour les humains, le vivant non humain n’est digne que de peu d’égards, sauf s’il est source de profit, et encore moins de droits. Mais la prise de conscience du grand public de la sensibilité des animaux conduit nécessairement à un changement dans cette relation, même si elle met beaucoup d’humains mal à l’aise. Cela nous arrangeait bien de considérer, en effet, que les poissons ne ressentent rien quand nous les pêchons pour les manger ou, tout simplement, pour pratiquer une pêche sportive, même « no kill« , où l’on remet les prises dans l’eau…
En enfer, ils y sont déjà !
Pareille prise de conscience peut également contribuer à mettre certaines catégories de la population dans une position inconfortable. Des études récentes ont montré que les éleveurs sous-estiment généralement la douleur ressentie par leurs animaux, lors de certaines opérations comme la castration des porcelets et l’écornage des bovins… Ils font preuve d’états de reconnaissance très diversifiés par rapport à la souffrance ressentie par leur bétail. Nier cette souffrance ou la minimiser est la seule façon qu’ils trouvent, bien souvent – et on peut les comprendre -, pour continuer à gagner leur vie dans la filière de l’élevage, en se protégeant du mal-être qu’engendrerait, ou pas, la reconnaissance de la souffrance éventuelle de leur bétail. Ce constat s’étend à nous tous, dans notre grande majorité. Continuer à nier une réalité, nouvellement prouvée par la science, nous exempte de remettre en cause des comportements acquis depuis de nombreuses générations.
« L’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà« , disait Victor Hugo, au XIXe siècle. Cette citation est d’autant plus vraie, à l’heure actuelle, alors que l’élevage intensif, dans le cadre de fermes-usines, a pour objectif premier la maximisation des profits au détriment du bien-être des animaux. Mais aussi de celui des éleveurs… Ce modèle hyper-consumériste – qui se voudrait inéluctable, dans le monde actuel – oblige les animaux concernés à réduire leur niveau, ou quantité, de conscience afin de survivre, tout en tentant d’assurer ce qui semble être leur objectif premier, à savoir la perpétuation de leur espèce. Et cela, dans des conditions véritablement dignes d’un enfer, que sont l’enfermement, la nourriture trafiquée, la sélection génétique et génomique, et la non-reconnaissance de leurs besoins comportementaux.
D’autre part, l’humanisation de l’animal sauvage – notamment dans les films et les documentaires – change les représentations que nous avions d’eux, en ôtant sa bestialité à l’animal sauvage. Le rôle de l’animal domestique, lui aussi, s’est modifié : après être entré dans nos foyers, il est dorénavant considéré comme un membre de la famille. Certains gardiens humains lui font jouer un rôle qui devient parfois délétère quand il lui est demandé de se comporter d’une façon qui ne lui est pas naturelle mais qui plaît à l’humain, dans sa dérive anthropomorphique.
Pareil processus élève peut-être le niveau de conscience de certains animaux, mais au prix d’une grande souffrance nécessaire à leur adaptation et qui a pour conséquence qu’on peut diagnostiquer, chez eux, les mêmes pathologies mentales que chez les humains. Qu’en est-il alors de la notion de « sentience » ou de conscience ? L’adaptation et la survie sont-elles à ce prix ?
« Le jour où on comprendra qu’une pensée sans langage existe chez les animaux, nous mourrons de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos rires. » Cette conclusion appartient à Boris Cyrulnik, dans son livre intitulé Mémoires de singe et paroles d’homme (9)…
Notes :
(1) Voir : www.missionsentience.org
(2) Sneddon, L.U. & Leach, M. (2016). “Anthropomorphic denial of fish pain”. Animal Sentience, 1(3) et “How can we know whether fish feel pain? Epistemology of the scientific study of fish sentience” Victor Duran-Le Peuch (sur academia.eu)
(3) Dr Steven Laureys & Al, Cerveaugraphie, Hachette, 2022, p.13
(4) Giulio Tononi & Al., Integrated information theory : from consciousness to its physical substrate, in Nature Reviews Neuroscience volume 17, pages 450–461, Published 26 May 2016
(5) Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, 1789
(6) Peter Singer, La Libération animale, réédité aux éditions Payot, en 2012.
(7) Selon le Petit Robert : idéologie qui postule une hiérarchie entre les espèces, spécialement la supériorité de l’être humain sur les animaux.
(8) Mouvement de pensée revendiquant que l’espèce à laquelle appartient un animal ne soit jamais un critère pour décider comment il doit être traité, ni de la considération morale qu’on doit lui apporter. Il est donc parfaitement injuste, à leurs yeux, de chérir les chats et de manger les cochons…
(9) Boris Cyrulnik, Mémoires de singe et paroles d’homme, réédité chez Hachette Pluriel, en 2010.
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Rêverie anonyme d’un promeneur solitaire
Aussi anonyme que l’oiseau de passage, il atteint le pied d’une des « machines à vent ». La Hesbaye alentour ne montre que des cultures sans haies, regorgeant de néonicotinoïdes. Etourdi par le vent qui assèche la surface qu’a depuis longtemps désertée le bétail, les pieds prisonniers d’une gadoue sans vers, il songe et peu à peu suspend au vol l’oiseau de passage…
Illumination collective d’écologistes atterrés
Et pourtant elle tourne, la « machine à vent » ! Mais lui, le promeneur solitaire, qu’est-il donc venu faire là, ahanant dans le cache-nez, la tête emballée dans la capuche de l’anorak ? Il a trop chaud ! L’oiseau de passage, la grand éolienne… Il avait voulu voir. Un oiseau, plus tôt dans la journée, avait percuté la vitre du living, le verre étincelant dans la lumière d’hiver l’avait stoppé net. Son instinct d’animal aux abois avait alors jeté dehors notre promeneur. Il avait pris la route, la tête en désordre, le chemin de remembrement, puis un plus petit sentier encore…
Le petit carnet au fond de la poche…
Chemin faisant, sa raison de scientifique reprit progressivement le dessus sur l’émotion trop brute. « Voyons. Un hachoir électrique ? 3.800 tours/minute. Le sèche-linge ? Autour de 1.000. Mon ventilateur ? 200 tours/minute. L’éolienne dans la campagne ? 14 tours/minute… » Oui. Mais si l’oiseau de passage vient à heurter le bord de la pale ? Sans doute, un grand aventurier alors, le volatile, extrêmement intrépide. Et particulièrement distrait ! Il avait saisi le calepin qu’il gardait toujours en poche et s’était mis à griffonner. Il était ensuite revenu plusieurs fois pour griffonner encore…
« J’habite une région de Hesbaye riche en éoliennes, à la frontière des provinces de Namur et de Brabant wallon, je suis un peu ornithologue et, depuis quelques années, je suis étonné par ce que je lis et entends sur la mortalité des oiseaux liée aux « moulins à vent »… Alors j’ai décidé d’en avoir le cœur net par moi-même. J’ai prospecté neuf des dix-sept éoliennes de mon environnement le plus proche, entre le 1er août et le 1er novembre 2022…
Si j’ai choisi cette période, c’est parce qu’elle concentre traditionnellement l’essentiel des migrations automnales d’oiseaux, surtout nocturnes. C’est aussi parce que le sol est nu, débarrassé de ses cultures, ce qui facilite la découverte de cadavres ou de fragments d’oiseaux. J’aurais voulu faire les dix-sept éoliennes mais cela n’a pas été possible car certaines cultures – maïs et betteraves – étaient encore présentes et rendaient toute prospection peu fiable. Les cultures de pommes de terre étaient encore là mais complètement brunies par l’usage des défoliants habituels, pulvérisés quelques jours avant mon passage, ce qui a rendu parfaitement fiable la prospection de ces zones… L’avantage de cette série d’éoliennes est qu’elles sont situées, grosso modo, dans un axe est/ouest, soit un axe plus ou moins perpendiculaire à l’axe principal de migration nord/sud et qu’elles pourraient être considérées, en quelque sorte, comme un « barrage » aux vols d’oiseaux… »
La raison, hors le vent…
« Ma méthode fut la suivante : j’ai prospecté chaque éolienne dès que la culture a été récoltée et avant qu’un nouveau labour, ou un nouveau semis, soit pratiqué. Sur un tel sol de terre nue, la visibilité est grande – pas ou plus la moindre végétation -, ce qui augmente les chances de trouver un oiseau mort. J’ai parcouru à pied, systématiquement, le double de la surface occupée par les pales, soit environ un kilomètre et demi, en moyenne, par éolienne – distance attestée par mon fidèle podomètre ! Pour être sûr de ne laisser passer aucun cadavre d’oiseau, ou reste d’oiseau heurté par les pales, j’ai systématiquement doublé ma prospection radiale par une prospection quadrilatérale, ce qui explique cette distance moyenne d’un kilomètre et demi. Chaque fois que ce fut possible, je suis monté, en plus, sur les escaliers extérieurs qui se trouvent au pied de l’éolienne afin de chercher avec ma paire de jumelles des cadavres d’oiseaux, à partir d’un point situé en hauteur, en (re-) balayant les lieux très lentement. Je crois que rien n’a pu m’échapper. Le résultat fut le suivant : sur les neuf éoliennes, j’ai trouvé deux cadavres de rapaces de type buse, un cadavre de faucon crécerelle et deux cadavres de pigeon, domestique ou sauvage. Notons que quatre de ces cinq oiseaux provenaient probablement de l’éolienne située le plus près d’un bosquet.
Alors maintenant, discutons car ce résultat empirique peut, bien sûr, être discuté. Dans une étude vraiment scientifique, il aurait fallu le corréler à la vitesse et à l’orientation du vent, au relief des lieux, aux températures du nord de l’Europe – qui enclenchent les migrations, faute de nourriture pour les oiseaux insectivores, etc. Il aurait également fallu, idéalement, le compléter par des observations réalisées ailleurs dans le pays, par exemple sur les reliefs ou à la côte, ou sur des éoliennes disposées autrement…
Mais quand même… Je crois que ces observations peuvent apporter leur petite contribution à des débats passionnels à l’excès. Je m’attendais à trouver bien plus de cadavres sous les éoliennes. Cette mortalité est très, très faible, à mes yeux, si on la compare à d’autres formes de mortalité causées par nos infrastructures ou à notre modèle agricole : perte d’habitats favorables à l’avifaune, heurts par des voitures, pesticides, etc. Aucune espèce typiquement migratrice n’a été trouvée au pied des éoliennes, même si les cinq individus trouvés peuvent être considérés comme des migrateurs potentiels. »
Bon, eh bien, alors, quoi ?
Dans le carnet de notes du promeneur anonyme et solitaire, on lit encore ce qui suit…
« Accessoirement, j’ai été frappé par deux choses. Primo, la quantité énorme de déchets plastiques – petits et grands – présents dans nos champs qui, tôt ou tard, seront absorbés par les labours et aboutiront – probablement – dans nos assiettes ! Secundo, la forte densité de trous de micromammifères dans les petites parcelles de pelouse situées au pied immédiat des mâts d’éoliennes, indique que ces îlots verts – si réduits soient-ils – constituent les ultimes refuges pour cette microfaune, dans un environnement fortement industrialisé : passage de véhicules lourds et usage régulier de composés chimiques…
Si la méthode utilisée ici peut être critiquée à l’envi, je demande alors à tous ceux qui dénoncent la « mortalité dramatique » (sic) d’oiseaux causée par les éoliennes de me montrer des sources scientifiques crédibles afin de contribuer, peut-être, à un éclairage raisonné et raisonnable de cette question. D’où viennent les chiffres régulièrement cités dans les études d’incidence brandies par les opposants au parcs éoliens ? Comment furent réalisées les prospections ? Dans quel type de milieu, de région ? A quelle époque ? Les données viennent-elles uniquement de modèles ? En toute chose, les généralisations ne polluent-elles pas les débats ? »
Le petit carnet du solitaire anonyme fut ensuite abandonné au vent mauvais. Sans doute le promeneur s’était-il envoyé promener ailleurs. Au dos de la couverture, on pouvait lire ces quelques mots : « bien sûr, ce petit texte peut être utilisé mais, vu la tonalité habituelle des commentaires diffusés sur les réseaux sociaux et ailleurs, n’y mettez surtout pas mon nom… Merci. »
La morale de cette histoire ?
Quelques écologistes atterrés, par le plus grand des hasards, mirent la main sur le petit texte du citoyen promeneur et décidèrent qu’il ne pouvait pas rester lettre morte sur la terre morte. Face à l’impossibilité d’un débat serein et devant le mépris croissant de l’intérêt général et du bien commun dans les méthodes dont usent et abusent certains intérêts particuliers, ils le conservent impavidement au fond de la poche anonyme d’un vieil anorak et s’en vont rêver, de temps à autre, à l’oiseau de passage, du côté de la « machine à vent »… Après avoir compris la nécessité d’une cartographie précise de l’implantation éolienne qui tienne compte des zones d’exclusion proposées par Natagora, ils répondent à ceux qui affirment toujours que les éoliennes hachent menu les oiseaux dans le ciel, : « oui, oui, tellement fin qu’on ne les retrouve même plus… »
Cela plaît beaucoup aux complotistes de tous bords qui ignorent sans doute que les chats sont les premiers responsables des « disparitions inexpliquées » d’oiseaux. Mais nous ne leur en voulons pas – aux chats ! -, c’est la nature… Les autres gens, ceux à qui il demeure un peu de raison dans la tête, auront médité les études qui comptent, comme celle-ci, par exemple, qui estime la mortalité avicole à 0,4 individu par GWh éolien, contre 5,2 individus par GWh fossile (1)… Bon, on peut bien sûr toujours se tromper, encore faut-il pouvoir en discuter. Mais il faut toujours être deux pour faire un beau match, et que l’adversaire ait quelque chose à opposer d’un peu sérieux. Sinon ça devient vite lassant…
Note :
(1) https://ideas.repec.org/a/eee/enepol/v37y2009i6p2241-2248.html
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
La Wallonie doit garantir les conditions d’utilisation des pesticides afin de protéger la population et de préserver la biodiversité ! Or l’agriculture biologique inscrit précisément son histoire dans le refus d’une agriculture chimique. Les producteurs et consommateurs membres de Nature & Progrès sont parties prenantes de cette évolution. Animés par un idéal commun, ils font progresser la bio qui, malgré son développement croissant, reste contaminée par les pesticides de l’environnement, des sols et des lieux de vie…
Par Isabelle Klopstein
Depuis plus de cinquante ans, sans concession, les acteurs de l’agriculture biologique produisent une alimentation saine et durable, sans pesticides ni engrais chimiques de synthèse. Les cahiers des charges du bio ont permis de faire connaître les pratiques à mettre en place sur la ferme pour cultiver les plantes et élever les animaux sans intrants chimiques. Et quelle avancée ! Aujourd’hui, l’agriculture biologique représente 15 % de la surface agricole utile, en Belgique, et le Gouvernement wallon s’est engagé, en 2019, dans sa Déclaration de politique régionale, à tout mettre en œuvre pour arriver à 30 % en 2030. Pourtant, malgré ce succès, la pollution de notre environnement par les pesticides est indéniable…
30 % de bio, en 2030, ne suffiront pas à rendre notre agriculture durable !
Si l’industrie des pesticides se targue volontiers d’être pionnière dans la collecte de pesticides inutilisés et dans le recyclage des emballages, elle a jusque-là lamentablement échoué à innover pour contenir la migration de pesticides à risque, hors des lieux de traitement. La maîtrise des dérives de composants chimiques, de plus en plus toxiques, qui s’accumulent dans l’environnement – quelques dizaines de grammes à l’hectare peuvent suffire à éradiquer insectes et adventices – devraient être un enjeu majeur pour ces fabricants. La dérive de pesticides est une grave menace pour l’agriculture biologique qui est basée sur les équilibres naturels. Le contrôle d’insectes dommageables pour les cultures – les pucerons, par exemple – repose notamment sur la présence d’insectes prédateurs – par exemple, les coccinelles -, dits insectes auxiliaires, qui participent à la lutte biologique. La plupart de ces insectes peuplent les milieux naturels : bordures de champs, haies, talus, bosquets, bandes fleuries… La dérive de pesticides met donc en péril les possibilités de régulation naturelle des populations d’insectes prédateurs sur les cultures biologiques.
Quelle est l’utilité de permettre la multiplication d’insectes, en plantant des arbustes et des haies, le long des champs, s’ils sont détruits par les dérives de pesticides ? Installées en bordure de champs, ces haies deviennent de véritables pièges à insectes. D’un point de vue environnemental, c’est une catastrophe ! En Belgique, l’irresponsabilité de l’industrie face aux dérives de ses propres produits se combine à la grande permissivité administrative vis-à-vis des pesticides, pourtant liés à des maladies chroniques comme les cancers, les problèmes cardiovasculaires, le diabète, ainsi qu’à des effets importants sur le système immunitaire, le développement cérébral, la thyroïde et les maladies neurodégénératives.
Les mesures anti-dérives actuelles ne protègent pas les populations
L’exposition environnementale – non alimentaire – de la population wallonne aux pesticides a été étudiée, entre 2016 et 2018 – voir les études Propulppp et Expopesten menées par l’ISSeP (Institut Scientifique de Service Public) (1). Les résultats de ces études ont confirmé la dérive de pesticides à usage agricole dans les lieux de vie des Wallons : cours d’écoles, salles de classe, jardins privés et habitations… Le projet Expopesten indique notamment que les enfants qui vivent dans des zones d’expositions sont contaminés par des insecticides perturbateurs endocriniens pouvant induire des problèmes de développement cérébral, d’autisme, d’obésité, de diabète et de cancers !
La première campagne de biosurveillance wallonne, menée en 2021, a révélé que plus de 90% des adultes et adolescents participants étaient contaminés par un produit de dégradation – qu’on nomme « métabolite » – d’insecticides neurotoxiques – insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés – susceptibles notamment d’altérer le développement cérébral du fœtus et d’affecter les apprentissages et le comportement ultérieurs des enfants. Le glyphosate, interdit d’usage dans la sphère privée, depuis juin 2017 – mais toujours utilisé par Infrabel pour désherber les chemins de fer ! -, a été retrouvé dans un quart des échantillons. D’autres pesticides, bien qu’interdits depuis plusieurs décennies, ont également été détectés chez 20% des participants.
Ces résultats d’analyse de l’exposition aux pesticides en Wallonie sont sensiblement semblables à d’autres résultats observés ailleurs en Europe. Une nouvelle étude italienne confirme que, malgré les mesures anti-dérives prises par les autorités locales, certaines substances susceptibles de nuire à la santé humaine ont été détectées dans les terrains de jeux et les cours d’école. C’est le cas du fluazinam, fongicide soupçonné de causer des dommages à l’enfant, qui a été détecté dans 74 % des sites contaminés. Ce pesticide est également autorisé en Belgique sur les pommes de terre, les oignons et les plantes ornementales.
L’invisibilité des coûts environnementaux et sanitaires des pesticides en Belgique
Les dépenses publiques liées à l’utilisation des pesticides de synthèse – comprenant la protection de la biodiversité ou le traitement des maladies attribuables à leur exposition -, viennent de faire l’objet d’une recherche approfondie en France (2). Les résultats révèlent un coût total de 372 millions d’euros, soit plus de 10% du budget annuel du Ministère français de l’agriculture, en 2017 ! Nature & Progrès déplore le fait qu’une telle évaluation serait particulièrement ardue à mener en Belgique, les données liées à l’usage de pesticides y étant soit inexistantes, soit incomplètes ou inaccessibles. Nous nous investissons pourtant pour mettre un terme à la contamination de nos paysages et de nos lieux de vie. Cette cause partagée par d’autres organisations de protection de l’environnement comme nos partenaires wallons et européens : Canopea (ex-IEW) et Pesticide Action Network Europe (PAN Europe). Ensemble, nous agissons sur deux plans :
– auprès des autorités fédérales pour les conditions d’autorisation des pesticides les plus nocifs,
– auprès des autorités wallonnes pour préciser les conditions d’utilisation de ces pesticides.
Au fédéral, Nature & Progrès dénonce les conditions d’autorisations de pesticides nocifs pour la santé et l’environnement. La gestion des risques, dans ce domaine, est directement liée aux conditions d’autorisation du pesticide commercialisé. Celles-ci relèvent des instances fédérales. Suivant la procédure en place, l’autorisation d’un pesticide à risque pour l’entomofaune – les populations d’insectes – est conditionnée à la mise en place de mesures anti-dérives sensées protéger les insectes. Cela n’a pas empêché l’administration fédérale d’autoriser, au printemps dernier, un insecticide pyréthrinoïde à base de tefluthrine, une substance dangereuse pour les abeilles et les bourdons, sans aucune mesure de protection spécifique.
Nature & Progrès intervient régulièrement pour dénoncer certaines autorisations abusives des pesticides les plus dangereux pour l’environnement et la santé, et pour lesquels aucune mesure de réduction du risque n’est compatible avec les pratiques agricoles. Ce fut le cas du sulfoxaflor – un insecticide très toxique pour les abeilles – dont l’autorisation a été conditionnée à la gestion des plantes adventices visitées par celles-ci. Mais est-il réaliste d’attendre des agriculteurs qu’ils contrôlent, eux-mêmes, la floraison des plantes adventices avant chaque pulvérisation ?
Avec PAN Europe, nous avons intenté trois actions en justice pour nous opposer aux dérogations d’insecticides interdits : les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles – voir Valériane n°156. Celles-ci sont toujours en cours et ont été portées devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Des conditions d’utilisation règlementées par des lois régionales
Depuis bientôt dix ans, Nature & Progrès intervient auprès des autorités wallonnes pour que l’utilisation des pesticides autorisés se fasse, au minimum, dans le respect des conditions d’utilisation. Ce qui est tout de même un comble ! Ces conditions d’utilisation sont encadrées par un arrêté de 2013, mis en œuvre par le ministre de l’Environnement de l’époque qui avait défini les règles principales d’utilisation des pesticides, avec une attention particulière en ce qui concerne les règles de détention et de manipulation.
En 2018, diverses mesures sont venues compléter cette réglementation, dont l’interdiction des traitements pesticides pendant les heures de fréquentation, à moins de :
– cinquante mètres des espaces fréquentés par les élèves – écoles, internats -, les crèches,
– dix mètres des aires de jeux, des aires pour la consommation de boissons et de nourritures,
– cinquante mètres des hôpitaux publics et privés, maisons de repos, lieux accueillant des personnes handicapées.
En outre, au niveau des parcelles agricoles, il est interdit depuis lors de pulvériser lorsque la vitesse du vent est supérieure à vingt kilomètres/heure. L’utilisation d’un matériel d’application réduisant la dérive au minimum de moitié est également devenue obligatoire. Toutefois, au niveau wallon, Nature & Progrès déplore une ambition de mise en œuvre très insuffisante !
Bien que les grandes lignes encadrant l’utilisation des pesticides fussent définies, dès 2018, Nature & Progrès déplore une ambition de mise en œuvre largement insuffisante. Par exemple :
– les pulvérisations de pesticides sont interdites lorsque la vitesse du vent est supérieure à vingt kilomètres/heure, alors que même les fabricants de pesticides les déconseillent au-delà de… dix-huit kilomètres/heure !
– de même, la pulvérisation est interdite autour des lieux fréquentés par les publics sensibles mais rien n’est prévu pour les lieux d’habitation : un enfant est donc plus protégé dans une cour de récréation que dans son propre jardin ! De plus, les dits lieux n’ont pas encore été définis…
Conscients des manquements liés aux conditions d’utilisation des pesticides en Wallonie, nous avons contacté, dès son entrée en fonction, la Ministre wallonne de l’Environnement pour qu’elle organise la révision de cet arrêté. A minima, nous souhaitons que soient précisées les conditions d’utilisation des pesticides et une interdiction de leur usage près des lieux d’habitation et de fréquentation par les publics sensibles.
Très inquiets par la lente avancée de ce dossier et par le risque que cette révision ne soit plus possible sous cette législature-ci, nous avons contacté la Ministre pour l’informer de l’urgence de continuer le travail entamé par ses prédécesseurs afin de rendre effectif l’arrêté d’utilisation des pesticides et de garantir enfin une gestion des conditions de leur utilisation.
Les modalités de contrôle des mesures anti-dérives en Région Wallonne
Autre importante source d’inquiétudes pour Nature & Progrès : le contrôle du respect de la mise en œuvre des conditions d’utilisation est également de la responsabilité de la Ministre de l’environnement de la Région wallonne ! Nature & Progrès a lui donc récemment adressé un courrier, lui demandant des précisions concernant :
– les modalités du contrôle de l’utilisation des pesticides,
– la manière dont ces mesures de prévention sont mises en œuvre par les utilisateurs de pesticides, notamment les mesures anti-dérives et le respect des distances de traitement,
– la mise en œuvre de conditions de protection des zones refuges pour l’entomofaune – haies, surfaces semées de plantes mellifères… -, en bordure de parcelles traitées,
– les résultats des contrôles effectués auprès des utilisateurs de pesticides durant les deux dernières années,
– la mise en place de mesures concrètes de protection de l’environnement et de la biodiversité.
Si nous ne voyons évidemment aucun avenir en dehors de l’agriculture biologique – une agriculture totalement exempte de pesticides -, nous sommes évidemment bien conscients que tout le monde ne partage pas cette vision. Il demeure néanmoins très contestable que les firmes qui fabriquent des pesticides ne soient jamais responsabilisées quant à la dispersion de leurs produits dans l’environnement. Rien ne justifie, en effet, qu’un pesticide utilisé à un endroit précis se retrouve dispersé ailleurs.
Il est donc grand temps, à nos yeux, de responsabiliser enfin les fabricants les pesticides quant à la dispersion de leurs produits dans l’environnement : si la dérive d’un pesticide ne peut pas être contrôlée, alors ce pesticide ne doit tout simplement pas être autorisé. Pour notre santé et celle de la terre !
Notes :
(1) Voir : https://www.issep.be/expopesten-2/ et https://www.issep.be/wp-content/uploads/PROPULPPP_R%C3%A9sum%C3%A9.pdf
(2) https://uclouvain.be/en/research-institutes/eli/news/les-couts-caches-des-pesticides-s-eleveraient-de-370-millions-a-plusieurs-milliards-d-euros-par-an-pour-la-france.html
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Je compte les ustensiles de cuisine de quatre appartements et maisons entières, histoire de voir jusqu’où culmine notre obstination à consommer. Nos existences sont façonnées d’objets que nous soutirons à la Terre, comme toutes nos ressources du reste. Depuis deux ou trois centaines d’années, nous lui retournons en échange uniquement des déchets. Manque d’élégance ou inconscience, nous précipitons ainsi notre extinction. Le vivant terrestre ploie.
Par Alain Maes
Partie 1 – Une seule brique dans le ventre ?
Simultanément aux comptages des objets, je mesure les volumétries des armoires qui accueillent tous ces magnifiques machins que nous possédons, toutes et tous, en grandes quantités. Je mets en relation leur nombre et la volumétrie des armoires derrière lesquelles ils sont cachés. J’ai longtemps pensé que les jeunes possédaient moins d’objets, par défaut de rangements. Ne sachant pas les ordonner avec élégance dans les armoires, ils ne peuvent pas accumuler, comme Papa et Maman…
Préjugé
Que nenni ! Grosse erreur. Pris en flagrant préjugé ! À ma grande surprise, je constate que les jeunes, comme les moins jeunes, bourrent leurs armoires avec autant de talent. La tranche d’âge des 20/34 ans entasse, en moyenne, deux cent soixante objets par mètre cube, les 35/59 ans entassent deux cent septante-sept objets par mètre cube, les 60/64 ans entassent deux cent nonante-sept objets par mètre cube. Globalement, ils oeuvrent de concert. Bien entendu, quelques champions caracolent au-dessus, au pinacle, un couple de 35/59 ans entasse jusque quatre cent quatre-vingt-cinq objets au mètre cube et un autre dans la tranche 60/64 ans agglutine six cent onze objets au mètre cube. Il s’est trouvé aussi une jeune capable d’entasser trois cent quatre-vingt-un objets par mètre cube. Nous observons quand même que l’expérience de vie – avec l’âge – facilite les qualités extraordinaires de rangement.
Ce qui différencie, en définitive, les scores élevés de nos aînés, c’est le nombre d’armoires ! Les 20/34 ans disposent, en moyenne, de 1,7 mètre cube d’armoire, les 35/59 ans de 3,4 mètres cubes – c’est le double ! – et les 60/84 ans détiennent 4,2 mètres cubes de rangements – c’est encore un tiers en plus. Comme déjà signalé précédemment, le pouvoir d’achat ne permet pas aux jeunes de suivre leurs ainés, pourtant l’envie ne manque pas, nous allons le voir plus loin. Et puis Sapiens copie Sapiens, les jeunes « apprennent » en observant les « grands », leur aînés, pour leur grande majorité. Puisque le nombre d’objets est signe de richesse, il n’y a aucune raison objective de croire que nos jeunes ne vont pas tenter l’exploit d’emmagasiner plus que leurs vieux. Les jeunes qui résistent au consumérisme sont peu nombreux et fortement tiraillés. Sortir du troupeau isole.
Tant que j’y suis…
Et rien que pour rigoler à gorge déployée, une bonne fois encore – puisque la fin de l’humanité approche -, je compte tous les objets de quatre habitations. Même mode opératoire que pour les cuisines, même entrain, nouveau bordereau : un pull, un t-shirt, un pantalon, une jupe, un slip, un ordinateur, un ceinturon, un serre-tête, une souche du magasin, une boucle d’oreille, un bracelet, tout compte pour un. Le GSM et sa coque font deux. Je ne compte toujours pas les produits d’entretien. Mais bien les sacs et sacoches, les chaussures, les gants de toilettes, les pyjamas, les marteaux et les manteaux, les « tchinisses », les clous et les colsons – par paquets -, les tondeuses, je compte tous les objets de toutes les pièces de l’habitation. De la cave au grenier, en scrutant, tout comme la géologue collationne le moindre événement des entrailles de la Terre. Je n’oublie pas le jardin, ni le balcon. Tout et absolument tout est compté ! Ce n’est pas compliqué à comprendre…
Un couple de jeunes de 25/29 ans entasse sept cent vingt-neuf objets dans un studio de cinquante-cinq mètres carrés. C’est « le » couple le moins consumériste de toute mon enquête. Un autre couple – père et fils adulte – entassent neuf mille deux cent septante-deux objets usuels dans une maison de deux cent seize mètres carrés (1), auxquels nous ajoutons les objets de travail du père qui bosse à domicile – votre serviteur ! – qui sont au nombre de quinze mille deux cent soixante-six ! Un dernier couple de pensionnés en visites alternées – voir illustration ci-contre – dispose de deux appartements (2) d’une superficie totale de cent septante mètres carrés – septante-neuf et nonante-et-un -, plus caves et garages. Ils entassent vingt-deux mille cinq cent quatre-vingt-trois objets dans leurs deux habitations. Henri, de son côté, « collectionne », en plus, quatorze mille cent trente-sept feuilles A4. Calculatrice à la main et une règle de trois, apprise à l’école primaire, me permet de projeter l’encombrement moyen d’une famille « standard » de trois personnes : dix-sept mille objets environ ! Plus les objets du travail, plus les objets de loisirs comme les piscines, les stades, les musées, les boîtes de nuit par exemple, plus les objets des transports communs comme les routes et leur éclairage, les autobus et les trains… Nous consommons une quantité incroyable d’objets en tous genres, de toutes les utilités et inutilités, dont toutes les matières premières sont « volées » à la Terre, parfois à prix d’or et sans jamais aucune contrepartie. Rien ne se construit qui ne soit extirpé du sol. La masse anthropogénique (3) est considérable – je reviendrais sur ce point cardinal dans le troisième article -, comme un couvercle sur une cocote sous pression.
« Y a un peu plus, je vous le laisse ? »
Minute papillon ! Dès lors que les cuisines sont comptées, je rassemble mes hôtes adultes autour de la table. Je leur fournis une feuille millimétrée et leur explique qu’un carré de dix millimètres de côté représente un mètre carré. Toutes et tous se plaignent d’avoir deux mains gauches, mais toutes et tous dessinent très bien. Sur cette feuille de papier, je leur demande de dessiner leur habitation telle qu’ils la perçoivent. Puis, dans un deuxième élan de générosité envers mon enquête, je leur demande de dessiner leur habitation telle qu’ils la souhaiteraient. Enfin, dès qu’ils ont terminé, je mesure et je dessine moi-même leur maison sur une autre feuille millimétrée – voir illustration ci-contre. La comparaison des trois est instructive. Pour faire simple, la tranche d’âge 20/34 ans qui possède une habitation d’une moyenne de quarante-six mètres carrés par personne désire – à 71 % – une augmentation de quatre-vingt-quatre mètres carrés par personne, soit presque le double ! Il me faut vous rappeler que cette tranche d’âge va bientôt en avoir dans la poche. Leur portefeuille va bientôt enfler, ils vont avoir les moyens de leurs désirs… La tranche d’âge 30/34 ans qui possède une habitation d’une moyenne de soixante-et-un mètres-carrés par personne désire – à 42 % – une augmentation de quatre-vingts mètres carrés et demi. Globalement, les demandes de cette tranche d’âge rencontrent celle des jeunes qu’ils ont été, il y a peu. Nous pouvons peut-être y voir un semblant de vérité, ce qui nous attend dans un avenir proche. La dernière tranche d’âge de 60/84 ans qui possède quarante-sept mètres carrés par personne désire – à 47 % – une augmentation de septante-six mètres-carrés et demi.
Un enseignement : les jeunes et les vieux ont la même volumétrie moyenne par personne à leur disposition, soit quarante-six et quarante-sept mètres-carrés. La tranche d’âge médiane, qui doit compter sur des enfants à charge, requiert de plus grandes habitations, et c’est normal. Ce qui inquiète par contre, à l’aune de la diminution radicale des consommations d’énergies fossiles et autres, c’est le désir que manifestent six personnes sur dix de la population visitée lors de cette enquête d’augmenter leur espace de vie de 62 %, pour déplacer la moyenne de la maison de cent soixante mètres carrés et demi à presque deux cent soixante mètres carrés, pour trois personnes. Nous voyons que cette projection recouvre et prolonge le désir explicité des jeunes de 20/34 ans. Ce qui équivaudrait à redistribuer les terres à quatre-vingt-six mètres carrés par personne. Une folie quand on sait que de plus grandes maisons comporteront plus d‘armoires plus volumétriques…
Pour terminer…
Oui, pour terminer sur ce qui nous reste de bonnes nouvelles à répandre, presque quatre personnes – quand même ! – sur dix pourraient vivre dans… quarante mètres carrés par personne ! C’est en tout cas leur souhait qui reste à mettre en pratique, bien entendu. Sans oublier qu’une personne sur dix est satisfaite par les espaces dont elle dispose, qu’ils soient grands ou petits, c’est-à-dire qu’ils oscillent de treize à… trois cent quatre-vingt-deux mètres carrés par personne, en passant par soixante-neuf, cent quatorze, cent quatre-vingts et deux cent vingt mètres carrés, par exemple. Nos besoins ne sont clairement pas comparables quand de telles distances opposent, comme des extrémités, nos choix individuels, nos modes de vie. Ils sont rationnellement inexplicables, comme l’étaient le nombre d’objets stratifiés de nos habitations.
Partie 2 – Il ploie, il ploie, le vivant…
L’espoir d’éviter le scénario catastrophe est mince tant les indicateurs sont cramés. La performance qui nous attend est simple : diviser par quatre notre emprunte carbone pour 2050, afin de limiter le réchauffement climatique à 2°C. Cela veut dire – à peu de choses près – diviser toutes nos consommations par quatre, à commencer par ces innombrables objets de « malheurs » que nous chérissons toutes et tous.
Quel est votre style de vie ?
À titre d’exemple, la seule fabrication d’un jeans 100% coton, que nous possédons toutes et tous en plusieurs exemplaires, requiert plus de vingt-cinq étapes accompagnées par autant de machines fonctionnant toutes aux énergies fossiles. Disséminées aux quatre coins de la planète, les matières premières du jeans et des machines sont rassemblées dans un lieu de fabrication, à grands renforts d’énergies fossiles. Une fois terminés, les pantalons sont renvoyés, par transports intercontinentaux – les avions et les bateaux fonctionnent aussi aux énergies fossiles – aux quatre coins de la planète, chez des distributeurs. Pour le Bénélux, par exemple, ce distributeur envoie, par transports routiers – énergies fossiles encore – toutes les caisses de vêtements dans les magasins de la marque en Belgique, en Hollande et au Luxembourg. Ensuite, nous faisons nos courses en voitures, elles aussi polluantes. Les voitures, même électriques, demandent une somme considérable d’énergie fossile pour leur fabrication, leurs entretiens, leurs réparations. Quelques mois plus tard, juste après son remplacement, le jeans « usagé » ou démodé retrouve la filière des immondices. Recyclés ou non, il consomme une dernière fois de l’énergie fossile. Et je ne parle pas des invendus…
Je me souviens du jour où le « pédégé » d’une marque interplanétaire américaine de sport, devant une audience acquise à son business, a lâché sérieux comme seul un arracheur de dents peut l’être : « je ne vends pas des vêtements, mais bien du style de vie. » Le bougre ! Le malheur veut que – grâce à la pub – le style – prononcez stâile à l’anglaise – change tous les six mois – quand tout va bien. La salopette du magasin vous tente ? Si celle-ci est un vêtement, elle durera bon gré – mal gré de cinq à dix ans. Si votre salopette est un style de vie, elle durera six mois, le temps que la mode change. Vendre du style de vie plombe, dès lors, bien plus le climat que tous les objets réunis dont nous avons réellement besoin, c’est une évidence. Chaque classe sociale, chaque sport, chaque profession, chaque âge, chaque genre humain a son style de vie, facile alors d’imaginer la déferlante. Le renouvellement est permanent. Le renouvellement est « la » raison d’être du capitalisme.
Comparons l’incomparable
La revue Nature, nous informe qu’en 2020 la biomasse et la masse anthropogénique sont équivalentes. La biomasse c’est, entre autres, 82% d’arbres et de plantes, 13% de bactéries, 0,4% d’animaux dont 2,5% de Sapiens. Ce qui revient à dire que l’homme et la femme représentent 0,01% de la biomasse. La biomasse, c’est le vivant sur Terre. De l’autre côté, la masse anthropogénique, c’est tous les objets solides construits par Sapiens, les maisons, les routes, les usines, les voitures, les ordinateurs, les objets, les vêtements, etc. En d’autres termes, un Sapiens adulte construit dix mille fois – 10.000 fois ! – sa propre masse pour subsister ! Si et seulement si nous plaçons tous les Sapiens de la planète sur le même pied de consommation. Mais un Zambien ou une Équatorienne, par exemple, n’ont pas notre mode de vie dispendieux. Le Sapiens occidental consomme combien de fois plus que ces deux autres Sapiens localisés à des endroits de la planète moins achalandés ? Cinq ? Dix ? Plus ?… Un total qu’il faudra multiplier par dix mille pour avoir une vague idée du cyclone que chaque Occidental fait subir au climat.
Carbone toi-même !
Tout-à-coup, le monde entier – exceptés quelques comiques – plante des arbres à tour de bras. C’est super, sauf que les jeunes arbres rejettent plus de carbone qu’ils n’en captent. Vingt-cinq ans plus tard, l’échange devient intéressant pour Sapiens, les arbres deviennent des puits à carbone. En plantant des arbres aujourd’hui nous réduisons l’empreinte carbone dans vingt-cinq ans – c’est super ! – mais nous l’augmentons d’ici là. Placer des panneaux solaires en abondance sur nos toitures est une fausse bonne solution. S’il est vrai que capter l’énergie solaire n’abîme pas le soleil, fabriquer des panneaux solaires reste un élan consumériste et est, lui aussi, énergivore et polluant pour sa fabrication. Puis, placer des panneaux solaires, c’est augmenter la production d’énergie… Or nous devons diminuer notre consommation ! Il y a là un paradoxe que le politique peine à m’expliquer, en encourageant les gens à investir dans l’énergie solaire des panneaux photovoltaïques. Je n’ose pas penser aux dépotoirs de panneaux hors d’usages qui fleuriront dans vingt-cinq ans, des panneaux dont on sait déjà que leur recyclage sera difficile et énergivore, « fossilement parlant ».
Il nous faut agir aujourd’hui sur notre empreinte carbone pour cause d’urgence, là maintenant ! Mais c’est quoi notre empreinte carbone, au juste ? Le synoptique ci-contre nous montre – en haut et en noir – la répartition de l’empreinte carbone d’un individu adulte. Le transport représente 27%, c’est le « champion » de notre empreinte, l’alimentation suit de près avec 24%, l’habitat 19%, les objets 16% et l’État 14%. Nous pouvons entrer en décroissance dès aujourd’hui en « tapant » dans ces quatre secteurs. Le cinquième répond – normalement – à nos choix de vote. En définitive, nous avons la mainmise sur toutes les commandes… Pourtant rien ne bouge, ou si peu.
En moyenne un Sapiens occidental de la classe moyenne consomme dix tonnes de carbone par an. Les plus riches consomment vingt-cinq tonnes, les plus pauvres cinq tonnes. Nous devons toutes et tous ensembles – riches, aisés et pauvres – réduire à deux tonnes notre empreinte carbone par an et par personne pour limiter le réchauffement à 2°C, ce qui est déjà trop… L’effort le moins pénible est pour les pauvres que nous devrons accompagner sans nul doute. Les autres peuvent s’en sortir seuls, ils ne sont pas en danger. C’est juste une question de priorités. Nous pouvons encore choisir les postes à réduire et la manière d’affecter nos habitudes énergivores. En d’autres termes nous pouvons encore choisir nos « inconvénients ». Bientôt, sans doute, ils nous seront imposés sans discernement.
Méprise
L’effort à fournir est considérable, mais certainement pas impossible. La publicité relayée par les médias et l’école nous ont appris à confondre « l’effort » et « la souffrance ». En faire le moins possible est devenu un signe existentiel de réussite sociale. Les volets de la baraque sont électrifiés, la barrière de la maison est télécommandée depuis l’habitacle de voiture, le hayon arrière de cette dernière s’ouvre d’un signe du pied sous le pare-chocs et je passe les plus savoureuses. Râper une carotte est un acte électrifié quand les feuilles mortes sont soufflées à l’essence. Il n’existe plus d’outils ni de fonctions musculaires. Depuis que nous sommes « pressés de gagner du temps », notre vie est entièrement assistée de prothèses. Vraiment ? Nos existences sont adoucies par une connexion 5G à Instagram ? Les brosses à dents électriques brossent mieux que ne saurait le faire une main valide ? Ah ouais ?
Esprit critique, où es-tu ?
Nous nous plaignions du Mondial de foot au Qatar à cause – entre autres – des sept stades climatisés du désert. Mais votre voiture l’est aussi, comme des centaines de milliers dans le monde. Zut ! Votre maison également, comme plusieurs centaines de millions dans le monde. Depuis les années mille-neuf-cent-soixante, des voix s’élèvent pour annoncer le mur de chaleur qui nous écrase le nez aujourd’hui. Mieux, il y a deux siècles, le très célèbre naturaliste Alexander von Humboldt annonçait déjà l’activité de l’Homme comme nocive pour la planète. Preuves à l’appui, le GIEC et d’autres continuent leur martèlement. La canicule et les pluies torrentielles sont déjà dans nos rues. Des jeunes aussi, par milliers, mais rien ne bouge ! Bien entendu, ce sont les ainés – des deux ou trois dernières générations – qui ont contribué à la production surabondante de carbone… Mais c’est aux jeunes d’aujourd’hui que revient la tâche de la réduire !
Presque tous les « vieux » regardent ailleurs
Ce n’est pas la faute aux entreprises car celles-ci sont prestataires de service, ce qui revient à dire qu’elles suivent nos inspirations. Nous avons la possibilité de les faire marcher au pas. Sans le consommateur docile que nous sommes toutes et tous, elles périclitent. Avec nous, elles deviendront durables. Pour cela nous devons imposer la conduite. Cette marche à suivre est entièrement décroissante, il n’y a pas de demi-solution, pas d’alternance (4), rien qu’une alternative. Croire le contraire, c’est croire – à fond – au Père Noël ! C’est tout notre « mode de vie » qu’il faut changer. Il faut renvoyer le style de vie à leur créateur.
Pour les transports : voitures, camions et avions capitalisent à eux seuls 93% de la cible où agir. Se déplacer à pied, à vélo musculaire – jusqu’à un certain âge – et surtout en transports en communs, pour les moyens et les longs trajets, est fastoche. Il faut juste repenser où accorder son temps libre, sur la banquette dans le train décontracté ou sur le siège de voiture dans les embouteillages ? Le temps du déplacement ne peut plus être un temps perdu, comme l’annoncent les vendeurs de mobilités individuelles.
Si la voiture est indispensable, à nonante kilomètres à l’heure sur l’autoroute et à soixante sur les nationales, vous réduirez votre consommation d’un bon tiers. Une idée enrichissante qui fait moins grimacer la planète. Pour l’alimentation : la viande et les produits laitiers – dérivés de la production viandeuse – capitalisent 56% de la cible où agir. Manger de la viande deux fois par jour, tous les jours, n’est pas utile. Pareil pour les fromages. Ne plus manger de viande – dans une quantité raisonnable – qu’une fois tous les deux jours, divise par quatre notre consommation ! Faisons pareil avec les produits laitiers et le tour est joué. Les boissons, elles, représentent quand même 19% de là où agir. Boire de l’eau quotidiennement et réserver un petit verre de bière et/ou de vin aux occasions ne devrait pas vous assommer, que du contraire.
Pour l’habitat, le chauffage et la construction capitalisent 85% à eux deux. C’est énorme ! Construire écologique – en matériaux renouvelables – des maisons basse énergie est une solution plus économique qu’il n’y paraît. Nous devons construire petit et compact. Fini les dressings. Terminé les cuisines de quarante mètres carrés et plus. Plus besoin de deux garages puisque nous nous déplacerons en transports en commun. Terminé les piscines chauffées, même – et surtout – au solaire. Autant garder cette production pour des postes utiles, si nous avons un faible pour les panneaux photovoltaïques. Nous avons appris, sans effort, à consommer. Nous apprendrons facilement à retourner notre veste, et sûrement à ajouter un pull plutôt qu’à augmenter le chauffage.
Pour les ustensiles, la maison et les loisirs engrangent la moitié – 50% – à eux deux ! Comme nous n’aurons plus autant d’objets, nous aurons aussi moins d’armoires. Les accessoires inutiles devenus absents diminueront les aménagements de la maison. Nous pouvons aussi abandonner tous les appareils thermiques et électriques du jardin et de la maison ou, à tout le moins, une grosse partie. L’énergie musculaire est garantie sans carbone. Nous pouvons encore nous prêter les ustensiles que nous utilisons à peine plus qu’une fois l’an, et les réparer est une nouvelle posture à afficher sans retenue.
Pour ce qui est de l’État, l’injonction que nous pouvons lui donner est de faire tout son possible pour montrer le bon exemple, en commençant par isoler – dans les plus brefs délais – tous les bâtiments administratifs du Royaume, dès aujourd’hui, demain c’est déjà trop tard. Diminuer les budgets déraisonnables de l’armée est une belle idée qui tarde à venir. Je serais curieux d’avoir le calcul carbone de dix minutes de vol des cinquante-quatre F-16 de l’armée belge. Et puis que peut-on bien faire avec autant d’avions de chasse ? Et je ne parle pas du reste du matériel, chars, jeeps, hélicoptères, etc. Dur de savoir que nous manquons de moyens et de bras pour les soins et l’enseignement.
Une remarque terre à terre pour terminer en roue libre : réduire nos consommations est relativement économique comme solution ! Une chance : vraiment pas cher de diminuer son empreinte carbone. Et ça sauve des vies…
Notes :
(1) Une maison qui a abrité jusqu’à cinq personnes…
(2) Ces deux appartements ont abrité jusqu’à sept personnes. Quelques objets ont suivi les départs et les déplacements de leurs habitants. De la même manière que le coeur des parents double à l’arrivée de chaque enfant, aucune pièce – sauf parfois une partie de la chambre -, n’est jamais expurgée du nombre d’objets utilisés par le jeune, dès lors qu’il abandonne le nid familial. La grande aventure consumériste se renouvelle toujours, comme une génération spontanée.
(3) La masse anthropogénique est la masse de matériaux solides issus des activités humaines.
(4) L’alternance, c’est remplacer les voitures thermiques par les voitures électriques en faisant croire au miracle technologique ! Le technologique, dans une très grande majorité de ses applications, a précipité Sapiens dans le déluge climatique. Le technologique ne sera pas le héros du vivant. L’alternative, c’est de remplacer la voiture – transport individuel – par les autobus, les trains – transports en commun – et les transports musculaires…
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Cet été, lors des nombreuses rencontres en fermes organisées dans le cadre de notre campagne Vers une Wallonie sans pesticides, une présentation faite par le CIM (Centre Interprofessionnel Maraîcher) a permis de mieux comprendre les difficultés technico-économiques rencontrées par nos maraîchers wallons, ainsi que les solutions à envisager pour y remédier. La Wallonie ne produisant que 17% des légumes qu’elle consomme, on comprend aisément l’urgence qu’il y a aujourd’hui de soutenir activement cette filière.
Par Camille le Polain
La période de confinement due à la Covid fut marquée par un grand soutien apporté aux maraîchers wallons par des consommateurs friands de faire leurs courses dans les magasins à la ferme et les petites épiceries du coin. L’heure est toutefois rapidement devenue plus sombre pour nos producteurs et la baisse des ventes fut significative en 2022. La reprise des « mauvaises habitudes » ne s’est malheureusement pas fait attendre bien longtemps et le panier en osier de chez l’épicière a rapidement cédé la place au caddy du supermarché. Le contexte géopolitique et économique n’encourage évidemment pas les ménages à se tourner vers des produits locaux même s’il est pourtant crucial de continuer à soutenir nos producteurs. La Wallonie compte environ trois cent cinquante maraîchers qui occupent quatre mille hectares, ce qui correspond à moins d’un pourcent de sa Surface Agricole Utile (SAU).
Quelques chiffres qui interpellent quand à nos habitudes de consommation
Claire Olivier, du CIM (Centre Interprofessionnel Maraîcher) est intervenue, cette année, lors de deux rencontres en ferme afin de faire le point sur l’état actuel du secteur maraîcher. Le CIM asbl, créé en 1985 par des producteurs maraîchers, a pour objectif l’encadrement technico-économique et la représentation du secteur en Wallonie. Nous retraçons dans cet article les principales difficultés décrites été lors de ces différentes présentations.
Selon les chiffres donnés par le CIM, un habitant, en Wallonie, consomme en moyenne quarante kilos de légumes par an. Mai, si on analyse l’origine des produits du « panier de la ménagère » wallonne, seulement 17% de ces légumes sont produits en Wallonie ! A cela, Claire Olivier rajoute : « c’est bien beau de produire des légumes, mais il faut encore pouvoir les vendre ! » Par ailleurs, selon un sondage réalisé par Biowallonie en 2021, seulement 13,5% des dépenses des Wallons en légumes vont aux légumes bio.
Un autre chiffre est particulièrement parlant : 86% des actes d’achats de fruits et légumes seraient réalisés en grandes ou en moyennes surfaces ! Ce à quoi Florent Gailly, maraîcher bio en Province du Luxembourg et accueillant lors d’une rencontre en ferme, rajoute qu’il a observé une perte de 30% de chiffre d’affaires dans son magasin, depuis le début de l’année 2022. Ce qui l’a obligé à développer de nouveaux outils de marketing et de chercher de nouveaux clients…
Au vu de ces chiffres, il nous paraît plus que nécessaire de rappeler l’importance de choisir des produits bio et locaux dans son panier. Acheter des fruits et légumes bio provenant de l’étranger n’est pas un acte suffisant pour la planète car, ce faisant, l’activité économique du secteur de proximité, le secteur maraîcher wallon, n’est pas soutenue comme il le faudrait. Les pratiques respectueuses de nos sols, c’est-à-dire les pratiques bio, ne sont pas non plus encouragées sur notre territoire ! Or le contexte géopolitique et la crise climatique renforcent toujours davantage le besoin de relocaliser l’économie en Wallonie et d’augmenter l’autonomie alimentaire du territoire.
Les grands enjeux actuels du secteur maraîcher
Plusieurs leviers doivent absolument être enclenchés afin d’encourager l’autonomie maraîchère du territoire wallon. D’une part, il est indispensable d’accroître le soutien des consommateurs par leurs actes d’achats et d’augmenter, d’autre part, le nombre de maraîchers actifs en Wallonie pour garantir une offre suffisante en légumes. Claire Olivier se montre totalement convaincue que les opportunités à l’installation en tant que maraîcher sont multiples : les parts de marché à prendre pour les produits locaux sont nombreuses et il est bon de rappeler que la consommation en fruits et légumes wallons avait augmenté de 11% en 2020 ! Outre les aspects commerciaux, elle souligne également que le maraîchage est une bonne porte d’entrée pour les personnes non issues du secteur agricole car l’activité peut débuter sur de petites surfaces, réduisant ainsi les risques, d’un point de vue économique surtout. De plus, la mécanisation sur petite surface est moins importante qu’à grande échelle et les investissements sont donc moins grands.
Selon Claire Olivier, les différents enjeux sociaux et technico-économiques qui peuvent représenter un frein au lancement dans la profession de maraîcher sont les suivants :
– en premier lieu, la stimulation du consommateur à se nourrir de produits locaux,
– l’accès à la main d’œuvre saisonnière,
– la maîtrise de la volatilité des prix,
– l’organisation commerciale du secteur grâce aux coopératives et autres structures facilitant la commercialisation des produits maraîchers,
– la nécessité de professionnaliser le métier de maraîcher car il doit porter plusieurs casquettes à la fois pour joindre les deux bouts : de producteur à vendeur – et donc démarcheur, communicateur… – mais également stockeur, transporteur… Cumuler ces différentes casquettes exige un sens aigu de l’organisation,
– l’adaptation aux changements climatiques et à des années extrêmement contrastées d’un point de vue climatique.
Les alternances de conditions extrêmes – sécheresse et humidité -, ces dernières années, ont entraîné l’émergence de problèmes physiologiques dans les légumes, à côté de la propagation exceptionnelle de certaines maladies qui ont un impact non négligeable sur le rendement. Qui dit problème physiologique, dit réduction de la qualité visuelle ; les légumes touchés par ces altérations ne sont finalement pas vendables aux grossistes. Le problème risque malheureusement d’être récurrent dans le futur avec un climat changeant.
Les nouveaux aléas climatiques entraînent également l’apparition de nouveaux ravageurs qu’il faut pouvoir maîtriser, ainsi que des défauts de structure du sol qui perturbent le développement racinaire des légumes, entravant gravement leur croissance. Un des enjeux majeurs selon plusieurs scientifiques spécialisés en culture maraîchère sera la gestion de l’eau dans les trente premiers centimètres du sol.
Les normes de qualité visuelle les plus strictes, autour de la coloration et du calibre des légumes, sont devenues la référence standard en Belgique. Cet excès d’exigence entraîne énormément de pertes pour les producteurs qui se voient souvent contraints de jeter – ou donner – une partie de leur récolte car « les courgettes sont trop petites ou trop grandes pour rentrer dans les caisses standard », car « la pomme du chou-fleur est devenue jaune suite à une saison trop sèche ».
Claire Olivier conclut qu’ »on en arrive à des situations où cela coûte plus cher au producteur de récolter les légumes hors-standards, de les transporter et de les vendre à un prix dérisoire plutôt que de les laisser en place sans les valoriser ! »
L’importance de mettre nos productions en valeur
Les enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés les maraîchers wallons montre à quel point la nécessité de les soutenir est devenue évidente. Un des leviers mis en place par le CIM pour aller dans ce sens consiste, entre autres, à initier des groupements de producteurs. A titre d’exemple, la coopérative Asperges de Wallonie a été créée, cet été, grâce à l’implication de seize producteurs wallons. Les objectifs du projet sont multiples : offrir une visibilité commune au produit, établir un cahier des charges commun afin d’assurer une qualité identique, promouvoir un prix juste pour le producteur et le consommateur, stimuler la promotion du produit auprès des consommateurs. Un projet similaire a également été lancé, au printemps cette année, pour promouvoir les fraises de Wallonie.
Il est donc indispensable de rappeler, une fois de plus, le rôle crucial et prioritaire que jouent les consommateurs dans l’avenir des producteurs maraîchers wallons. Remplissons nos paniers de produits bio et locaux ! Pour notre santé et celle de notre terre !
9, Nov 2023 | 2023, Analyses, Études
Comment peut-on encore gaspiller l’eau potable en l’utilisant négligemment aux toilettes ou en remplissant sa piscine, quand partout la terre se craquelle ? Dans une Europe en voie d’assèchement, elle est devenue une ressource rare, forcément de plus en plus chère et… source de conflits !
Par Marc Fasol
Quelles pistes devons-nous aujourd’hui adopter pour une gestion responsable, équitable et résiliente de l’eau ? De quoi s’adapter aux effets de plus en plus préoccupants du dérèglement climatique. Ces quelques petits conseils doivent-ils être prodigués aux seuls ménages ? Ou devons-nous aussi prendre en considération l’empreinte hydrique de notre industrie ? Voire celle de notre agriculture intensive, si gourmande en eau ? Voilà ce que se propose d’examiner la présente analyse.
Les deux faces d’une même pièce
Après s’être longuement penché, à l’été 2021, sur la façon de prévenir et de contrer les inondations, voilà que l’actualité de l’été dernier nous pousse soudain vers l’autre ornière : affronter les sécheresses à répétition ! Eh bien oui, juillet 2021 et juillet 2022 évoquent à eux seuls les effets désastreux du changement climatique. Inondations record et sécheresse historique ne sont, en réalité, que les deux faces d’une seule et même pièce. Dans son 6e rapport daté du 9 août 2021, le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) annonce sans sourciller que le changement climatique est en train de se généraliser, de s’accélérer et de s’intensifier. A l’avenir, les vagues de chaleur seront plus fréquentes, plus longues, plus sévères, surtout en Europe, région où tous ces changements s’exerceront de manière deux fois plus violente qu’ailleurs. Excusez du peu.
Dans le sud de la France, le mois de juillet dernier aura été le plus sec depuis le début des relevés météorologiques. Un phénomène associé à des vagues successives de sécheresse et de pics de chaleur extrêmes, entrainant à leur tour des effets dramatiques sur la végétation forestière, vulnérable au stress hydrique avec risques accrus d’incendie à la clé, parfois incontrôlables, comme en Gironde ou en Dordogne.
En réaction à ce scénario peu réjouissant pour l’avenir de la planète, la rhétorique habituelle exige de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Tout le monde est maintenant bien d’accord là-dessus, mais il faudra aussi désormais – et c’est le thème de ce dossier – pouvoir s’adapter à tous ces changements. Car ceux-ci sont, hélas, irréversibles. N’en déplaise aux sceptiques, il n’y a pas de retour attendu « à la normale » avant… quelques milliers d’années !
« Iceberg droit devant capitaine ! »
A vrai dire, les climatologues – traités jusqu’ici au mieux de grincheux ou de catastrophistes – ne s’attendaient pas à un tel coup d’accélérateur. Ils sont aujourd’hui dépassés par l’ampleur des événements. L’horizon 2030-2040 ? Il est pulvérisé ! L’augmentation du nombre de périodes de sécheresse, tant en fréquence qu’en intensité rend la question de l’eau de plus en plus préoccupante, avec – on s’en doute – des effets catastrophiques sur notre approvisionnement, sur l’ensemble des écosystèmes, sur notre agriculture et notre alimentation en particulier.
La situation est même à ce point alarmante, qu’à la COP 27 qui s’est tenue en Egypte, l’ONU nous demande de nous préparer… aux vagues de chaleur ! Depuis l’accord de Paris, l’espoir de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C est, en effet, largement dépassé et considéré comme « hors d’atteinte ». Nous courons droit vers les +2,8°C. Un brin désabusé, Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’Organisation, en tribun désappointé de la lutte contre la crise climatique, ne mâche pas ses mots : « Nous nous dirigeons droit vers une catastrophe mondiale« , affirme-t-il sans détours. Beaucoup de régions de la planète, touchées par les méga-sécheresses occasionnelles, risquent de devenir des zones définitivement sèches… Et donc tout simplement invivables pour l’être humain – les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Nature Reviews Earth & Environment.
Cet été, les Européens ont tiré la langue en affrontant le manque d’eau potable. Rien qu’en France, nonante-trois départements sur nonante-six ont connu des restrictions dans l’usage de l’eau dont soixante-six concernant l’eau potable. Tous les prélèvements non-prioritaires y ont été interdits : arrosages de jardins, d’espaces verts, de terrains de golf, lavage des voitures et bien sûr le remplissage des piscines… Des restrictions d’eau qui, pour l’heure, sont toujours en cours dans certaines régions.
« Quand tu portes ton propre seau d’eau, tu te rends compte de la valeur de chaque goutte… »
Et en Belgique ? Faute d’eau potable au robinet, de nombreuses communes wallonnes n’ont eu d’autre alternative que d’être approvisionnées par camions-citernes de soixante mille litres chacun. Cet automne encore, en Ardenne, ils font la navette depuis le barrage de Nisramont pour pallier le manque d’eau dans certaines zones de captage. Du jamais vu ! Un surcoût environnemental dont on se serait évidemment bien passé… Les sources seraient-elles moins bien approvisionnées que par le passé en raison d’un déficit pluviométrique ? Ou peut-être, au fil du temps, les besoins de consommation sont-ils devenus de plus en plus importants ? Les deux assurément. Selon la fédération professionnelle des opérateurs d’eau, un ménage moyen de trois personnes ne consommerait que cent quatre mètres-cubes d’eau potable par an, un chiffre qui serait même revu à la baisse, ces dernières années en raison notamment de la performance des appareils économes en eau. Bonne nouvelle donc ? Pas sûr…
Car, à notre petite consommation, s’ajoutent d’abord les pertes liées au vieillissement de notre réseau de distribution – jusqu’à 20% ! La Stratégie Intégrale Sécheresse, S.I.S., approuvée par le gouvernement wallon en juillet dernier, a notamment retenu, parmi ses nombreuses mesures, d’améliorer la performance du réseau d’eau potable en réduisant les fuites. Avec nos quarante mille kilomètres de réseau – de quoi faire le tour du globe – il y a encore du pain sur la planche !
Pour être tout-à-fait honnête, il faudrait cependant préciser que nos besoins en eau ne se limitent pas à l’écoulement du robinet de la cuisine et à celui de la salle de bain. Selon l’ONG Water FootPrint Network – www.waterfootprint.org/en/ – l’empreinte hydrique du Belge serait quand même une des plus importante au monde… si on veut bien tenir compte de nos consommations indirectes, incluant ne serait-ce que la quantité d’eau nécessaire pour faire pousser les aliments que nous mangeons et celle qu’il faut pour fabriquer les vêtements que nous portons. Les chiffres cités en la matière laissent rêveur. La fabrication d’un hamburger ? Mille litres d’eau ! Celle d’un simple jean ? Dix mille litres… Notre hyperconsommation pèse lourd sur les réserves en eau et, même si la consommation journalière du ménage belge est relativement sobre par rapport à celle des autres Européens, il en consomme malgré tout bien trop. Et il y a fort à parier qu’à l’avenir, restrictions et coupures d’eau se feront de plus en plus pressantes…
« Tirer une chasse d’eau potable sera bientôt une aberration totale, voire une hérésie »
A domicile, les principaux postes de consommation d’eau potable se trouvent aux toilettes – 31% – et à la salle de bain – 36%. Se rajoutent à cela, la consommation pour la lessive – 12% -, l’entretien – 9% – et la vaisselle – 7%. En comparaison, l’utilisation en cuisine pour l’alimentation et les boissons apparaît, somme toute, presque négligeable – 5%. De tels pourcentages laissent entrevoir l’énorme potentiel que représente, par exemple, la récupération systématique de l’eau de pluie. Au moins 60% de notre consommation domestique – salle de bain + toilettes – pourrait ainsi être facilement satisfaite, sans compter les usages en extérieur… Mais on mesure surtout pourquoi laver chaque semaine sa voiture, sa terrasse ou son trottoir, arroser copieusement ses vertes pelouses avec de l’eau potable sont devenus des gestes peu éco-responsables, de plus en plus mal vus par l’entourage, surtout quand les pluviomètres restent désespérément vides.
Au nord du pays, comme chez nos voisins néerlandais, le problème devient vraiment très préoccupant. D’année en année, en plus d’être fortement exposé aux pollutions agricoles dont sont responsables les élevages intensifs, le niveau des nappes phréatiques baisse dangereusement. Selon le World Resources Institute, la Flandre est de plus en plus exposée au manque chronique d’eau. Au niveau mondial, même la Namibie ferait mieux ! Ceci explique pourquoi la politique menée en Flandre pour valoriser l’eau de pluie est si différente de celle menée jusqu’ici en Wallonie. Elle est même diamétralement opposée !
En Wallonie, l’inquiétante sécheresse de 2022 fut visible surtout au niveau des cours d’eau historiquement bas, où la pratique du kayak et celle de la pêche furent interdites. Mais notre inquiétude n’aura été, en fin de compte, que fort limitée. Les précipitations de l’automne et de l’hiver précédents avaient été suffisamment abondantes pour permettre de recharger les nappes. C’est dans ces réservoirs souterrains naturels, situés essentiellement dans les zones calcaires, qu’est essentiellement prélevée notre eau de distribution – à raison de 79,2%.
Seules quelques dix-huit communes wallonnes, afin d’éviter tout gaspillage, ont été contraintes de prendre des mesures pour restreindre leur consommation d’eau. De leur côté, pour atténuer les effets du réchauffement sur notre approvisionnement, les hydrologues ne manquent pas d’imagination. Parmi les bonnes idées formulées dans la S.I.S., notons la lutte contre l’imperméabilisation et le soutien à l’infiltration des eaux à très grande échelle, en généralisant par exemple la plantation de haies et de bandes boisées. De telles mesures permettent aux eaux pluviales de recharger davantage les nappes phréatiques, plutôt que de s’engouffrer directement dans les caniveaux… Plutôt que de puiser sans cesse dans les nappes phréatiques, il faudrait peut-être aussi penser à réutiliser les eaux usées. Une fois épurées, elles pourraient très bien servir à l’irrigation des cultures…
En ville, où le moindre mètre carré est asphalté et bétonné, il serait judicieux de créer des trames bleues et vertes en périphérie. Quant aux particuliers, il serait bon de doter chacune de leur habitation d’une grande citerne d’eau de pluie…
« Chacun tire l’eau à son moulin »
Généraliser la récupération de l’eau de pluie est une réponse particulièrement intéressante à développer, d’autant qu’à l’instar des autres mesures énumérées ci-dessus, elle atténue également les pics d’écoulement lors de fortes pluies, surtout en ville. Par effet tampon, cet effort de récupération sera de nature à éviter le débordement des égouts et celui des stations d’épuration, tout en diminuant indirectement les risques de débordement des rivières. Les deux phénomènes, sécheresses et inondations, sont ainsi définitivement liés. Hormis sa précieuse gratuité, ce don de la nature qu’est l’eau pluviale présente encore de nombreux autres avantages d’un simple point de vue domestique. Exempte de calcaire, elle prolonge notamment le fonctionnement des appareils ménagers : machines à laver, machines à café, bouilloires, conduites d’eau, robinetterie et pommeaux de douche… Très douce, l’eau de pluie est idéale aussi bien pour laver le linge que la vaisselle. Plus besoin par conséquent d’adoucisseur, de produits anticalcaires ou de détartrage, sans compter l’économie substantielle en savons divers et détergents non ou peu biodégradables.
« Et contrairement à ce qu’on peut lire sur les fiches pratiques publiées par Aquawal, relève Eric Simons, de la société Airwatec, spécialisée en filtration et traitement des eaux, l’eau de pluie n’est pas mauvaise pour la peau. Tant qu’elle n’a pas atteint le sol, celle-ci est de très très bonne qualité. » On a longtemps jeté systématiquement le discrédit sur l’eau de pluie – tiens, tiens, ce qui est gratuit serait-il forcément moins bon ? – mais une fois filtrée, sa qualité est vraiment remarquable : pas de chlore, pas de nitrates, pas de résidus de pesticides…
« En revanche, de plus en plus de produits chimiques se retrouvent dans les nappes phréatiques dont la qualité n’arrête pas de se détériorer. La situation n’est plus la même que dans les années soixante et évolue sans cesse, souligne encore Eric Simons, aujourd’hui des traces d’antibiotiques et de perturbateurs endocriniens par exemple s’y retrouvent. Or, il n’existe aucune méthode, aucune membrane d’osmose pour s’en débarrasser ! »
En France, d’après le journal Le Monde, des substances issues de la dégradation des pesticides épandus durant des décennies sur les terres agricoles, ont fini par percoler jusque dans les nappes phréatiques. Ces produits – parfois entre-temps interdits à la vente et/ou à l’usage – se sont fragmentés et recombinés en nouvelles molécules, connues désormais sous le nom de métabolites. On estime à présent, que douze millions de personnes auraient au moins épisodiquement consommé une eau « non conforme », polluée par ces substances aux noms barbares. Parmi elles, le chloridazone desphényl dérivé d’un herbicide utilisé dans la culture de betteraves. Avec des concentrations maximales régulièrement dépassées, le principe de précaution aurait dû être appliqué. Un prochain scandale sanitaire en suspens ? Voilà qui en dit long en tout cas sur l’étendue de la contamination de nos ressources en eau par les pesticides mais aussi sur les lacunes dans la surveillance de la qualité de l’eau potable – jusqu’ici, la plupart de ces substances dont la toxicité reste inconnue ne sont tout simplement pas recherchées -, sans parler du désarroi de nos élus et des autorités sanitaires contraints d’imaginer, en urgence, de nouvelles normes moins restrictives pour éviter de devoir interdire la consommation d’eau de distribution dans certaines régions…
Aujourd’hui, pour des raisons écologiques mais pas seulement, un nombre croissant de consommateurs se tournent vers l’eau de pluie et optent pour le placement d’une citerne afin de satisfaire au moins une partie de leurs besoins domestiques. Obligatoires en Flandre et à Bruxelles lors de la construction, les nouvelles habitations en sont désormais systématiquement équipées. En Wallonie, il n’a pas semblé nécessaire au législateur de les imposer car de nombreux constructeurs s’en sont équipés spontanément, soit par souci de rentabilité, soit parce que les autorités communales, en particulier celles qui sont régulièrement en déficit hydrique, conditionnent simplement l’installation d’une citerne au permis d’urbanisme, tandis que parfois, d’intéressantes primes sont octroyées…
Reste cependant un problème de taille : si l’eau de distribution est un des produits alimentaires les plus contrôlés – trente mille analyses par an -, par des prélèvements opérés sur les lieux de captage ou directement au robinet du consommateur, en passant par les zones de stockage – d’après la Société Publique de Gestion des Eaux (SPGE), les normes de qualité sont même supérieures aux exigences légales -, il n’y a évidemment guère de garanties apportées pour les eaux dites « alternatives », à savoir l’eau de pluie, l’eau de puits et l’eau de source. Chargée de micro-organismes – virus, bactéries – et de différentes matières en suspension lors de son parcours – toit, gouttière, citerne -, l’eau de pluie est impropre à la consommation en tant que telle. Quant aux eaux de puits ou de source, après avoir ruisselé sur les terres agricoles, elles peuvent malheureusement être chargées en nitrates et en résidus de pesticides. Pour des raisons sanitaires évidentes, ces eaux pourraient donc, en principe, n’être destinées que pour l’usage externe sans risques sanitaires : le jardin, la serre, l’entretien du logement, le lavage de la voiture, à la buanderie ou encore aux toilettes.
« Creusez un puits avant d’avoir soif »
Précisons encore que si les propriétaires de citernes d’eau de pluie ne doivent pas les déclarer, ceux des puits sont soumis à d’autres obligations : couvercles fermés à clef, compteurs volumétriques, taxes pour le rejet d’eaux usées, etc. Quant au forage, la tâche doit être exécutée par un professionnel agréé et, cette fois, c’est le permis d’environnement qui est requis. Dans tous ces cas de figure, afin d’éviter toute contamination du réseau publique d’eau potable par une eau qui ne le serait pas, Aquawal a tout prévu. À l’intérieur de l’habitation, c’est le « Code de l’eau » qui s’applique, en reprenant les règles à respecter. Toute connexion physique entre le réseau de distribution et autre « réseau alternatif » est interdite, notamment par un jeu de vannes ou de clapets anti-retour. Ces réseaux doivent donc faire l’objet de raccordements distincts.
Comme la potabilité de l’eau recueillie à la sortie des gouttières peut être mise en doute, le particulier se voit généralement contraint a priori de ne valoriser son eau de pluie qu’à la buanderie, au garage ou au jardin. Même limité uniquement à l’usage des toilettes – ce qui représente quand même un tiers de la consommation d’un ménage -, l’utilisation de l’eau de pluie représente déjà une jolie économie. Fort heureusement, il existe des dispositifs compacts et relativement bon marché pour traiter l’eau, ce qui permet d’élargir davantage le champ des applications, le tout avec une sécurité accrue d’utilisation. Le kit Cintropur TRIO-UV triple action – filtration des particules, traitement par charbon actif et stérilisation UV – que nous avons testé, assure par exemple un traitement intégral particulièrement intéressant. Extraite de la citerne par une aspiration flottante, le traitement de l’eau se fait, dans un premier temps, par filtration mécanique à l’aide d’une « chaussette » – un tamis de 25μ -, afin de retenir les particules les plus fines. L’eau est ensuite traitée au charbon actif à base de noix de coco, puis est finalement stérilisée par rayonnement ultra-violet. L’eau de pluie peut alors être valorisée à hauteur de 95%, et être utilisée en toute sécurité, pour toutes les applications sanitaires de la maison : lave-vaisselle, lave-linge – sept mètres cubes par an -, bains, douches, lavabos, jacuzzis… Et même la piscine – soixante mètres cubes ! -, ces piscines dont les ventes ont littéralement explosé avec la succession d’étés caniculaires. Le serpent est en train de se mordre la queue !
Contrairement aux processus chimiques de désinfection par l’ajout de chlore, la stérilisation par rayonnement ultra-violet est un moyen physique germicide, sans risque de surdosage et sans sous-produits toxiques. Durant le passage de l’eau, les bactéries, les virus et les protozoaires sont neutralisés. L’eau de récupération débarrassée de son goût et de ses odeurs désagréables de citerne devient pure bactériologiquement. Notons cependant que cette eau n’est toujours pas considérée comme 100% potable tant que les paramètres chimiques n’auront pas, eux aussi, été vérifiés et jugés satisfaisants.
Ainsi, écologie rime-t-elle aussi avec économie pour le budget du ménage. Mais ceux qui n’ont pas envie de se lancer dans une telle entreprise, peuvent déjà commencer par une utilisation minimale de l’eau de pluie au jardin, le plus simple consistant, par exemple, à raccorder, sur la terrasse, une descente de gouttière à une cuve ou à un tonneau, via un collecteur à filtre WISY qui envoie à l’égout feuilles, mousses et invertébrés indésirables. L’appoint en eau propre est tout sauf négligeable. Les récipients de mille, voire deux mille litres, sont peu onéreux et aisément disponibles en jardineries…
Des citernes et des primes : nos meilleurs « tuyaux »…
Pour ce qui est du stockage, il existe plusieurs types de citernes. Les modèles aériens en polyéthylène, imputrescibles et résistants au gel, montent jusqu’à dix mille litres. Certains peuvent aussi être enterrés et même jumelés. Hélas, ces derniers sont assez onéreux : trois mille cinq cents euros pièce, hors travaux de terrassement… La formule idéale semble plutôt être la dépose dans le sol, lors de travaux de construction ou de restauration, de citernes en béton de dix mille voire vingt mille litres… Budget : deux mille cinq cents euros, hors terrassement. L’investissement est donc relativement vite amorti. Avec les citernes en béton, l’acidité de l’eau stockée est en plus rapidement neutralisée. Notons aussi que la plupart des gens qui recourent à l’eau de pluie regrettent généralement de ne pas avoir opté, dès le départ, pour une citerne de plus grande capacité…
Pour récupérer l’eau de pluie, mieux vaut encore que le toit soit pentu et recouvert de tuiles car la superficie de captage est plus grande. Les toits plats couverts de membranes collées à chaud, ne sont pas adaptés à la récupération de l’eau de pluie ; ils exhalent une odeur de goudron. En période de canicule, les algues ont tendance aussi à y proliférer et à boucher les filtres. En Wallonie, la pluviosité est variable d’une région à l’autre, mais la moyenne est d’environ huit cent cinquante millimètres par an, soit huit cent cinquante litres par mètre carré. Pour récupérer entre quarante-cinq et nonante mètres cubes par an, la superficie totale du toit devrait idéalement être comprise entre cinquante et cent mètres carrés en projection horizontale.
Aujourd’hui, tous les nouveaux raccordements à l’eau de distribution entrainent obligatoirement la visite d’un certificateur agréé pour l’obtention du CertIBEau. Ce certificat garantit la conformité des installations au « Code de l’eau » : sécurité sanitaire des installations intérieures en eau potable et préservation de l’environnement pour les rejets d’eaux usées.
Le prix approximatif d’une pompe auto-amorçante WILO, de type MC305, pour récupération de l’eau de pluie est de 640,- euros, celui d’un kit de filtration Cintropur TRIO UV est de 720,-€. Le prix moyen TVA incluse de l’eau de distribution incluant le « Coût Vérité de la Distribution » (CVD) et le « Coût Vérité de l’Assainissement » (CVA) avoisine actuellement les six euros le mètre cube ; il avait doublé, entre 2004 et 2014, mais voilà qu’après une période de stabilisation, celui-ci repart de nouveau à la hausse…
En Région bruxelloise, il existe des primes à l’installation de citernes d’eau de pluie. De cent à… mille sept cents euros, à Saint-Josse notamment, selon certaines conditions liées en particulier aux revenus des intéressés. Côté Région wallonne, pas de primes à attendre… sauf dans certaines communes. Pour leur installation ou leur rénovation, les communes de Burdinne, Donceel, Remicourt, Stoumont, Thimister et Wasseiges, Namur, Somme-Leuze, Rochefort, Braine l’Alleud, Plombières, Fauvillers, Libramont et Vielsalm, remboursent jusqu’à cinq cents euros.
Agriculture : à quand la Transition durable ?
Alors que partout les besoins en eau explosent, l’ONU estime que mondialement, ils devraient encore augmenter de 90% d’ici 2050 – par rapport à 2017. Le déficit menace désormais un quart de la population mondiale, régulièrement sujette à un stress hydrique extrême. Parmi les différentes grosses consommations d’eau, on trouve bien sûr les besoins directs liés à la consommation domestique, notamment dans les grandes villes – 8% -, elles-mêmes étroitement tributaires de la croissance démographique : nous sommes, depuis mi-novembre, huit milliards d’êtres humains. Mais il y a aussi les besoins indirects comme ceux liés à l’industrie – 22% -, ainsi que le secteur de la production d’énergie, son corollaire. Pourtant c’est surtout le secteur agricole qui doit retenir nos préoccupations. Dans le monde, 70% de la consommation d’eau est destinée à l’irrigation des cultures.
Comment adapter durablement cette énorme consommation aux conséquences des grands bouleversements climatiques qui s’annoncent, tout en répondant efficacement à des besoins alimentaires planétaires toujours en croissance ?
De nombreux éléments de réponse sont déjà bien connus. Aussi ne ferons-nous ici que les ébaucher. Dans les pays émergents, ce sont désormais les nouveaux modes de consommation alimentaire qui se taillent la part du lion. Les populations, autrefois peu développées, mangent de nos jours davantage de viandes et de laitages. Or pour produire un seul kilo de viande de bœuf, il faut… quinze mille cinq cents litres d’eau ! Un régime alimentaire clairement intenable s’il fallait l’étendre à huit milliards d’habitants.
Chez nous, la fabrication de biocarburants cristallise, à elle seule, toute l’absurdité de notre société de consommation : la fabrication d’une tonne équivalent pétrole – 1tep – d’éthanol à partir de maïs nécessite… un quart de million de litres d’eau ! La même tep de biodiesel à partir de soya nécessite cent soixante mille litres. C’est donc bien notre mode de vie gourmand en ressources et notre hyperconsommation compulsive qui – a fortiori si elles sont exportées dans le sud – pèsent le plus sur les réserves d’eau de la planète.
Depuis quelques années déjà, nos cultures se heurtent à l’irrégularité et à l’imprévisibilité des précipitations, tandis que les périodes de sécheresse ne cessent de se prolonger. Entre le moment où les agriculteurs ont besoin d’eau et le moment où elle tombe du ciel, le décalage peut être fatal aux cultures. Et comme il fait de plus en plus chaud, irriguer les cultures demande davantage d’eau dont une partie toujours plus importante s’évapore. Il ne s’agit plus de simples caprices de la météo, mais bien de transformations profondes d’un climat qui déstabilisent structurellement les pratiques : « l’avenir n’est plus écrit par le passé ». Sont évidemment montrées du doigt, les cultures très gourmandes en eau, comme les immenses champs de maïs, qui sont aussi les plus fragiles. Avec toutes les conséquences que cela implique principalement sur l’élevage…
En France, des manifestations, parfois violentes, voient le jour : depuis les sécheresses, l’accaparement de l’eau devient une source majeure de conflits. Certains parlent carrément de « guerre de l’eau ». Les méga-bassines, installées par des agriculteurs – dans les Deux-Sèvres notamment -, au mépris des réalités hydrologiques, sont prises à partie, les opposants invoquant la confiscation, au seul profit de quelques-uns, d’une ressource vitale, d’un bien commun. Désormais, les conflits qui concernaient seulement les cultures, touchent aussi les terrains de golf, les terrains de foot, les piscines, les jacuzzis, les pelouses, les parcs publics…
Une précieuse ressource qui subit de plein fouet le changement climatique !
Une première conclusion semble s’imposer afin d’anticiper des conflits qui risquent de dégénérer rapidement : il est indispensable de réduire nos consommations et de mettre en place une gestion équitable de cette ressource fragile et limitée qu’est l’eau. Mais comment faire ? Voici quelques pistes souvent évoquées ; nous laisserons, quant à nous, le soin aux gens de terrain de les investiguer plus en profondeur et d’en débattre sereinement :
– augmenter l’offre par davantage de pompages souterrains et de déviations de rivières ? Irriguer davantage, alors que le thermomètre s’affole, ne saurait résoudre toutes les difficultés auxquelles est confrontée l’agriculture. Les risques d’évaporation et d’assèchement, de dérèglement de systèmes hydriques complexes compenseront sans doute bien mal notre manque de résilience agricole face aux extrêmes climatiques…
– modifier nos consommations en limitant, par exemple, drastiquement les produits de l’élevage ;
– modifier les périodes de semis et de récoltes afin de mieux adapter les choix de cultures à l’évolution générale du climat et singulièrement des températures saisonnières…
– introduire de nouvelles cultures mieux adaptées au dessèchement des sols. Le sorgho serait-il apte, par exemple, à remplacer les cultures de maïs pour l’alimentation animale ?
– tabler davantage sur les enseignements de l’agroécologie, en introduisant davantage de biodiversité au sein de nos cultures afin de mieux lutter contre les maladies et les ravageurs ?
– pratiquer des semis sur sols non labourés et opter résolument pour un couvert végétal permanent afin de limiter le ruissellement des eaux, au moment de la saison sèche ?
Le débat a commencé, l’urgence est là…
15, Déc 2022 | 2022, Analyses, Études
« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise… » Jean Monnet
Introduction / contextualisation
Par Dominique Parizel
En crise, incontestablement, nous le sommes, personne ne semble plus vouloir s’obstiner à contester cela. Nous n’avons même que l’embarras du choix : guerre en Ukraine accentuant la crise énergétique – même si aucune pénurie ne semble encore à craindre -, crise sanitaire – nous en sortons, ou presque ? -, crise politique – les populismes sont là et bien plus près de nous qu’on ne veut souvent l’admettre -, crise économique – bonjour l’inflation ! -, crise climatique, crise de la biodiversité, crise agricole, crise de foie (après les Fêtes)… Nous vivons tellement de crises – sans voir en quoi elles sont éventuellement complémentaires, en quoi ce sont éventuellement les mêmes… – qu’au fond, elles nous indiffèrent dans le cadre douillet de nos comportements quotidiens, elles ne semblent jamais devoir nous imposer d’amener quoi que ce soit de différent dans nos vies. Sauf quand, par le plus grand des malheurs, soudain la fatalité nous frappe !
Cette fatalité, cette terrible incertitude, cette grande injustice qui perpétuellement nous menace, cette impossibilité d’imaginer autre chose que ce que nous sommes et d’être autre chose que ce que nous vivons jour après jour, est une incommensurable source d’angoisse pour nos concitoyens. Beaucoup d’entre nous la nient et se drapent dans l’indépassable nécessité de ce qu’ils font, de ce qu’ils ont toujours fait. L’économie doit tourner, j’ai besoin de ma voiture pour aller travailler, je râle abominablement quand je suis dans l’embouteillage, je n’admets jamais que je suis moi-même une part significative de cet embouteillage ! La chose qui m’étreint ne trouve pas de solution. Le serpent se mord la queue. Le cancer me ronge. Mais comment pourrait-il en être autrement, les mêmes causes produisant immanquablement les mêmes effets et leur accumulation les amplifiant et les démultipliant ?
Les plus conservateurs se rassurent en mettant juste quelques emplâtres sur la jambe de bois : la magnifique Tesla électrique ne me privera pas de ma rutilante limousine où je roule seul et trop vite, la prolongation du nucléaire me donnera l’énergie pour produire les objets inutiles qui finissent à l’incinérateur mais m’enrichissent au passage, la conviction qu’il est possible de limiter l’utilisation des pesticides ne remettra jamais en question le modèle agricole qui déglingue les sols et la planète… Nous en sommes pas des bœufs, n’est-ce pas ? Le carbone, nous le stockerons, coûte que coûte, manu militari s’il le faut. Nous avons notre standing à conserver. MAGA, hurle Trump !
D’autre admettent la nécessité de se préparer mais sans savoir exactement à quoi. Ils appellent cela la « résilience » et on en parle beaucoup. Issu de l’anglais, ce terme fut d’abord employé en physique des matériaux, désignant leur capacité à absorber de l’énergie, à résister à un choc. Soit ça passe – et ça plie ! -, soit ça casse mais il est évidemment très intéressant de savoir jusqu’où ça peut tenir et pourquoi… Dans le domaine de la psychologie, Boris Cyrulnik popularisa ce terme, en France, signifiant – pour faire simple – la capacité d’un individu à surmonter les traumatismes, l’aptitude à continuer une vie satisfaisante en dépit de circonstances, d’événements qui soudain la bouleversent. Pour ce qui nous concerne, en matière environnementale, le terme s’emploie pour les écosystèmes ou les biotopes, ou toujours les individus, afin d’exprimer leur potentiel à se rétablir, après qu’un événement extérieur en a perturbé le fonctionnement ordinaire. Ce potentiel inespéré qui permet de continuer à vivre, par exemple, après un tremblement de terre, des inondations, une sécheresse intense… Toutes ces catastrophes qu’on nous annonce aujourd’hui bien plus fréquentes et qui peuvent être, entre autres, attribuées au dérèglement du climat…
Question essentielle, par conséquent : qu’est-ce qui peut contribuer à nous rendre plus résilients, individuellement et collectivement ? C’est évidemment très difficile à dire… La résilience tient autant de la prévoyance bien ordonnée – au sens où le comprennent, par exemple, les Femmes prévoyantes socialistes – que de l’instinct de survie – ce qui nous reste lorsque nous ne pouvons plus fuir, lutter ou nous replier sur nous-mêmes… Longtemps, Nature & Progrès s’est efforcé d’imaginer – dans la droite ligne d’une bio qui devait pallier aux dérives de l’agriculture chimique -, l’ensemble des comportements citoyens qui pourraient s’avérer salutaires en cas de « gros pépin » engendré par un progrès mal pensé. Pendant très longtemps, aux yeux des écologistes, le symbole même de ce « gros pépin » fut l’accident nucléaire. Que pouvait-on bien trouver afin d’être à même de survivre – physiquement et symboliquement – à un effondrement de ce genre ? Les plus anciens se souviennent de séries de BD comme Simon du fleuve, d’autres lisent encore Jeremiah… Voilà, en gros, ce que nous décrivons dans la première partie de cette étude, où nous essayons de faire le point sur bon nombre d’attitudes, certes rassurantes, mais qui n’ont qu’une puissance limitée de sauvegarde, eu égard à la grande diversité de situations qu’une résilience bien pensée devrait être aujourd’hui en mesure d’anticiper. Qu’on se rassure toutefois : si certaines propositions, peut-être, prêteront à sourire, toutes ne tiennent pas du pur fantasme – certaines sont même tout simplement ce que faisaient nos chers aïeux pour préparer l’arrivée de l’hiver ! D’autres nous prennent de vitesse : en témoigne l’initiative allemande – les Allemands sont bien connus pour être des gens prévoyants et organisés ! – de proposer gratuitement à la population une brochure poétiquement intitulée « Katastrophen Alarm » et qui n’a pas, bien sûr, son équivalent dans la Belgique incrédule où rien de fâcheux – voyons, vous n’y pensez pas ? – ne peut jamais se produire… Son but est simplement de fournir à la population quelques éléments de solutions concrets et réfléchis, au cas où surviendrait inopinément un problème grave.
Car des problèmes graves, de plus incontestablement liés à l’état du climat, nous commençons à en croquer ! Ils surviennent évidemment là où nous ne les attendions pas, comme la tartine qui tombe toujours sur la moquette du côté de la confiture. Rassuré qu’il était, entre sa mer du Nord et l’or bleu de ses Ardennes, le Belge moyen n’aurait jamais imaginé devoir se poser la question qui donne son titre à la seconde partie de la présente étude : « Et si l’or bleu venait à manquer ? » Que l’été 2021 fut marqué, en Wallonie, par des inondations particulièrement dramatiques rend, en effet, d’autant plus incroyable le fait que notre région ait connu, l’année d’après, un des pires épisodes de sécheresse de son histoire… Nous étions pourtant avertis : la crise climatique se traduirait, dans nos régions, par une alternance de précipitations intenses et de moments caniculaires. Etions-nous prêts ? Certainement pas. Quelles leçons tirons-nous, individuellement et collectivement ? C’est ce que nous allons tenter d’apercevoir, en prodiguant, au passage, l’un de nos conseils les plus anciens et les plus précieux : et si nous conservions jalousement, dans des citernes domestiques, le peu d’eau de pluie qui nous tombe encore sur la tête ? Notre bonne vieille « drache nationale » sera-t-elle une composante essentielle de notre résilience ? Il ne tient vraiment qu’à nous d’y songer sérieusement…
1ere partie
« Se préparer au pire ! »
Financière, climatique, énergétique, sanitaire… Les crises sociétales se multiplient mais, par effet domino, elles s’aggravent aussi l’une l’autre. En butte à une précarité grandissante et généralisée sur fond d’effondrement(s) (1), il est indispensable pour tout citoyen de gagner en résilience, en autonomie, de sortir de sa « zone de confort » et d’anticiper les catastrophes qui s’annoncent. Plus le temps de se faire peur donc. Voici le Plan B face aux pénuries…
Les catastrophes naturelles de ces deux dernières années sont inédites, brutales et d’une ampleur jamais vue auparavant. Outre les pertes humaines à déplorer, les dégâts matériels « astronomiques » grèvent progressivement les dettes de l’Etat : cinq milliards d’euros rien que pour les récentes inondations en Wallonie. Qui avait vu l’iceberg arriver ? Même les très prudentes compagnies d’assurance semblent avoir été prises de court. Que dire alors de la crise de la Covid-19 et de son interminable cortège de promesses suivies d’autant de rebondissements, d’improvisations, de tergiversations, voire de mesures contradictoires ? « Gouverner, c’est prévoir », dit l’adage. Certes, nos dirigeants politiques font ce qu’ils peuvent, essayant de trouver un juste équilibre entre l’avis parfois radical des « experts » et la gestion socio-économique du pays. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, dépassés, ceux-ci semblent de plus en plus réduits à subir les événements dramatiques qu’à les anticiper.
En cas de catastrophe majeure, il existe en Belgique un service de secours fédéral pour venir en aide à la population : la Protection civile. Ses effectifs, récemment revus à la baisse (!), sont répartis dans deux unités opérationnelles : Crisnée et Brasschaat. Leurs équipes spécialisées sont là pour venir en appui aux forces de police, de pompiers ainsi que des autorités communales et provinciales.
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La Protection civile belge
Le sigle de la Protection civile belge est facilement reconnaissable : un triangle bleu au centre d’un cercle orange. Le triangle bleu représente l’équilibre – cette couleur symbolisant la sécurité et la protection – et le cercle orange le chaos et de détresse. Si vous possédez un SmartPhone, téléchargez l’application 112 BE. Elle présente plusieurs avantages par rapport à un simple appel aux numéros 112 ou 101 :
1. Vous ne devez plus mémoriser les numéros d’urgence et vous ne risquez donc plus de les oublier si vous êtes en proie à la panique ;
2. Grâce à cette application, les services de secours peuvent vous localiser plus facilement. En effet, l’application transmet votre position à la centrale d’urgence avec laquelle vous êtes en communication, et l’actualise toutes les trente secondes ;
3. A condition de les avoir enregistrées au préalable, dès l’instant où il prend votre appel, l’opérateur dispose de certaines informations médicales sans que vous ne deviez les lui donner. Un problème de mobilité – moins valides -, un souci cardiaque, vous êtes sujet à certaines allergies – médicaments -, épileptique, diabétique… Il peut ainsi les transmettre plus rapidement aux services de secours qui viennent vous sauver.
Appeler avec l’application 112 BE est entièrement gratuit… mais ne fonctionne évidemment qu’en Belgique !
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Hélas, déployer les grands moyens, aussi efficaces soient-ils, ne s’avère pas toujours suffisant, en cas de force majeure. Tout le monde aura pu amèrement en faire le constat lors des dernières inondations. En pareil cas de figure, les services de secours – pouvant difficilement être présents partout en même temps ! – ont été complètement débordés. Le plus important reste finalement de pouvoir compter essentiellement sur soi-même. La solution développée dans ce dossier est d’inciter tout un chacun à préparer consciencieusement et surtout bien à l’avance, son « plan d’urgence » à domicile. Une fois qu’une crise majeure survient – inondation catastrophique, méga-feu, accident nucléaire, etc. -, il est trop tard pour commencer à prendre ses précautions…
Surabondance rime avec insouciance
En Allemagne, pays fortement touché par les inondations catastrophiques – un euphémisme -, le gouvernement a très bien compris l’intérêt d’anticiper ce genre de situation afin d’adoucir la détresse et la souffrance des citoyens. Une brochure intitulée « Katastrophen Alarm » (2), disponible gratuitement, a été éditée à cet effet et distribuée à la population. Une première qui n’a, à notre connaissance, pas encore son équivalent en Belgique. Elle propose des éléments de solutions, simples, concrets et réfléchis. Le message, un brin glaçant, est on ne peut plus clair : « dorénavant, chaque ménage doit se préparer au pire »…
A propos, qu’entend-t-on exactement par résilience ? C’est la faculté à se remettre d’un traumatisme qu’il soit psychologique ou physique. Puisque les futures catastrophes climatiques sont désormais inévitables et que celles-ci s’ajoutent à toutes celles que nous redoutions déjà, il n’est pas encore trop tard mais il est grand temps de s’y préparer sérieusement. Sortons la tête du sable !
Avec leurs rayons de vivres réassortis en permanence, les supermarchés ont fini par accoutumer les consommateurs à la surabondance. Contrairement à toutes les générations qui nous ont précédés, nous avons appris à ne pas nous préoccuper du lendemain. Trois générations ont passé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une époque où nos (arrière-)grands-mères remplissaient avec hantise leurs placards de réserves de nourriture dans l’attente du prochain conflit – en moyenne un tous les quarante ans ! Provoquant souvent la risée des jeunes générations nées au cours des Trente Glorieuses, ces femmes prévoyantes et sages avaient pourtant tellement raison…
Eviter les achats-panique !
Dans la foulée de la crise sanitaire, sont apparues les premières pénuries, un phénomène que nous n’avions jamais connu auparavant. Bois, acier, papier et autres matières premières ont commencé à manquer un peu partout, plombant les productions industrielles. La pénurie de micro-processeurs, par exemple, ces minuscules pièces d’un centimètre carré, a mis partout les chaînes de production à l’arrêt, notamment dans le secteur automobile. Du coup, les délais de livraison se sont allongés, les prix ont flambé, tandis que le manque de containers, l’engorgement des ports, l’explosion du prix du fret maritime, du prix de l’énergie en général, le manque de transporteurs, la mise en quarantaine des travailleurs… ont encore aggravé la situation.
A tous ces problèmes de logistique, parfois très complexes pour les entreprises, s’est encore ajouté le flux des marchandises aujourd’hui tendu à l’extrême. Le just in time est une politique commerciale qui repose sur les prévisions de la demande et la minimisation des stocks. Hélas, il augmente fortement les risques de rupture d’approvisionnement en cas de crise. Or celles de la Covid-19 et du Brexit sont venus tout bousculer de manière totalement imprévue, semant la pagaille un peu partout dans le monde.
Certes, tous ces retards ralentissent la reprise économique. Mais est-ce là le point le plus préoccupant ? Que se passerait-il si, pour une raison ou pour une autre, le problème d’approvisionnement devait s’étendre au secteur alimentaire ? A l’annonce du premier confinement, on se souviendra encore longtemps chez nous de ces frénésies d’achat pour… de simples rouleaux de papier hygiénique !
Ridicule, le phénomène est pourtant bien connu sous le nom de « prophétie auto-réalisatrice » : la peur du manque qui, ceci étant dit, semble inscrite dans nos gènes, entraîne souvent la pénurie alors qu’au départ, elle n’était que virtuelle. Des mouvements de panique semblables ont été vécus, en mars 2020, aux Etats-Unis, avec une ruée sur les stocks de nourriture disponibles. Chez nous, lait, beurre, blé, pâtes, concentré de tomates, etc. avaient déjà commencé à manquer au début de la crise de la Covid-19. Il ne faut pas grand-chose pour que les rayons des magasins se vident… quand ils ne sont pas dévalisés ! La surabondance affichée par la grande distribution n’est, en fait, qu’une vaste illusion commerciale. Mieux vaut ne pas s’y fier et miser davantage sur l’autonomie alimentaire. C’est justement là que réside le cœur de notre Plan B…
« Je te survivrai » (3) ?
Ce genre de scénario catastrophe, aux effets relativement limités jusqu’ici, risque de devenir de plus en plus fréquent, pour ne pas dire de plus en plus sévère. Si seulement il pouvait servir d’avertissement, d’occasion pour expérimenter la transition, un changement en profondeur de notre société d’insouciance… A commencer par la redécouverte d’autres pistes de comportements, dans la droite ligne du bon sens élémentaire de nos ancêtres : autoproduction, apprentissage et transmission des savoirs et des savoir-faire d’antan, prévoyance, débrouillardise, sobriété, partage, réseaux de solidarité, recyclage systématique, etc.
Oubliez les gros clichés sur les survivalistes nord-américains, la kalachnikov en bandoulière (4), ou sur ces milliardaires qui se font construire des bunkers postapocalyptiques. Il ne s’agit pas ici de céder aux délires catastrophistes mais simplement de se tenir prêt. On les appelle les Preppers. Ce ne sont pas des gens paranoïaques mais des citoyens lucides qui se préparent à affronter la fin de notre société thermo-industrielle, telle qu’on l’a connue jusqu’ici. Pas la fin du monde – ce grand mythe biblique – comme on l’entend parfois mais juste la fin d’un monde, de notre monde. Sacrée nuance !
Comment s’y préparer ? Plus une société est complexe, plus elle est fragile et donc vulnérable. Une simple coupure d’électricité, une rupture du réseau Internet ou une interruption dans l’acheminement de carburants peut rendre toutes les choses de la vie, même les plus simples, extrêmement compliquées, surtout si de tels ennuis se prolongent. Nous sommes bel et bien entrés dans l’ère de l’extrême dépendance. L’Etat-providence sera-t-il toujours à nos côtés pour nous porter assistance et satisfaire nos – énormes – besoins ? « Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter d’être assistés ou de lui confier la responsabilité d’être résilient, explique Joël Schuermans, rédac’ chef du magazine Survival, il faut pouvoir compter essentiellement sur soi-même, anticiper les problèmes et trouver des solutions… »
Stockage, de la cave au cellier ?
Pour anticiper une catastrophe de grande ampleur, la chose la plus élémentaire consiste à jouer les hamsters : assurer ses réserves de nourriture. A la maison, la pièce qui s’y prête le mieux reste la cave. Les maisons anciennes ont généralement l’avantage d’avoir été bien mieux conçues que celles d’aujourd’hui. Autonomes et dépourvues de frigidaire à l’époque, elles recelaient de pièces de stockage destinées à la conservation de toutes sortes d’aliments…
Une cave se doit d’être sèche, obscure et fraîche. Quitte à ressembler à « une petite épicerie » aux yeux des sceptiques, un foyer doté de telles réserves permet de rester serein en cas de crise aiguë et, le cas échéant, de rassurer les membres de sa famille ou de ses proches. Bien avant de songer à se garder de bons petits plats, ce sont les réserves de boissons – non alcoolisées ! – qui s’avèrent les plus indispensables à la survie. De fait, s’il est possible de tenir trois semaines sans manger, un être humain ne tient pas plus de trois jours sans boire ! Aussi, faut-il tabler sur environ quatorze litres d’eau potable – ou potabilisée – par personne et par semaine. Mieux encore, pour ceux qui disposent d’un jardin fruitier, faire presser ses fruits et en stériliser le jus afin de constituer une belle réserve. Pas cher et très salutaire !
Les adeptes de stages de survie se donnent comme objectif de pouvoir tenir six mois, voire un an, avant de sortir de chez eux. Plus modeste, une réserve de victuailles bien pensée devrait permettre à un simple ménage de tenir au minimum deux semaines, le temps que les échoppes puissent se réapprovisionner normalement.
En temps normal, les réserves stockées en cave « tournent » tout le temps : on prend le pli d’alimenter le fond des étagères et on se sert par devant. Le remplacement se fait au fur et à mesure, pensez donc à dater soigneusement les bocaux maison ! Ne comptez pas trop sur le frigidaire ou sur le surgélateur. En cas de panne de courant généralisée et prolongée, à moins d’être équipé de panneaux solaires et de batteries domestiques, les énormes électroménagers auxquels nous sommes si habitués, ne vous seront d’aucun secours. Pire, une fois décongelées, les vivres devront être consommées tout de suite, sans pouvoir être recongelées…
L’idéal reste, bien sûr, d’habiter à proximité d’un agriculteur bio ayant une ferme en polyculture-élevage – voir évidemment la liste des producteurs labellisés Nature & Progrès publiée dans Valériane n°151 – et qui commercialise ses produits en circuit court. A moins, bien sûr, que nous ne subissions une pollution chimique ou nucléaire, la grippe aviaire ou la peste porcine, et j’en passe et des meilleures…
Quelques exemples de provisions indispensables
Emballés hermétiquement – attention aux rongeurs ! – et soigneusement rangés sur les étagères, s’empilent les traditionnels paquets de pâtes. Très nutritives, on peut y ajouter les sachets de lentilles. Pensez aux bocaux de conserve maison réalisés par lactofermentation avec les légumes du potager (5) : pois chiches, haricots, carottes… Ajoutons à cela quelques terrines maison, un échantillonnage de plats préparés en bocaux – ratatouille, blanquette de veau, choucroute, soupes… -, le tout complété par diverses conserves assez classiques disponibles dans le commerce. N’oublions pas les réserves de riz concassé, les boîtes de sardines, le coulis de tomates, les bidons d’huile ou encore du beurre clarifié. Tout cela conserve très bien.
Vous êtes un cueilleur de champignons averti ? Desséchez donc votre récolte de cèpes, girolles et chanterelles au dessiccateur – en vente dans tous les magasins bio. Ils prendront très peu de place. Prévoyez aussi suffisamment de farine bio pour faire votre propre pain. Mais attention à la vermine ! Pensons même – pourquoi pas ? – au dessert : bocaux de cerises, pêches et poires au sirop, confitures, miel, café soluble et lait concentré sucré, lait en poudre pour le bébé, tablettes de chocolat, bouteilles de sirop, bière maison – kit de fermentation – et vins de fruit… Pour les coups vraiment durs, une caisse de produits lyophilisés viendra compléter l’épicerie domestique. Ils sont plus chers mais se conservent presque indéfiniment – une vingtaine d’années. Tant que j’y pense, n’oubliez pas les croquettes du p’tit chat !
Conservés en cellier, les aliments suivants se conservent moins longtemps mais permettent néanmoins de passer l’hiver : courges du jardin, tresses d’oignons et d’échalotes suspendues, caisses de patates douces, pommes de terre associées astucieusement aux pommes de longue conservation – ‘Gris Braibant’, ‘Godivert’, ‘Reinette Hernaut’, ‘Président H. Van Dievoet’… -, variétés de poires d’hiver – ‘Jules d’Airoles’, ‘Comtesse de Paris’, ‘Beurré de Naghin’… – alignées sur claies, bacs de châtaignes et de noix du jardin. Réserver l’endroit à température la plus stable – 10 à 12°C – pour les fromages durs de longue conservation : tome de Savoie, roquefort, beaufort…
Dans la partie totalement obscure, on peut encore placer des bacs pour le forçage des racines de chicons, afin de bénéficier d’une sorte de potager d’hiver. Ne perdons pas de vue les légumes qui ne nécessitent aucun moyen de conservation car ils passent l’hiver dehors : les poireaux, les choux et les topinambours. Quant aux œufs frais, ils peuvent se récolter quasi toute l’année au poulailler. Point besoin d’ajouter qu’en période de vaches maigres, mieux vaut vivre à la campagne et s’adonner aux joies de la permaculture bio, plutôt que de céder aux hypothétiques facilités de la ville…
Et les biens non-alimentaires ?
Nous n’imaginons plus assez à quel point notre société dépend des sources d’énergie, et de l’électricité en particulier. Une panne généralisée… et le chauffage ne démarre plus ! Du coup, il n’y a plus d’eau chaude non plus. Zut, le PC est à l’arrêt et la machine à café reste muette. Mais là n’est pas le plus grave : le distributeur de billets ne fonctionne plus non plus – pensez donc à avoir, chez vous, une petite réserve de cash ! -, tout comme la pompe à essence. Inutile de préciser que tout le monde est plongé dans l’obscurité car personne évidemment n’a songé à stocker des bougies. Alors on fait quoi ?
En cuisine, à défaut de plaques chauffantes, il faudra probablement se rabattre sur le réchaud de camping. Pensez donc aussi aux stocks… de boîtes d’allumettes, vous allez en avoir besoin. Parmi les ustensiles de secours qui doivent figurer dans le « kit de survie familial », il y a aussi la radio. Elle sera solaire-dynamo. La radio reste, en effet, le principal dispositif qui permet de se tenir au courant lorsqu’une catastrophe majeure survient. Multifonctionnel, le modèle Panther, par exemple, permet non seulement de recharger son téléphone portable grâce à une prise USB mais aussi de s’éclairer grâce à une ampoule LED incorporée. Une minute de manivelle suffit pour écouter les news pendant un quart d’heure. Dans le commerce, on trouve encore d’autres articles conçus spécialement pour les situations de détresse, du banal couteau suisse Victorinox multifonction, au couteau Semptec muni d’un allume-feu au magnésium.
Toujours au « rayon du boy-scout débrouillard », à l’intention de ceux qui sont équipés d’un poêle à bois, on trouve le bois de chauffage dont il faut toujours garder un stock sous la main, de quoi pouvoir se chauffer en hiver, au cas où le chauffage serait inutilisable.
C’est quand le pendule s’arrête qu’on entend son tic-tac…
On ne se rend vraiment compte du luxe que représente l’eau courante… que lorsqu’il n’y en a plus ! En cas de coupure annoncée de l’eau de distribution, pensez donc à remplir tous les grands récipients disponibles, comme la baignoire, les bidons, les seaux… Pour se pourvoir en eau potable, hormis l’eau minérale en bouteille, il existe des gourdes filtrantes LifeStraw ou encore des filtres portables Katadyn Pocket qui s’avèrent parfois très utiles, une fois qu’on est coincé au milieu de nulle part. On les trouve, dans les magasins de camping ou de bushcraft : A.S. Adventure ou Décathlon…
Le manque d’hygiène est à l’origine de nombreuses maladies. S’il devient impossible de se doucher, se laver les mains reste le geste le plus important. Pensez donc à stocker du savon, du dentifrice, une trousse de toilette, quelques flacons de détergent, des sacs poubelle et… les désormais célèbres rouleaux de papier hygiénique ! Last but not least, il est également bon de garder à portée de main une trousse de premiers soins. Doivent y figurer, les médicaments personnels prescrits par votre médecin, des analgésiques, des remèdes contre la diarrhée, les refroidissements, les vomissements, un désinfectant pour les plaies, des compresses, des pansements, une pince à épiler, un thermomètre, une paire de ciseaux, etc.
Les stocks disponibles en pharmacie sont souvent très limités. Aussi, conserver des antibiotiques peut sauver des vies. Quant aux fameux comprimés d’iodure de potassium, ils sont gratuits et à votre disposition en pharmacie, en cas d’incident nucléaire. Hélas, la pharmacienne de mon village m’a confessé que bien peu d’habitants lui en ont demandés. Heureusement que ce genre d’accident « n’arrive jamais »… Le déni ferait-il donc partie des réflexes de survie d’Homo sapiens ?
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Toujours garder les documents importants à portée de main !
Lors des inondations catastrophiques de juillet 2021, beaucoup de sinistrés ont dû quitter leur habitation dans la précipitation, sans même savoir ce qui allait advenir de leurs biens. Miraculeusement indemnes, certains se sont retrouvés court-vêtus sur leur propre toit, sans même être en mesure… de prouver leur identité !
En temps utile, il est donc indispensable de rassembler tous les documents importants et de les conserver dans un endroit sûr ou, mieux encore, dans une mallette étanche, à portée de main. Idéalement, devraient y figurer au moins des copies des documents suivants :
– actes de naissance, mariage, décès… pour chacun des membres de la famille,
– livrets d’épargne, contrats bancaires, actions, titres, polices d’assurance, ainsi que les attestations de rente, de retraite ou de revenus, les derniers avertissements-extraits de rôle du SPF Finances…
– diplômes scolaires, universitaires et autres certificats, contrats de location, de leasing, testaments et autres procurations…
– cartes d’identité, passeports, permis de conduire et papiers du véhicule, ce dernier ayant été, le plus souvent, emporté au loin par la rivière en crue…
– extraits du plan cadastral, preuves de paiement des primes d’assurance, en particulier pour la retraite, preuves d’inscription à l’ONEM, factures prouvant des facilités de paiement, etc.
– et, bien sûr, votre fameux Pass sanitaire ou vaccinal, prouvant votre vaccination à la Covid-19, puisqu’on risque toujours de l’exiger à l’entrée de l’un ou l’autre service d’urgence…
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En guise de conclusion (temporaire)
Bon. Pas de panique. Il est très difficile d’imaginer ce qui pourrait engendrer une authentique situation de détresse, et de savoir par conséquent ce qu’il est vraiment utile de faire, dès maintenant, pour bien s’y préparer. Il n’est, bien sûr, jamais inutile d’y avoir un peu songé en temps opportuns, sans sombrer pour autant dans l’anxiété permanente, ce qui serait la pire des choses pour notre santé mentale… Mais quand même. Nous l’avons évoqué : une certaine insouciance ressemble aujourd’hui trop souvent à du déni. Diverses formes de vigilance et de prévoyance citoyennes paraissent même devenues indispensables. Evitons en l’occurrence de nous caricaturer nous-mêmes : bien sûr que les membres de Nature & Progrès sont avertis de ces questions et savent comment cultiver et conserver leurs propres aliments… L’autarcie et le repli sur soi, sachons le reconnaître, seraient sans doute, par conséquent, des tentations bien dangereuses en cas de crises redoutables.
Il y a donc – nous les avons énumérés – de simples préparatifs à effectuer sereinement, de vrais réflexes salutaires qu’il nous faut acquérir sans délais, une capacité nouvelle que nous devons travailler en nous-mêmes afin de réagir efficacement face à des situations qui seront forcément inédites et que nous sommes, le plus souvent, totalement incapables de prévoir. Nos meilleures chances, ne nous y trompons pas – et la tragédie des inondations l’a clairement démontré -, résideront dans nos ressources humaines et morales, en termes de solidarité, d’altruisme et d’entraide. A cela aussi, nous devons nous préparer…
2e partie
« Et si l’or bleu venait à manquer ? »
Comment peut-on encore gaspiller l’eau potable en l’utilisant négligemment aux toilettes ou en remplissant sa piscine, quand partout la terre se craquelle ? Dans une Europe en voie d’assèchement, elle est devenue une ressource rare, forcément de plus en plus chère et… source de conflits…
Quelles pistes devons-nous aujourd’hui adopter pour une gestion responsable, équitable et résiliente de l’eau ? De quoi s’adapter aux effets de plus en plus préoccupants du dérèglement climatique. Ces quelques petits conseils doivent-ils être prodigués aux seuls ménages ? Ou devons-nous aussi prendre en considération l’empreinte hydrique de notre industrie ? Voire celle de notre agriculture intensive, si gourmande en eau ? Voilà ce que se propose d’examiner cette seconde partie de l’étude…
Les deux faces d’une même pièce
Après s’être longuement penché sur la façon de prévenir et de contrer les inondations, voilà que l’actualité de l’été 2022 nous pousse soudain vers l’autre ornière : affronter les sécheresses à répétition ! Eh bien oui, juillet 2021 et juillet 2022 évoquent à eux seuls les effets désastreux du Changement climatique. Inondations record et sécheresse historique ne sont en réalité… que les deux faces d’une seule et même pièce. Dans son 6e rapport daté du 9 août 2021, le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) annonce sans sourciller que le changement climatique est en train de se généraliser, de s’accélérer et de s’intensifier. A l’avenir, les vagues de chaleur seront plus fréquentes, plus longues, plus sévères, surtout en Europe, région où tous ces changements s’exerceront de manière deux fois plus violente qu’ailleurs. Excusez du peu !
Dans le sud de la France, le mois de juillet dernier aura été le plus sec depuis le début des relevés météorologiques. Un phénomène associé à des vagues successives de sécheresse et de pics de chaleur extrêmes, entrainant à leur tour des effets dramatiques sur la végétation forestière, vulnérable au stress hydrique avec risques accrus d’incendie à la clé, parfois incontrôlables, comme en Gironde ou en Dordogne.
En réaction à ce scénario peu réjouissant pour l’avenir de la planète, la rhétorique habituelle exige de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Tout le monde est maintenant bien d’accord là-dessus, mais il faudra aussi désormais – et c’est le thème de ce dossier – pouvoir s’adapter à tous ces changements. Car ceux-ci sont, hélas, irréversibles. N’en déplaise aux sceptiques, il n’y a pas de retour attendu « à la normale » avant… quelques milliers d’années !
« Iceberg droit devant capitaine ! »
A vrai dire, les climatologues – traités jusqu’ici au mieux de grincheux ou de catastrophistes – ne s’attendaient pas à un tel coup d’accélérateur. Ils sont aujourd’hui dépassés par l’ampleur des événements. L’horizon 2030-2040 ? Il est pulvérisé ! L’augmentation du nombre de périodes de sécheresse, tant en fréquence qu’en intensité rend la question de l’eau de plus en plus préoccupante, avec – on s’en doute – des effets catastrophiques sur notre approvisionnement, sur l’ensemble des écosystèmes, sur notre agriculture et notre alimentation en particulier.
La situation est même à ce point alarmante, qu’à la COP 27 qui s’est tenue en Egypte, l’ONU nous demande de nous préparer… aux vagues de chaleur. Sympa ! Depuis l’accord de Paris, l’espoir de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C est, en effet, largement dépassé et considéré comme « hors d’atteinte ». Nous courons droit vers les +2,8°C. Un brin désabusé, Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’Organisation, en tribun désappointé de la lutte contre la crise climatique, ne mâche pas ses mots : « Nous nous dirigeons droit vers une catastrophe mondiale », affirme-t-il sans détours. Beaucoup de régions de la planète, touchées par les méga-sécheresses occasionnelles, risquent de devenir des zones définitivement sèches… Et donc tout simplement invivables pour l’être humain (6).
Cet été, les Européens ont tiré la langue en affrontant le manque d’eau potable. Rien qu’en France, nonante-trois départements sur nonante-six ont connu des restrictions dans l’usage de l’eau dont soixante-six concernant l’eau potable. Tous les prélèvements non-prioritaires y ont été interdits : arrosages de jardins, d’espaces verts, de terrains de golf, lavage des voitures et bien sûr le remplissage des piscines… Des restrictions d’eau qui, pour l’heure, sont toujours en cours dans certaines régions.
« Quand tu portes ton propre seau d’eau, tu te rends compte de la valeur de chaque goutte… »
Et en Belgique ? Faute d’eau potable au robinet, de nombreuses communes wallonnes n’ont eu d’autre alternative que d’être approvisionnées par camions-citernes de soixante mille litres chacun. Cet automne encore, en Ardenne, ils font la navette depuis le barrage de Nisramont pour pallier au manque d’eau dans certaines zones de captage. Du jamais vu ! Un surcoût environnemental dont on se serait évidemment bien passé… Les sources seraient-elles moins bien approvisionnées que par le passé en raison d’un déficit pluviométrique ? Ou peut-être, au fil du temps, les besoins de consommation sont-ils devenus de plus en plus importants ? Les deux assurément. Selon la fédération professionnelle des opérateurs d’eau, un ménage moyen de trois personnes ne consommerait que cent quatre mètres cubes d’eau potable par an, un chiffre qui serait même revu à la baisse, ces dernières années en raison notamment de la performance des appareils économes en eau. Bonne nouvelle donc ? Pas sûr…
Car, à notre petite consommation, s’ajoutent d’abord les pertes liées au vieillissement de notre réseau de distribution – jusqu’à 20% ! La « Stratégie Intégrale Sécheresse », S.I.S., lancée à l’initiative de la ministre Céline Tellier, approuvée par le gouvernement wallon en juillet dernier, a notamment retenu, parmi ses nombreuses mesures, d’améliorer la performance du réseau d’eau potable en réduisant les fuites. Avec nos quarante mille kilomètres de réseau – de quoi faire le tour du globe – il y a encore du pain sur la planche !
Pour être tout-à-fait honnête, il faudrait cependant préciser que nos besoins en eau ne se limitent pas à l’écoulement du robinet de la cuisine et à celui de la salle de bain. Selon l’ONG Water FootPrint Network (7), l’empreinte hydrique du Belge serait quand même une des plus importante au monde… si on veut bien tenir compte de nos consommations indirectes, incluant ne serait-ce que la quantité d’eau nécessaire pour faire pousser les aliments que nous mangeons et celle qu’il faut pour fabriquer les vêtements que nous portons. Les chiffres cités en la matière laissent rêveur. La fabrication d’un hamburger ? Mille litres d’eau ! Celle d’un simple jean ? Dix mille litres… Notre hyperconsommation pèse lourd sur les réserves en eau et, même si la consommation journalière du ménage belge est relativement sobre par rapport à celle des autres Européens, il en consomme malgré tout bien trop. Et il y a fort à parier qu’à l’avenir, restrictions et coupures d’eau se feront de plus en plus pressantes…
« Tirer une chasse d’eau potable sera bientôt une aberration totale, voire une hérésie »
A domicile, les principaux postes de consommation d’eau potable se trouvent aux toilettes – 31% – et à la salle de bain – 36%. Se rajoutent à cela, la consommation pour la lessive – 12% -, l’entretien – 9% – et la vaisselle – 7%. En comparaison, l’utilisation en cuisine pour l’alimentation et les boissons apparaît, somme toute, presque négligeable – 5%. De tels pourcentages laissent entrevoir l’énorme potentiel que représente, par exemple, la récupération systématique de l’eau de pluie. Au moins 60% de notre consommation domestique – salle de bain + toilettes – pourrait ainsi être facilement satisfaite, sans compter les usages en extérieur… Mais on mesure surtout pourquoi laver chaque semaine sa voiture, sa terrasse ou son trottoir, arroser copieusement ses vertes pelouses avec de l’eau potable sont devenus des gestes peu éco-responsables, de plus en plus mal vus par l’entourage, surtout quand les pluviomètres restent désespérément vides.
Au nord du pays, comme chez nos voisins néerlandais, le problème devient vraiment très préoccupant. D’année en année, en plus d’être fortement exposé aux pollutions agricoles dont sont responsables les élevages intensifs, le niveau des nappes phréatiques baisse dangereusement. Selon le World Resources Institute, la Flandre est de plus en plus exposée au manque chronique d’eau. Au niveau mondial, même la Namibie ferait mieux ! Ceci explique pourquoi la politique menée en Flandre pour valoriser l’eau de pluie est si différente de celle menée jusqu’ici en Wallonie. Elle est même diamétralement opposée !
En Wallonie, l’inquiétante sécheresse de 2022 fut visible surtout au niveau des cours d’eau historiquement bas, où la pratique du kayak et celle de la pêche furent interdites. Mais notre inquiétude n’aura été, en fin de compte, que fort limitée. Les précipitations de l’automne et de l’hiver précédents avaient été suffisamment abondantes pour permettre de recharger les nappes. C’est dans ces réservoirs souterrains naturels, situés essentiellement dans les zones calcaires, qu’est essentiellement prélevée notre eau de distribution – à raison de 79,2%.
Seules quelques dix-huit communes wallonnes, afin d’éviter tout gaspillage, ont été contraintes de prendre des mesures pour restreindre leur consommation d’eau. De leur côté, pour atténuer les effets du réchauffement sur notre approvisionnement, les hydrologues ne manquent pas d’imagination. Parmi les bonnes idées formulées dans la S.I.S., notons la lutte contre l’imperméabilisation et le soutien à l’infiltration des eaux à très grande échelle, en généralisant par exemple la plantation de haies et de bandes boisées. De telles mesures permettent aux eaux pluviales de recharger davantage les nappes phréatiques, plutôt que de s’engouffrer directement dans les caniveaux…
Plutôt que de puiser sans cesse dans les nappes phréatiques, il faudrait peut-être aussi penser à réutiliser les eaux usées. Une fois épurées, elles pourraient très bien servir à l’irrigation des cultures…
En ville, où le moindre mètre carré est asphalté et bétonné, il serait judicieux de créer des trames bleues et vertes en périphérie. Quant aux particuliers, il serait bon de doter chacune de leur habitation d’une grande citerne d’eau de pluie…
« Chacun tire l’eau à son moulin »
Généraliser la récupération de l’eau de pluie est une réponse particulièrement intéressante à développer, d’autant qu’à l’instar des autres mesures énumérées ci-dessus, elle atténue également les pics d’écoulement lors de fortes pluies, surtout en ville. Par effet tampon, cet effort de récupération sera de nature à éviter le débordement des égouts et celui des stations d’épuration, tout en diminuant indirectement les risques de débordement des rivières. Les deux phénomènes, sécheresses et inondations, sont ainsi définitivement liés.
Hormis sa précieuse gratuité, ce don de la nature qu’est l’eau pluviale présente encore de nombreux autres avantages d’un simple point de vue domestique. Exempte de calcaire, elle prolonge notamment le fonctionnement des appareils ménagers : machines à laver, machines à café, bouilloires, conduites d’eau, robinetterie et pommeaux de douche… Très douce, l’eau de pluie est idéale aussi bien pour laver le linge que la vaisselle. Plus besoin par conséquent d’adoucisseur, de produits anticalcaires ou de détartrage, sans compter l’économie substantielle en savons divers et détergents non ou peu biodégradables.
« Et contrairement à ce qu’on peut lire sur les fiches pratiques publiées par Aquawal, relève Eric Simons, de la société Airwatec, spécialisée en filtration et traitement des eaux, l’eau de pluie n’est pas mauvaise pour la peau. Tant qu’elle n’a pas atteint le sol, celle-ci est de très très bonne qualité. » On a longtemps jeté systématiquement le discrédit sur l’eau de pluie – tiens, tiens, ce qui est gratuit serait-il forcément moins bon? – mais une fois filtrée, sa qualité est vraiment remarquable : pas de chlore, pas de nitrates, pas de résidus de pesticides…
« En revanche, de plus en plus de produits chimiques se retrouvent dans les nappes phréatiques dont la qualité n’arrête pas de se détériorer. La situation n’est plus la même que dans les années soixante et évolue sans cesse, souligne encore Eric Simons, aujourd’hui des traces d’antibiotiques et de perturbateurs endocriniens par exemple s’y retrouvent. Or, il n’existe aucune méthode, aucune membrane d’osmose pour s’en débarrasser ! »
En France, d’après le journal Le Monde, des substances issues de la dégradation des pesticides épandus durant des décennies sur les terres agricoles, ont fini par percoler jusque dans les nappes phréatiques. Ces produits – parfois entre-temps interdits à la vente et/ou à l’usage – se sont fragmentés et recombinés en nouvelles molécules, connues désormais sous le nom de métabolites. On estime à présent, que douze millions de personnes auraient au moins épisodiquement consommé une eau « non conforme », polluée par ces substances aux noms barbares. Parmi elles, le chloridazone desphényl dérivé d’un herbicide utilisé dans la culture de betteraves. Avec des concentrations maximales régulièrement dépassées, le principe de précaution aurait dû être appliqué. Un prochain scandale sanitaire en suspens ? Voilà qui en dit long en tout cas sur l’étendue de la contamination de nos ressources en eau par les pesticides mais aussi sur les lacunes dans la surveillance de la qualité de l’eau potable – jusqu’ici, la plupart de ces substances dont la toxicité reste inconnue ne sont tout simplement pas recherchées -, sans parler du désarroi de nos élus et des autorités sanitaires contraints d’imaginer, en urgence, de nouvelles normes moins restrictives pour éviter de devoir interdire la consommation d’eau de distribution dans certaines régions…
Aujourd’hui, pour des raisons écologiques mais pas seulement, un nombre croissant de consommateurs se tournent vers l’eau de pluie et optent pour le placement d’une citerne afin de satisfaire au moins une partie de leurs besoins domestiques. Obligatoires en Flandre et à Bruxelles lors de la construction, les nouvelles habitations en sont désormais systématiquement équipées. En Wallonie, il n’a pas semblé nécessaire au législateur de les imposer car de nombreux constructeurs s’en sont équipés spontanément, soit par souci de rentabilité, soit parce que les autorités communales, en particulier celles qui sont régulièrement en déficit hydrique, conditionnent simplement l’installation d’une citerne au permis d’urbanisme, tandis que parfois, d’intéressantes primes sont octroyées…
Reste cependant un problème de taille : si l’eau de distribution est un des produits alimentaires les plus contrôlés – trente mille analyses par an -, par des prélèvements opérés sur les lieux de captage ou directement au robinet du consommateur, en passant par les zones de stockage – d’après la Société Publique de Gestion des Eaux (SPGE), les normes de qualité sont même supérieures aux exigences légales – il n’y a évidemment guère de garanties apportées pour les eaux dites « alternatives », à savoir l’eau de pluie, l’eau de puits et l’eau de source. Chargée de micro-organismes – virus, bactéries – et de différentes matières en suspension lors de son parcours – toit, gouttière, citerne -, l’eau de pluie est impropre à la consommation en tant que telle. Quant aux eaux de puits ou de source, après avoir ruisselé sur les terres agricoles, elles peuvent malheureusement être chargées en nitrates et en résidus de pesticides. Pour des raisons sanitaires évidentes, ces eaux pourraient donc, en principe, n’être destinées que pour l’usage externe sans risques sanitaires : le jardin, la serre, l’entretien du logement, le lavage de la voiture, à la buanderie ou encore aux toilettes.
« Creusez un puits avant d’avoir soif »
Précisons encore que si les propriétaires de citernes d’eau de pluie ne doivent pas les déclarer, ceux des puits sont soumis à d’autres obligations : couvercles fermés à clef, compteurs volumétriques, taxes pour le rejet d’eaux usées, etc. Quant au forage, la tâche doit être exécutée par un professionnel agréé et, cette fois, c’est le permis d’environnement qui est requis. Dans tous ces cas de figure, afin d’éviter toute contamination du réseau publique d’eau potable par une eau qui ne le serait pas, Aquawal a tout prévu. À l’intérieur de l’habitation, c’est le « Code de l’eau » qui s’applique, en reprenant les règles à respecter. Toute connexion physique entre le réseau de distribution et autre « réseau alternatif » est interdite, notamment par un jeu de vannes ou de clapets anti-retour. Ces réseaux doivent donc faire l’objet de raccordements distincts.
Comme la potabilité de l’eau recueillie à la sortie des gouttières peut être mise en doute, le particulier se voit généralement contraint a priori de ne valoriser son eau de pluie qu’à la buanderie, au garage ou au jardin. Même limité uniquement à l’usage des toilettes – ce qui représente quand même un tiers de la consommation d’un ménage – l’utilisation de l’eau de pluie représente déjà une jolie économie. Fort heureusement, il existe des dispositifs compacts et relativement bon marché pour traiter l’eau, ce qui permet d’élargir davantage le champ des applications, le tout avec une sécurité accrue d’utilisation. Le kit Cintropur TRIO-UV triple action – filtration des particules, traitement par charbon actif et stérilisation UV – que nous avons testé, assure par exemple un traitement intégral particulièrement intéressant.
Extraite de la citerne par une aspiration flottante, le traitement de l’eau se fait, dans un premier temps, par filtration mécanique à l’aide d’une « chaussette » – un tamis de 25μ -, afin de retenir les particules les plus fines. L’eau est ensuite traitée au charbon actif à base de noix de coco, puis est finalement stérilisée par rayonnement UV. L’eau de pluie peut alors être valorisée à hauteur de 95%, et être utilisée en toute sécurité, pour toutes les applications sanitaires de la maison : lave-vaisselle, lave-linge – sept mètres cubes par an -, bains, douches, lavabos, jacuzzis… Et même la piscine – soixante mètres cubes ! – Ces piscines dont les ventes ont littéralement explosé avec la succession d’étés caniculaires. Le serpent est en train de se mordre la queue !
Contrairement aux processus chimiques de désinfection par l’ajout de chlore, la stérilisation par rayonnement UV est un moyen physique germicide, sans risque de surdosage et sans sous-produits toxiques. Durant le passage de l’eau, les bactéries, les virus et les protozoaires sont neutralisés. L’eau de récupération débarrassée de son goût et de ses odeurs désagréables de citerne devient pure bactériologiquement. Notons cependant que cette eau n’est toujours pas considérée comme 100% potable tant que les paramètres chimiques n’auront pas, eux aussi, été vérifiés et jugés satisfaisants. Ainsi, écologie rime-t-elle aussi avec économie pour le budget du ménage. Mais ceux qui n’ont pas envie de se lancer dans une telle entreprise, peuvent déjà commencer par une utilisation minimale de l’eau de pluie au jardin, le plus simple consistant, par exemple, à raccorder, sur la terrasse, une descente de gouttière à une cuve ou à un tonneau, via un collecteur à filtre WISY qui envoie à l’égout feuilles, mousses et invertébrés indésirables. L’appoint en eau propre est tout sauf négligeable. Les récipients de mille, voire deux mille litres, sont peu onéreux et aisément disponibles en jardineries…
Des citernes et des primes : nos meilleurs « tuyaux »…
Pour ce qui est du stockage, il existe plusieurs types de citernes. Les modèles aériens en polyéthylène, imputrescibles et résistants au gel, montent jusqu’à dix mille litres. Certains peuvent aussi être enterrés et même jumelés. Hélas, ces derniers sont assez onéreux : trois mille cinq cents euros pièce, hors travaux de terrassement…
La formule idéale semble plutôt être la dépose dans le sol, lors de travaux de construction ou de restauration, de citernes en béton de dix mille voire vingt mille litres… Budget : deux mille cinq cents euros, hors terrassement. L’investissement est donc relativement vite amorti. Avec les citernes en béton, l’acidité de l’eau stockée est en plus rapidement neutralisée. Notons aussi que la plupart des gens qui recourent à l’eau de pluie regrettent généralement de ne pas avoir opté, dès le départ, pour une citerne de plus grande capacité…
Pour récupérer l’eau de pluie, mieux vaut encore que le toit soit pentu et recouvert de tuiles car la superficie de captage est plus grande. Les toits plats couverts de membranes collées à chaud, ne sont pas adaptés à la récupération de l’eau de pluie ; ils exhalent une odeur de goudron. En période de canicule, les algues ont tendance aussi à y proliférer et à boucher les filtres. En Wallonie, la pluviosité est variable d’une région à l’autre, mais la moyenne est d’environ huit cent cinquante millimètres par an, soit huit cent cinquante litres par mètre carré. Pour récupérer entre quarante-cinq et nonante mètres cubes par an, la superficie totale du toit devrait idéalement être comprise entre cinquante et cent mètres carrés en projection horizontale.
Aujourd’hui, tous les nouveaux raccordements à l’eau de distribution entrainent obligatoirement la visite d’un certificateur agréé pour l’obtention du CertIBEau. Ce certificat garantit la conformité des installations au « Code de l’eau » : sécurité sanitaire des installations intérieures en eau potable et préservation de l’environnement pour les rejets d’eaux usées.
Le prix approximatif d’une pompe auto-amorçante WILO, de type MC305, pour récupération de l’eau de pluie est de 640,- euros, celui d’un kit de filtration Cintropur TRIO UV est de 720,-€. Le prix moyen TVA incluse de l’eau de distribution incluant le « Coût Vérité de la Distribution » (CVD) et le « Coût Vérité de l’Assainissement » (CVA) avoisine actuellement les six euros le mètre cube ; il avait doublé entre 2004 et 2014, mais voilà qu’après une période de stabilisation, celui-ci repart de nouveau à la hausse…
En Région bruxelloise, il existe des primes à l’installation de citernes d’eau de pluie. De cent à… mille sept cents euros, à Saint-Josse notamment, selon certaines conditions liées en particulier aux revenus des intéressés.
Côté Région wallonne, pas de primes à attendre… sauf dans certaines communes. Pour leur installation ou leur rénovation, les communes de Burdinne, Donceel, Remicourt, Stoumont, Thimister et Wasseiges, Namur, Somme-Leuze, Rochefort, Braine l’Alleud, Plombières, Fauvillers, Libramont et Vielsalm, remboursent jusqu’à cinq cents euros. C’est toujours bon à savoir !
Agriculture : à quand la Transition durable ?
Alors que partout les besoins en eau explosent, l’ONU estime que mondialement, ils devraient encore augmenter de 90% d’ici 2050 – par rapport à 2017. Le déficit menace désormais un quart de la population mondiale, régulièrement sujette à un stress hydrique extrême. Parmi les différentes grosses consommations d’eau, on trouve bien sûr les besoins directs liés à la consommation domestique, notamment dans les grandes villes – 8% -, elles-mêmes étroitement tributaires de la croissance démographique : nous sommes, depuis mi-novembre, huit milliards d’êtres humains. Mais il y a aussi les besoins indirects comme ceux liés à l’industrie – 22% -, ainsi que le secteur de la production d’énergie, son corollaire. Pourtant c’est surtout le secteur agricole qui doit retenir nos préoccupations. Dans le monde, 70% de la consommation d’eau est destinée à l’irrigation des cultures.
Comment adapter durablement cette énorme consommation aux conséquences des grands bouleversements climatiques qui s’annoncent, tout en répondant efficacement à des besoins alimentaires planétaires toujours en croissance ? De nombreux éléments de réponse sont déjà bien connus. Aussi ne ferons-nous ici que les ébaucher. Dans les pays émergents, ce sont désormais les nouveaux modes de consommation alimentaire qui se taillent la part du lion. Les populations, autrefois peu développées, mangent de nos jours davantage de viandes et de laitages. Or pour produire un seul kilo de viande de bœuf, il faut… quinze mille cinq cents litres d’eau ! Un régime alimentaire clairement intenable s’il fallait l’étendre à huit milliards d’habitants.
Chez nous, la fabrication de biocarburants cristallise, à elle seule, toute l’absurdité de notre société de consommation : la fabrication d’une tonne équivalent pétrole – 1tep – d’éthanol à partir de maïs nécessite… un quart de million de litres d’eau ! La même tep de biodiesel à partir de soya nécessite cent soixante mille litres. C’est donc bien notre mode de vie gourmand en ressources et notre hyperconsommation compulsive qui – a fortiori si elles sont exportées dans le sud – pèsent le plus sur les réserves d’eau de la planète.
Calamités agricoles
Depuis quelques années déjà, nos cultures se heurtent à l’irrégularité et à l’imprévisibilité des précipitations, tandis que les périodes de sécheresse ne cessent de se prolonger. Entre le moment où les agriculteurs ont besoin d’eau et le moment où elle tombe du ciel, le décalage peut être fatal aux cultures. Et comme il fait de plus en plus chaud, irriguer les cultures demande davantage d’eau dont une partie toujours plus importante s’évapore. Il ne s’agit plus de simples caprices de la météo, mais bien de transformations profondes d’un climat qui déstabilisent structurellement les pratiques : « l’avenir n’est plus écrit par le passé ». Sont évidemment montrées du doigt, les cultures très gourmandes en eau, comme les immenses champs de maïs, qui sont aussi les plus fragiles. Avec toutes les conséquences que cela implique principalement sur l’élevage…
En France, des manifestations, parfois violentes, voient le jour : depuis les sécheresses, l’accaparement de l’eau devient une source majeure de conflits. Certains parlent carrément de « guerre de l’eau ». Les méga-bassines, installées par des agriculteurs, – dans les Deux-Sèvres notamment – au mépris des réalités hydrologiques, sont prises à partie, les opposants invoquant la confiscation, au seul profit de quelques-uns, d’une ressource vitale, d’un bien commun. Désormais, les conflits qui concernaient seulement les cultures, touchent aussi les terrains de golf, les terrains de foot, les piscines, les jacuzzis, les pelouses, les parcs publics…
Une précieuse ressource qui subit de plein fouet le changement climatique !
Une première conclusion semble s’imposer afin d’anticiper des conflits qui risquent de dégénérer rapidement : il est indispensable de réduire nos consommations et de mettre en place une gestion équitable de cette ressource fragile et limitée qu’est l’eau. Mais comment faire ? Voici quelques pistes souvent évoquées ; nous laisserons, quant à nous, le soin aux gens de terrain de les investiguer plus en profondeur et d’en débattre sereinement :
– augmenter l’offre par davantage de pompages souterrains et de déviations de rivières ? Irriguer davantage, alors que le thermomètre s’affole, ne saurait résoudre toutes les difficultés auxquelles est confrontée l’agriculture. Les risques d’évaporation et d’assèchement, de dérèglement de systèmes hydriques complexes compenseront sans doute bien mal notre manque de résilience agricole face aux extrêmes climatiques…
– modifier nos consommations en limitant, par exemple, drastiquement les produits de l’élevage ;
– modifier les périodes de semis et de récoltes afin de mieux adapter les choix de cultures à l’évolution générale du climat et singulièrement des températures saisonnières…
– introduire de nouvelles cultures mieux adaptées au dessèchement des sols. Le sorgho serait-il apte, par exemple, à remplacer les cultures de maïs pour l’alimentation animale ?
– tabler davantage sur les enseignements de l’agroécologie, en introduisant davantage de biodiversité au sein de nos cultures afin de mieux lutter contre les maladies et les ravageurs ?
– pratiquer des semis sur sols non labourés et opter résolument pour un couvert végétal permanent afin de limiter le ruissellement des eaux, au moment de la saison sèche ?
Le débat a commencé, l’urgence est là…
Conclusion
Par Dominique Parizel
Notre quête de résilience, individuelle et collective, dépend avant tout de la conscience que nous avons de l’état du monde, tel que nous sommes en mesure de le percevoir. Cet état de conscience est éminemment dépendant des circonstances particulières que vit chacun d’entre nous, constamment altéré par les nécessités prioritaires du quotidien. Nous voyons en quoi notre faculté à concevoir la résilience s’inscrit irrémédiablement dans un insupportable monopoly d’inégalités, comment elle est sans arrêt en butte aux privilèges et aux conservatismes de toutes natures, aux combats d’arrière-garde les plus vains et les plus insensés, aux certitudes et aux incertitudes du monde scientifique… Pour ces différentes raisons, toute forme de résilience ne peut sans doute se construire que dans la formulation et la confrontation d’idées et d’expériences. Elle est l’imagination, la créativité du désespoir. Mais nous ne pouvons rien sans elle… Cet enjeu fondamentalement sociétal qui n’est, dans un terme incertain, rien d’autre que les conditions mêmes de la prolongation – ou pas ! – de nos vies inscrit d’évidence ces discussions, ces échanges dans le champ d’une citoyenneté active, dans le champ de l’éducation permanente. Car sa démarche, au fond, n’est intrinsèquement qu’inquiétudes et controverses de chaque instant, individuelles et collectives, sur un sujet absolument fondamental, un sujet total : « comment survivre ? » On perçoit, dès lors, beaucoup mieux à quel point cette hantise de l’urgence dépasse er résume toutes les autres préoccupations, et pourquoi il est urgent de la débarrasser de ses superfluités et de ses oripeaux, de rendre son bénéfice accessible à tous ceux et toutes celles qui ont absolument besoin d’entrer dans la chaleur réconfortante de son giron…
Ceux-là, ce ne sont pas nous qui pensons ! Car prendre le temps de penser la résilience est déjà un luxe de riches, d’instruits, peut-être même d’oisifs. Dans quelle tour d’ivoire sommes-nous donc encore confinés pour trouver seulement le loisir d’y réfléchir ? D’autres crèvent, à nos portes, de froid et de misère. D’autres périssent en Manche ou en Méditerranée. D’autres bouffent les pesticides que nous exportons sur le champ où ils triment … D’autres jouent au foot dans l’airco du Qatar, d’autres lancent leur Tesla vers un avenir radieux… D’autres meurent encore pour la grandeur d’un empire… Notre destin dépend surtout de la complexité du monde !
Des épisodes récents, et très malheureux, ont démontré, dans la population, un incontestable potentiel de solidarité. Mais quelles sont ses limites ? De tels élans seraient-ils éventuellement organisables par la puissance publique ou sera-t-il toujours préférable, au contraire, que celle-ci évite de s’en mêler, s’auto-limitant à une fonction très générale de protection des populations et d’aide aux personnes en détresse ? Cette solidarité généreuse et spontanée, qui naît parmi les citoyens en problèmes, ne risque-t-elle pas d’être, le cas échéant, l’alibi le plus détestable que trouveraient les états pour en faire de moins en moins, et laisser la porte ouverte à des acteurs privés qui n’hésiteraient pas à tirer profit du malheur ?
Les élans de solidarité, les dons de soi les plus désintéressés, sont-ils de l’ordre du prévisible ? Témoignent-ils d’une réelle capacité collective de résilience déjà tapie au plus profond de nos âmes ? Participent-ils de réflexes communautaires face à l’insupportable, voire de réflexes de l’espèce lorsque sa sauvegarde est en jeu ? Comment cultiver, au plus profond de nous, individuellement et collectivement, ce qui ressemble néanmoins à une incoercible bonté ? Autant de questions qui ne peuvent sans doute guère s’offrir à la réflexion de nos concitoyens que dans un cadre d’éducation permanente… Car qui serons-nous dans l’épreuve ? Préférerons-nous la lâcheté à la fraternité ? Serons-nous prêts à donner un seul bol de soupe ?
Notes :
(1) Pour ceux qui les auraient déjà oubliés : Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, éditions du Seuil, 2015.
(2) « Katastrophen Alarm, Ratgeber für Notfallvorsorge und richtiges Handeln in Notsituationen », Bundesamt für Bevölkerungsschutz und Katastrophenhilfe.
(3) Pour détendre un peu l’atmosphère : fine allusion, que les « moins de vingt ans » ne peuvent pas relever, au tube eighties de Jean-Pierre François qui passerait, de nos jours, pour une provocation post-Covid et provax : https://www.youtube.com/watch?v=oG2FM3Hzz1U…
(4) Bon, d’accord, entrée en fraude par quelque vilain terroriste, les Rambo de service préférant de loin leurs fusils d’assaut M16…
(5) Branchez-vous, par exemple, sur l’ »Académie de la fermentation » : https://academiefermentation.com. Marie Senterre donne également des cours, en ligne ou en présentiel. Contact : marie@academiefermentation.com
(6) Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Nature Reviews Earth & Environment.
(7) Water Footprint Network : www.waterfootprint.org/en/
29, Nov 2022 | 2022, Analyses
L’histoire que vous allez peut-être lire est bien triste et fort sombre. Mais pensez-y à deux fois avant de conclure qu’il y aurait là un message pessimiste. Les tourments du personnage principal ne sont pas les vôtres. Que lui auriez-vous dit, si vous aviez eu l’occasion de boire un thé avec lui, dans son appartement encombré de livres ?
Une nouvelle de Guillaume Lohest
Le climatologue François Van Ybsen avait été un enfant timide, un adolescent solitaire, un étudiant appliqué, un chercheur fiable, un spécialiste reconnu. Cette remarquable ascension ayant atteint son apogée lors de quelques plateaux TV prestigieux – France 2, France 3, BFM et quelques autres -, il avait considéré, avec lucidité et courage, que son heure était passée. Une polémique, au passage, avait écorné son image – un aller-retour Paris-Montréal pour une conférence de prestige à Trois-Rivières -, ce qui l’avait encouragé dans cette voie. N’étant pas hargneux de nature, il avait préféré battre en retraite et consacrait donc son existence, depuis plusieurs années, à faire son travail avec sérieux au sein de l’Université de Bourgogne. Il acceptait toutes les invitations à intervenir dans les lycées, les associations et les centres culturels de petites villes anonymes, à la condition expresse qu’ils soient situés dans un proche périmètre autour de Dijon et, autant que possible, accessibles en train. Loin des lumières médiatiques et du sentiment d’utilité publique qu’elles lui avaient conféré, il se réconfortait dans la conviction d’être à présent un intellectuel engagé mais humble.
Au fil des années, sa pensée avait changé. Au contact de publics tour à tour sincères, chaleureux, dubitatifs, bouleversés, révoltés, indifférents, ou tout cela à la fois, sa vision du monde s’était assouplie et sa propre parole s’était libérée. Alors que les petites formules journalistiques l’incitaient autrefois à adopter une posture strictement scientifique, le naturel des gens qui le questionnaient aujourd’hui l’avaient rendu, par effet-miroir, plus spontané lui aussi. Il n’était pas seulement climatologue au fond, il était aussi un être humain, sans réponse à tout, incapable de prédire l’avenir. Résultat des courses : on l’aimait bien. Il ne mâchait pourtant pas ses mots. Sa franchise étant toujours doublée de bonhommie, il était considéré comme un joyeux pessimiste. Quand on lui demandait s’il était encore possible de respecter les accords de Paris, il répondait sans détour, non mais peu importe, chaque dixième de degré compte. Il ajoutait parfois que, sans doute, nos efforts ne permettraient d’éviter qu’un petit millier de tornades et de canicules, ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà ça.
Cette petite notoriété régionale ne passait pas inaperçue dans les cénacles politiques. Ainsi, ce qui devait arriver arriva. Un soir de février, une jeune candidate aux élections municipales sonna à la porte de son appartement. Elle avait une proposition à lui soumettre. François Van Ybsen accepta de la faire entrer, il lui sembla quand elle passa la porte qu’elle sortait tout juste de la douche car elle était accompagnée d’une vague d’air tropical aux fragrances exotiques. Un temps désarçonné, il se reprit : je devine la raison de votre visite, je préfère vous avertir que ce sera non car vous savez, je ne comprends pas trop les codes politiques mais je vous en prie mademoiselle, je vous sers quelque chose, un verre de vin, un thé, une orangeade – le climatologue était aussi vieux jeu -, c’était déjà trop tard : deux mois plus tard François Van Ybsen était sur les listes électorales.
Demain Dijon, c’était le nom de cette coalition de centre-gauche qui entendait renverser la majorité en place. A priori rien de révolutionnaire, mais une ambition tout de même : imiter les formules gagnantes des quelques métropoles qui étaient passées au vert. Transports publics gratuits, cantines scolaires en bio et soutien aux petites entreprises qui s’inscriraient dans un label d’économie circulaire. D’après une enquête sociologique locale, l’électorat devrait suivre. Le maire sortant avait eu quelques propos maladroits sur les animaux domestiques et la ville s’en était émue. On avait fermé les yeux sur quelques attributions de marché public un peu opaques, on ne lui pardonnerait pas de s’être moqué des caniches. Au sein de Demain Dijon, l’enthousiasme était palpable. On se félicitait déjà des inaugurations de pistes cyclables à venir. Personne ne pouvait soupçonner le drame qui allait frapper la campagne électorale, et certainement pas Van Ybsen qui se découvrait une seconde jeunesse médiatique. Les télévisions locales l’adoraient. Un présentateur, en l’introduisant sur son plateau, avait annoncé : “voici l’homme qui fait entrer le GIEC dans votre salon”. Et c’était vrai. Quand ils l’écoutaient, les Dijonnais n’avaient pas l’impression d’avoir affaire à un scientifique austère mais à l’oncle le plus sympathique de la famille.
Portée par son climatologue star, la liste “DD”, comme l’avait rebaptisée la presse locale, était annoncée gagnante par tous les instituts de sondage. De semaine en semaine, les chiffres s’amélioraient. On allait vers un triomphe. Dans l’enthousiasme de cette excellente dynamique, François Van Ybsen s’aventura à proposer une nouvelle idée lors d’une réunion de tous les candidats. À vrai dire, pas une idée concrète, il était et restait un intellectuel avant tout, mais une intuition qui demandait à être prolongée. Il en avait donc fait part à ses colistiers qui se chargeraient, eux, de transformer l’essai. Une mesure-choc pourrait définitivement propulser Dijon au rang de capitale verte de l’Europe. Rien que ça.
On peut être climatologue et aimer la littérature, n’est-ce pas ? C’était le cas de François Van Ybsen. Comme il était vieux garçon, il avait du temps à revendre. Lors des longues soirées d’hiver et des non moins longues après-midis d’été, il lisait avec boulimie. Tout y passait : romans policiers, classiques français, classiques américains, récits de voyage, bandes dessinées, essais philosophiques… Son péché mignon, toutefois, restait la poésie. Secrètement, il avait même écrit des vers. Exigeant envers lui-même, il avait cherché à améliorer son inspiration en s’abreuvant de théorie et d’histoire littéraire. Il s’était mis en quête de la meilleure technique d’écriture avec autant de fougue et de minutie qu’il avait étudié, autrefois, les écarts de température entre les crêtes et les vallées du Morvan. Son budget lecture, c’est aujourd’hui assez inconvenant à dire, dépassait de loin celui qu’il consacrait à l’alimentation. Aussi, sur le bureau de chêne qu’il avait hérité de sa grand-mère, ce n’était que piles et colonnes d’ouvrages spécialisés sur les troubadours, les grands romantiques, le surréalisme, la métrique des poètes grecs. C’est au milieu de ces colonnes, doucement illuminées par l’éclat tamisé d’une antique lampe de bureau, qu’il avait été frappé d’une évidence littéraire et philosophique qui ne l’avait plus jamais quitté. Cette révélation avait eu lieu une dizaine d’années avant les élections municipales que Demain Dijon était en passe de remporter, remporterait sûrement si l’on parvenait à traduire en mesure concrète cette idée abstraite, mais parfaite, que le climatologue s’apprêtait à partager aux candidats réunis dans l’arrière-salle d’une brasserie végétarienne assez tendance. Avant d’en venir à cette fameuse idée, François Van Ybsen leur raconta dans quelles circonstances elle l’avait frappé.
Ce jour-là, il avait participé à une rencontre avec des lycéens de Semur-en-Auxois. Il s’était senti gagné par une énergie de travail débordante dans l’autobus de retour vers Dijon, sans doute causée par le sentiment du devoir accompli. Après un repas spartiate, portion de riz blanc accompagnée d’un légume cru, il s’était attablé pour lire et annoter un ouvrage de référence co-écrit par l’un de ses collègues de l’université de Bourgogne, La versification française de Rutebeuf à Raymond Queneau. Comme il en avait l’habitude, il avait branché Radio Classique afin d’augmenter sa concentration, un bruit de fond à peine perceptible, juste assez pour remarquer qu’il entendait ce soir-là des pièces de Monteverdi. Après deux heures de lecture, il s’était relevé pour nourrir Arrhenius, son chat, et il lui semblait aujourd’hui que c’est en contemplant le félin absorbé par sa pâtée de saumon que les premières traces de sa révélation lui étaient apparues. De retour dans la lecture, il s’était arrêté sur une phrase. Alors ses points de vue sur la vie et sur la liberté avaient éclaté au grand jour.
Les candidats de Demain Dijon n’avaient pas osé l’interrompre mais semblaient soulagés que le climatologue en vienne enfin au fait. Il leur lut la phrase décisive. Un négociant en vins bio, assez reconnu dans la profession, quatrième sur la liste, demanda une seconde lecture pour bien saisir l’idée. Comme on goûte le vin, précisa-t-il, en plusieurs étapes. Van Ybsen répéta donc, en s’arrêtant plusieurs fois aux entournures de cette phrase compliquée contenant tant de promesses pour l’avenir de l’écologie politique dijonnaise.
“Balzac a écrit que la fantaisie du poète devait danser tout en ayant des fers aux pieds, métaphore fulgurante qui signifie, pour tout artisan de langage, que seule la contrainte génère de la création, que c’est grâce aux limites formelles imposées à la démesure de son désir d’invention que peut naître une création artistique, qu’il s’agisse d’un sonnet de Pétrarque (limite de la forme sonnet), d’un buste de Michel-Ange (limite de la matière et de sa résistance) ou d’un madrigal de Monteverdi (limite des cinq portées musicales).”
Le négociant en vins souriait, il avait l’air égaré dans une rêverie. La jeune candidate qui sentait le gel douche, celle qui avait convaincu Van Ybsen de les rejoindre, fit un geste vague signifiant qu’elle avait besoin d’éclaircissements. Le silence risquait de virer au malaise. Le candidat principal à la mairie, un homme chauve et dynamique portant des lunettes turquoise, débloqua la situation avec un peu d’humour : fais comme si nous étions ces lycéens de Semur, François, explique-nous.
Il expliqua donc.
Cette phrase, voyez-vous, nous parle de la contrainte créatrice. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que c’est à l’intérieur de certaines limites qu’on peut exercer sa liberté. Cela vaut pour la poésie, bien sûr, mais aussi pour la liberté en général. Les enfants, par exemple. Ceux qui ont une abondance de jouets ne sont-ils pas aussi les moins imaginatifs, donc les moins libres ? Attention, il ne s’agit pas de prôner la pauvreté ou la privation, loin de là, mais seulement de faire naître la créativité par la contrainte. Ce qui est intéressant, c’est qu’il faut une juste dose de contrainte : ni trop, ni trop peu. Nous pourrions transposer cette idée en politique. Au lieu d’accumuler mille et unes petites réglementations vertes qui finissent par ennuyer tout le monde, notre société gagnerait à s’imposer deux ou trois contraintes fortes qui créeraient un cadre de liberté beaucoup plus grand. Deux ou trois interdictions assez puissantes pour faire basculer la société dans une conception de la liberté beaucoup moins superficielle. Car les gens pensent spontanément que la liberté, c’est faire ce qu’on veut, acheter ce qu’on veut, se déplacer comme on veut, où on veut, quand on veut. Les gens ne voient pas qu’il y a toujours des limites à la liberté. Un des rôles de la politique est de mettre ces limites au bon endroit pour qu’elles soient les plus claires et les plus justes possible.
Les candidats de la liste Demain Dijon regardaient leurs pieds. Tous leurs efforts furent insuffisants pour transposer l’idée du climatologue en proposition concrète. François Van Ybsen proposa alors quelques exemples, tout à fait caricaturaux et peu réalistes, affirma-t-il, mais qui pouvaient illustrer l’idée. S’il était interdit de rouler seul en voiture, cette seule loi pourrait porter en elle une foule d’adaptations créatives et originales. Si la propriété privée était limitée à un logement par individu. Si la publicité était purement et simplement supprimée. On l’arrêta. Avec des Si, on mettrait Dijon en pot de moutarde. C’était vraiment, vraiment intéressant comme vision des choses, mais impossible à mettre en pratique. Le climatologue était d’accord, il ne s’agissait que d’une intuition générale, il comptait sur ses colistiers pour trouver quelque chose de réaliste. On parla longtemps. Il fut finalement décidé de créer un groupe de travail sur la question, mais pas avant l’élection. Le mieux serait peut-être de faire une expérience lors de la législature, dans un quartier-témoin par exemple. François Van Ybsen rentra chez lui avec un sentiment mitigé. Il donna sa pâtée à Xénophon – le chat qui avait succédé à Arrhénius – et lut un roman policier estonien pour se changer les idées.
Le lendemain soir, au journal télévisé local, le négociant en vins bio fut interviewé dans le cadre d’une série qui proposait des “portraits de candidats”. Quand on lui demanda s’il avait une proposition innovante à mettre en avant pour la ville, il se lança dans une explication compliquée sur la contrainte créatrice pour limiter les gaz à effet de serre. Il reprit l’exemple de l’interdiction de la voiture avec passager unique, l’agrémenta de la possibilité de refaire des dimanches sans voitures systématiques, comme au temps du choc pétrolier. Bien sûr, il était trop tôt pour ce genre de mesures et il fallait tenir compte de toutes les situations particulières mais l’urgence climatique était telle qu’il faudrait un jour y penser. François Van Ybsen, quand on l’interrogea plus tard pour l’enquête, ne se souvenait plus de la fin de l’interview.
Le surlendemain, c’est-à-dire le lendemain de son interview télévisée, le négociant en vins bio participa à un débat électoral dans un gymnase. Dès l’entame de la discussion, qui porta principalement sur un plan de stationnement pour le centre-ville de Dijon, le modérateur l’interrogea sur ses propos de la veille. Était-il anti-voiture ? Comment ferait-on pour aller visiter sa mère en maison de retraite le dimanche, si les voitures étaient interdites ? Le débat vira au procès, le négociant en vins ne cessant d’affirmer qu’il n’avait rien contre les voitures, qu’il voulait seulement ouvrir la discussion, tandis que le candidat du maire sortant s’érigeait en défenseur du Français moyen et de la petite Peugeot qui ne fait pas de mal à une mouche, contrairement aux Chinois qui rouvrent des centrales à charbon. Il y eut des invectives, du brouhaha. En quelques jours, la presse locale avait fait de Demain Dijon le “parti qui voulait interdire la voiture”. Un journaliste avait mené l’enquête, était remonté aux sources de cette idée et avait publié un entrefilet intitulé “Le climatologue était aussi poète”. La courbe des sondages s’inversa, on parla de dictature verte et d’écologie punitive. Le maire sortant fut réélu à une confortable majorité.
Quelques mois plus tard, les élections municipales n’étaient plus qu’un vague souvenir lorsque le négociant en vins bio dut conduire sa vieille Citroën Berlingo au contrôle technique. Dans la file d’attente des véhicules, quelqu’un le reconnut et l’apostropha. On l’insulta. D’autres automobilistes s’en mêlèrent. Le négociant en vins tenta de dédramatiser, il avait le défaut de croire qu’en expliquant bien les choses, tout peut toujours s’arranger. Il s’emmêla les pinceaux, à nouveau, dans la contrainte créatrice. Quand il évoqua les bustes de Michel-Ange et la résistance opposée par le plâtre au sculpteur, le conducteur d’une gigantesque Mitsubishi eut l’impression que le négociant se foutait de sa gueule, il sortit de ses gonds et le frappa au visage. Les employés du contrôle technique tentèrent de s’interposer, une bagarre générale éclata. Les poings, les pieds et les crachats se mêlaient aux invectives. Quand le calme revint enfin, on découvrit que le négociant en vins bio ne respirait plus. Son doux visage rêveur était posé, tuméfié, contre le pneu Michelin de son utilitaire. Un filet de sang, semblable à la robe d’un Syrah du meilleur terroir, s’écoulait de ses lèvres.
François Van Ybsen était en congé maladie depuis plusieurs semaines lorsque ce dramatique incident parvint jusqu’à ses oreilles. Déprimé, incapable de se lever le matin, il ne trouvait plus de sens à poursuivre ses missions académiques. Il écrivait un peu, en fin de matinée, se traînait le reste de la journée dans son appartement en laissant la radio allumée, suivi par son chat Xénophon qui imitait l’humeur sombre de son maître en miaulant pour un rien. Lorsqu’il apprit la mort de son ancien colistier, le climatologue appela sa sœur qui vivait aux Pays-Bas. Il lui confia qu’il était à plat, qu’il ne croyait plus du tout à la possibilité d’atténuer quoi que ce soit au dérèglement climatique, qu’il était à la fois honteux de lui-même, triste pour le monde et indifférent à tout. Sa sœur, qui n’avait rien d’une fine psychologue, lui dit qu’il avait bien raison, que c’était foutu depuis longtemps, elle lui rappela qu’elle l’avait d’ailleurs dit avant tout le monde, les gens ne changent pas, jamais, ils veulent la télé, des chaussures de marque, les vacances et la loi du moindre effort. Après avoir raccroché, François Van Ybsen considéra sa vie, sa carrière, ses idées, et en conclut qu’elles ne valaient plus rien. Il se pendit dans l’heure après avoir écrit un long texte en alexandrins, qu’il ne signa pas de son nom mais avec la formule dont l’avaient affublé les médias locaux : “L’homme qui faisait entrer le GIEC dans votre salon”. On ne sait si cette coquetterie était faite de remords, d’ironie ou d’un reste de fierté.
Son corps fut découvert quelques jours plus tard. Le hasard voulut que cette rencontre macabre échût à un ancien de ses étudiants qui s’était reconverti, par conviction, dans la livraison à domicile de paniers paysans, locaux et de saison…
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Ce texte est une fiction. Le choix des noms et des lieux de cette nouvelle est purement aléatoire et ne vise aucune ville française en particulier, ni Dijon ni aucune autre…
29, Nov 2022 | 2022, Analyses
Il m’est venu l’idée saugrenue de raconter l’histoire de nos objets familiers, des armoires et des pièces de notre quotidien. En quelque sorte, l’histoire consumériste de nos murs et des choses que nous plaçons délibérément dedans. Peut-être apercevrons-nous alors comment le consumérisme nous entraîne vers l’abîme en épuisant, lentement mais sûrement, les ressources de la planète où nous vivons…
Par Alain Maes
Au premier jour de cette histoire, je me suis réveillé dans une maison de ville de douze pièces, plus les caves et un grand jardin, tous amoncelés d’objets en tous genres. Au deuxième jour de cette histoire, je décide de quantifier l’accumulation à laquelle presque personne, et sûrement pas moi-même, ne semble pouvoir échapper. Je désire juste donner une visibilité comptable à ces « collections ». Il me faut, pour cela, choisir une pièce dans laquelle je puisse me glisser et inventorier les panoplies sans bousculer les hôtes que je visite. La cuisine s’est offerte comme une évidence.
Inventaires
Au troisième jour, pour dénombrer, j’établis une pyramide des âges de la population belge de vingt à quatre-vingt-quatre ans. Appartenant à la classe moyenne, je recrute préférentiellement dans cette population les cuisines à rencontrer. Afin de donner du corps à cette recherche, j’en choisis trente-sept de tous styles et de toutes les nuances.
Au quatrième jour, pour les affronter, je dessine un bordereau sur lequel tous les objets sont représentés. Au cinquième jour, j’arpente ma première cuisine : une fourchette, une poêle, une boîte de cure-dents, une paille, une pince à glace, un robot multifonctions – avec tous ses accessoires – valent toutes et tous pour un. Je compte tout ce qui permet de cuisiner et tout ce qui permet de manger. Je ne compte pas les aliments ni les produits d’entretien. Mais bien les lavettes, les nappes, les chaises, les caisses en carton pour le rangement des accessoires de la cuisine, pour peu que de près ou de loin ils alimentent nos estomacs, au sens propre comme au figuré… Je ne comptabilise aucune décoration, sauf s’il s’agit d’un objet destiné autrefois à la bouche. Ceci dit, et de manière anecdotique, lorsqu’un mousqueton est rangé dans le tiroir avec les fourchettes, par exemple, je le compte. Je prends des notes sur le bordereau, je comptabilise. Mes « clients » sortent les objets un à un, ils les nomment et je les note. Je fais autant de « barres » qu’il y a d’assiettes, de bols, de gaufriers, d’économes, de tasses, de pinces à escargots, de pics à zakouskis, de cuillères en bois, de presse ail, de passoires, d’entonnoirs… En moyenne, il me faut d’une heure trente à deux heures pour compter une cuisine « raisonnable ».
Je compte, je compte…
Mais attention, je ne compte pas les ustensiles de la cuisine rangés dans les pièces éloignées. Parfois, j’ai transigé pour quelques « brols » entreposés dans la salle à manger toute proche. Mais j’ai évité les garages comme la peste. Bien que cela m’ait été proposé à plusieurs reprises, jamais je ne suis descendu à la cave ni monté au grenier.
Je compte, je compte tant et plus et les objets murmurent, ils parlent ! Ces objets induisent des remarques auprès de mes intervenants. Les objets abondants et surabondants, oubliés, obsolètes, cassés, improbables, redondants ou encombrants, tous ces objets libèrent la parole. Mes hôtes échafaudent des justifications. Devant l’étalage de leurs objets, chacun, chacune se sent obligé obligée de justifier quelques achats, quelques collections, quelques égarements, quelques victoires… Presque toutes et tous commentent, par exemple, l’existence des objets familiaux, leurs raisons d’être essentielles.
« On ne sait même pas pourquoi on les a achetés »
« J’ai acheté ça pour autre chose »
« Aaah ! (horreur) »
« Des bougies Amnesty »
« Une poêle qui ne sert jamais, je vais la benner ! »
« Je n’ai jamais utilisé ces trucs-là ! »
« Cadeaux de Noël ! »
« J’en ai que cinq (déçue) ? »
« Trop de choses affectives »
« Riez mais il y a une explication… »
Paroles des hôtes consternés, ravis et impassibles. Sur ces entrefaites, des hôtes « joueurs » m’ont tenté à compter quelques maisons entières, pour l’expérience, pour savoir. Une idée saugrenue que j’ai saisie à pleines mains. Je révélerai les résultats de cette poursuite d’enquête dans le prochain Valériane. Pour l’heure, je garde le cap, je termine la cuisine. Comme un mouvement perpétuel, il y a toujours le petit dernier, l’objet chéri, encore frais, le dernier arrivé qui sera bientôt le prochain retraité, le prochain désamour.
Le jour le plus long est le sixième jour. J’ai des milliers d’entrées, une quantité d’informations considérable. J’ai observé mes barres, j’ai regroupé, comparé, rassemblé, croisé les datas. La liste des objets de la cuisine contemporaine est très longue.
Paramètres
Le septième jour, je sors du bois sans déjeuner. Sur trente-sept cuisines, la variété des façons de vivre est aussi grande, dans une même tranche d’âge, que les accumulations d’objets sont variables. La « grande variable insaisissable » qui nous occupe est le mode de vie de chacun, de chacune. C’est lui et lui seul qui détermine l’amplitude des variations sur le long terme, sur une vie. À peine cinq pour cent des hôtes ont manifesté – dès mon arrivée – une résistance au système consumériste. Mais « résister » est un concept « météorologique », lui aussi variable. Le dire et le faire sont deux « commandes » mentales dont les résultats sont parfois éloignés. La quantité d’objets varie dès lors, parfois du simple au double, jusqu’au quintuple, aussi pour les personnes en résistance. Puis d’autres paramètres, plus factuels, entrent en jeu. Vivre seul ou vivre en couple requiert une cuisinière. Autrement dit, nos objets ne sont pas toujours multipliés par autant de personnes vivant sous un même toit, et pourtant… Le nombre d’enfants dans la maisonnée et leur âge sont un autre paramètre qui influe sur l’achat d’objets spécifiques, comme les biberons, les bavoirs et les chaises hautes qui bientôt seront des encombrants… Il y a aussi les familles recomposées et les gardes alternées des enfants qui consomment des objets spécifiques dans deux habitations. Il y a les « nouveaux » couples qui se voient en alternance chez l’un puis chez l’autre, deux cuisines et deux maisons, et deux entrepôts pour le même prix ! En fin de parcours, il y a aussi les héritages…
Aussi, un paramètre très terre-à-terre ne doit-il pas nous éloigner d’une certaine vérité. À trente ans, le pouvoir d’achat du jeune reste fragile, alors que celui de ses ainés est au plus fort. Dans cette enquête, une chose n’est pas à discuter : plus les femmes et les hommes prennent de la bouteille, plus ils accumulent. Inversement, moins ils sont vieux, moins ils en ont dans les bras.
Relativiser
Parler de moyennes, dès lors, doit passer par tous les filtres que je viens d’évoquer. Combien d’objets de cuisine avons-nous dans les jambes ? Les scores des deux familles les plus éloignées sont distants d’un ratio de quatorze ! La première compile 143 objets pour deux jeunes de moins de trente ans sans enfant, alors que l’autre compile 2.019 objets pour un couple de retraités, avec deux enfants fantômes (1). Notez que, malgré cet écart – vertigineux -, ces deux couples mangent à leur faim tous les jours de l’année et le second n’est pas obèse… La double page illustrée visualise trois réalités différentes parmi les trente-sept étudiés (2). Abandonnons les familles pour quelques moyennes par personne : la tranche d’âge 20/24 ans possède 165 objets, la 30/34 ans en possède 211, la 50/54 ans en possède 280, la 60/64 ans en possède 357 et la 70/74 ans en possède 464. Aux extrémités, les deux scores les plus éloignés sont distants d’un ratio de huit ! Un jeune de vingt-huit ans possède 73 objets, et un autre jeune de trente-huit ans en possède 581.
Le septième jour toujours, digérant le repas dominical, me revient l’idée – pas neuve – qu’un dessin supplémentaire vaut mieux que toutes les colonnes de chiffres du monde. Pour vous permettre de visualiser pleinement nos entassements, je vous propose de distinguer les « objets de cuisine » des « objets de la table ». Les premiers servent à cuire le repas. Leur nombre met en adéquation les casseroles et les becs de cuisson disponibles sur la cuisinière. Les « objets de la table » sont des multiples, leur nombre met en adéquation les services complets – assiettes, couverts, verres – et les places assises autour de la table, le lieu du repas.
Pour la tranche d’âge 35/59 ans, la moyenne représentée dans l’illustration ci-contre, nous montre que nous disposons de trois fois plus de contenants que de place disponible sur la cuisinière. Les terrines du four, elles, sont quatre fois plus nombreuses que le four peut en accueillir. Nous disposons d’autre part, pour les « objets de table », de vingt-trois services complets – en bleu -, plus une belle réserve « au-cas-où » – en noir… Malheureusement, la place disponible autour de la table – en moyenne de 1,55 mètre carré – autorise seulement six personnes, ou huit mais serrées… C’est trois fois trop peu de place. La tranche d’âge des 24/34 ans est plus raisonnable, elle dispose d’à peine plus d’outils que de places disponibles avec, elle aussi, une belle marge d’ »au-cas-où »… La tranche d’âge 60/84 ans dispose, de son côté, de quatre fois plus d’ »objets de cuisine » mais de cinq fois plus de services complets que sa table peut en recevoir, le tout avec des réserves dignes des plus belles foires d’antiquaires. En veux-tu ? En voilà ! Notre besoin de posséder est le moteur cardinal du consumérisme, faut pas chercher midi à seize heures, goûter oblige…
Le soir du septième jour, je constate – comme vous, je pense – que nous possédons, toutes et tous, bien plus que de raison. Que diviser notre panoplie par deux ou par trois n’entraverait en rien notre « confort », que du contraire peut-être. Car ces objets en abondance convoquent beaucoup d’armoires à remplir qui demandent elles aussi de grandes maisons garnies de pièces à aménager… C’est un cycle sans fin. Nous verrons cela dans le prochain article…
Dernier fait marquant : avec autant d’accessoires de cuisine, aucun hôte ne m’a invité à sa table… Vous me diriez bien pourquoi ?
Conclusion
L’arithmétique est un élément de base de la prise de conscience. Nous adulons tellement les chiffres que nous arrivons trop souvent à ne plus rien leur faire dire du tout… Pourtant, l’arithmétique vient à notre secours si nous arrivons à comprendre que cent c’est plus que dix, et que cent c’est beaucoup trop si nous n’avons besoin que de dix. Pourtant, la folie du profit qui emporte notre monde nous répète sans arrêt que nous avons sûrement besoin de cent, alors même que nous savons très bien qu’il ne nous faut pas plus de dix !
Cette folie s’appelle la croissance, c’est elle qui régit encore nos économies et notre monde. Il faut aujourd’hui tout faire, d’urgence, pour en sortir rapidement. Nous venons de démontrer cette évidence d’une manière on ne peut plus concrète. Et il n’y a strictement rien à ajouter !
Notes :
(1) Les « enfants fantômes » sont les enfants, devenus grands, qui ont quitté la demeure familiale, bien entendu sans prendre avec eux les objets de leur croissance.
(2) L’entièreté de cette recherche a donné lieu à la publication d’un ouvrage, intitulé Une vie discrète, dont je réserve les derniers exemplaires encore disponibles aux bibliothèques. Pour votre curiosité, cet ouvrage est néanmoins consultable gratuitement sur le site https://issuu.com/alainmaes
29, Nov 2022 | 2022, Analyses
Facile à mettre en œuvre par tout un chacun, le bouturage peut apporter une solution complémentaire particulièrement appréciable pour permettre au simple citoyen de soutenir l’élan insufflé par l’action du Gouvernement wallon, Yes We Plant ! N’attendons pas. Allons-y gaiement…
Par Françoise Hendrickx
Yes We Plant propose, depuis septembre 2019, de planter quatre mille kilomètres de haies : des haies vives, des alignements d’arbres et de taillis, ainsi que des vergers, à concurrence d’un million d’arbres. Cette campagne s’adresse aux citoyen.ne.s, associations, agriculteurs.trices, entreprises, écoles et organismes publics… Des milliers de participants ont déjà choisi de s’engager chez eux, en groupes dans leur quartier, leurs communes, en ville ou à la campagne, pour recréer et densifier notre patrimoine de « trame verte » mis à mal par l’urbanisation et la mécanisation agricole. Planter pour structurer les espaces, diversifier et embellir les paysages, revitaliser la fécondité et la fertilité de nos environnements !
Regagner en biodiversité
Embrayons sur l’excellent article qui précède : les haies fonctionnent comme de véritables réseaux de communication du vivant. C’est un maillage écologique déterminant pour la vie et pour la migration des oiseaux, la vie d’innombrables mammifères, insectes et plantes… Or près d’un tiers de nos espèces indigènes sont en mauvaise santé ! C’est un geste fort que d’agir pour limiter cette dégradation et regagner en biodiversité… En milieu agricole, les rangées d’arbres ou d’arbustes agissent comme des tampons contre les extrêmes climatiques devenus récurrents, elles stabilisent les sols, les berges des rivières, elles limitent l’érosion tout en ramenant l’eau verte – cette humidité optimale des sols qui recharge notamment les nappes phréatiques -, elles captent une part importante du CO2, elles protègent contre le bruit…
A la différence des clôtures de barbelés, les haies vives abritent les cultures, les prairies et le bétail, du soleil, du vent et des intempéries. Les troupeaux peuvent se nourrir de haies diversifiées et fourragères – aubépine, érable champêtre, charme, frêne, noisetier, saule, ronces… Les bêtes profitent ainsi des bienfaits des plantes comestibles qui les entourent : les tanins des feuilles facilitent leur digestion de la cellulose de l’herbe, ils ont un effet vermifuge, apportent vitamines, sels minéraux et oligo-éléments, et majorent la qualité de leur viande ou de leur lait… Avec un écarteur adéquat, le bétail broute, taille et entretient toute la partie basse des haies. Voilà bien du circuit court et profitable pour tous !
Comme expliqué dans l’article qui précède, différents plants peuvent être choisis pour assurer différents étages : ce qui est, en soi, une véritable haie est une stratification verte et variée. S’ils sont conduits en hautes tiges, certains arbres peuvent rythmer la haie tous les quinze à vingt mètres. A la taille, cela donnera du bois de chauffage et du bois d’œuvre. Et, aux récoltes, le plaisir des ressources nourricières de terroir, de nouvelles sources de revenus, d’abondance et de résilience…
Bouturer, en plus de planter
La Région Wallonne subsidie des plants, en mottes ou à racines nues. Il faut donc creuser des tranchées ou des fosses, ce qui demande un peu d’équipement, de faire appel à des bêcheurs ou à une pelleteuse. Par ailleurs, les pépiniéristes manquent de stock pour répondre à la demande et tout le monde pourrait ne pas être servi. Le bouturage pourrait donc apporter une appréciable solution complémentaire pour soutenir l’élan insufflé par Yes We Plant ! Bouturer consiste à enfoncer directement en terre des bouts de branches d’arbres. Des fagots de branches aoûtées – celles qui ont poussé l’année-même -, soigneusement coupées, un bâton ou une tige robuste pour pratiquer les trous d’accueil sur une profondeur de trente à cinquante centimètres. Et hop-là, c’est parti !
Voilà donc un modus operandi plus low-tech, plus accessible, susceptible de motiver les citoyens dans le cadre d’activités familiales, bénévoles ou de temps de loisirs. Mais il conviendra également d’identifier des demandeurs d’ »enfoncements de boutures » -particuliers, propriétaires privés, exploitants agricoles, propriétaires publics, co-propriétaires, etc. – et des lieux – zones, bordures, etc. On pourrait trouver ensuite des intermédiaires qui relayent ces demandes. Imaginer même des Maisons du Tourisme, des marches ADEPS, des clubs de randonnées, des team building de ressources humaines, des formations dédiées ou des écoles, ou aller voir du côté des missions des cantonniers pour prendre un rôle actif dans cette synergie…
On pourrait aussi bouturer pour constituer des pépinières préalables. Des initiatives telles que Plantons des arbres et des haies ! – Planteurs d’Avenir ASBL (planteursdavenir.be) sont inspirantes. Il en va de même de collectifs moins formalisés. Puisque le bouturage constitue un clonage d’un plant mère, il ne participe pas à la diversité génétique des plants autant que la germination de graines, noyaux et fruits dont l’ADN est chaque fois unique. On pourrait aussi – pourquoi pas ? – partir des fruits et semer noyaux et graines. Les communes de Mettet, Anhée, Florennes et Onhaye souhaitent créer un parc naturel qui ambitionne notamment la plantation d’arbres et de haies, ainsi que l’accompagnement des agriculteurs vers un autre modèle de métier et de pratiques. Le bouturage pourrait y avoir tout son intérêt pour faire équipe avec le grand public à des moments dédiés.
Les arbres qui se prêtent au bouturage
Mais quels sont les arbres, arbustes et buissons se reproduisent par bouturage ? Suite aux échanges avec différents professionnels et avec des membres actifs de Nature & Progrès, chacun s’accorde à dire que « beaucoup d’arbres et arbustes se bouturent aisément, comme le saule… » Mais qui sont-ils exactement ? Après quelques recherches, j’ai pu en trouver quelques autres. La liste n’est, bien sûr, pas exhaustive… Pointons donc :
– les saules, à l’exception notoire du saule marsault pourtant très abondant. Apports pour la vannerie, hormones de bouture, soulagement de douleur – un principe actif est repris dans l’aspirine -, ses chatons sont comestibles…
– les peupliers,
– le sureau noir. Avec des tiges possédant un talon, de préférence en novembre, à l’extérieur. Retirer les feuilles qui se trouvent à la base de la bouture et conserver celles à l’extrémité,
– l’érable negundo qui n’est cependant pas indigène et peut être toxique pour le bétail…
– le noisetier : il requiert une humidité quasi permanente au démarrage,
– la viorne obier : en fin d’été, couper l’extrémité d’une tige herbacée non fleurie d’environ dix à quinze centimètres, retirer toutes les feuilles sur la moitié inférieure et planter la tige dans un châssis rempli de terreau et de sable. Maintenir le sol frais, l’enracinement prend deux mois,
– la bourdaine ou bourgène (Frangula alnus) : cet arbuste pousse soit sur des terrains humides et acides, soit sur des terrains secs et calcaires ; son écorce est utilisée comme purgatif. Sa taille peut atteindre cinq mètres,
– l’aulne : c’est le plus simple ! Les boutures de bois sec, à l’automne, sont quasi immanquables. Prélever des tronçons de rameaux de soixante centimètres à un mètre de long. Façonner des fagots et en faire tremper la base dans l’eau. Planter ces plançons au printemps, directement dans le sol. Il est possible aussi de prélever des rejets racinés au pied du tronc,
– le sorbier, le tilleul, le tremble, le frêne… Beaucoup d’espèces peuvent fonctionner en marcottage préalable,
– le figuier, le grenadier, l’actinidia – kiwi -, la vigne…
– le pommier MM 106, le plus utilisé en porte-greffe vu sa robustesse, sa polyvalence et sa mise à fruits rapide et abondante. Le cognassier… Pour les autres pommiers, pruniers, cerisiers et poiriers, le résultat n’est pas garanti. Mais cela ne coûte rien d’essayer…
– les petits fruitiers : cassis, caseilliers, groseillers, mûriers, mûroise – mix de mûrier et de framboisier -, groseillers à maquereau, gojis…
Comment s’y prendre pour bien bouturer ?
Les clés de la réussite :
– enfoncer suffisamment et dans le bon substrat : en sol peu compacté, humide et maintenu humide – en pot, dans un mélange de sable et de terreau,
– choisir le bon moment : en automne, en début ou en sortie d’hiver.
– choisir le bon endroit qui ne sera pas piétiné, fauché ou tondu, qui offrira l’espace suffisant pour le développement des plants et leur entretien,
– avoir un objectif connu et désiré, impliquant un suivi et une gestion adaptée…
Distinguons enfin trois types de bouturages :
1- les boutures de tige ou de tête, idéales pour les herbacées et les arbustes à fleurs. Travailler sur des rameaux non fleuris, enfoncer deux nœuds en terre et laisser dépasser un ou deux nœuds, au-dessus…
2- les boutures en plançons, variante du bouturage de tête. La différence réside dans la grande taille de la bouture qui s’installe directement à son emplacement définitif. Intéressante pour les saules, les frênes et les peupliers.
Tailler en biais à 45°, avec un sécateur propre et bien aiguisé, pour prélever des rameaux de l’année bien aoûtés, sains, droits et vigoureux d’une longueur de deux mètres. Avec une tarière ou une barre à mine, faire des trous d’au moins un mètre de profondeur – soit la moitié de la longueur des branches prélevées qui sera entièrement effeuillée. Agrandir le diamètre du trou, si le sol est trop compacté, et garnir le fond de graviers pour assurer un bon drainage. Introduire toute la partie effeuillée des plançons, refermer avec de la bonne terre ou du terreau, bien tasser. Placer un tuteur pour maintenir la branche droite. Arroser régulièrement pour la bonne formation des racines.
3- Les boutures à crossette ou boutures à talon. Elles s’appliquent à arbustes à feuillages persistants, vigne, figuier.
Prendre dix à vingt centimètres d’une branche aoûtée d’un à un centimètre et demi de diamètre, avec un morceau d’un à deux centimètres de la branche avec l’écorce à laquelle elle était rattachée. Le tout forme un T ; il sera enterré aux quatre cinquièmes.
Tailler en biais à 45°, avec un sécateur propre et bien aiguisé, choisir des rameaux sains, droits et vigoureux. Supprimer les feuilles du bas, s’il en reste, et les pousses latérales, sans abîmer les bourgeons, à la base des feuilles. Garder un petit feuillage terminal… Mettre dans la terre jusqu’au-dessus du T. Rabattre la terre puis tasser. Arroser puis garder le sol humide mais sans excès d’eau. Si la bouture est mise en pot, placer celui-ci dans un endroit mi-ombragé, à l’abri des vents. Replanter au printemps ou à l’automne suivant, selon le développement racinaire. Dans le cadre d’une haie, espacer les boutures de deux mètres. La plantation se pratique en automne. Les boutures commenceront à pousser au bout de quelques semaines… Alors, cet automne, bouturons des arbres pour créer des haies…
Conclusion
L’action du Gouvernement wallon répond à une nécessité si forte que l’élan qu’elle génère dépasse la capacité de production des pépinières… La nécessité écologique dépasse donc de très loin la capacité économique ! Que faire en pareil cas ? Très simple : se souvenir que mère nature est la première qui subvient à nos besoins. Certes, ceci demande une solide dose d’humilité que, très souvent, nous n’avons plus. Ce ne sont pas tant les haies qui nous manquent, ni la production de nos pépiniéristes, c’est surtout notre propre capacité à nous reforester l’âme. Relisons L’homme qui plantait des arbres, de Jean Giono. Ensuite seulement, nous commencerons peut-être à comprendre de quoi il retourne vraiment…
29, Nov 2022 | 2022, Analyses
Les trois entreprises que nous vous présentons aujourd’hui sont des partenaires de Nature & Progrès depuis un bon moment déjà. Elles appuient et inspirent concrètement notre action, et nous les en remercions. Nous avons donc cherché, en conversant avec quelques-uns de leurs dirigeants, à nous forger une image plus juste de leur responsabilité sociétale et environnementale. Au-delà du cliché « entrepreneurial » – qui rime un peu trop fort avec « seigneurial » -, nous avons voulu questionner et observer en quoi ces communautés, plus ou moins étendues, d’individus évoluent par la force des circonstances et se transforment à présent en véritables entreprises citoyennes.
Qu’entendons-nous par-là ? Le fait évident, tout simplement, que l’entreprise, au même titre que chacun d’entre nous, joue un rôle déterminant face aux diverses crises que nous affrontons, qu’elle est un acteur important de la transition écologique. Mais comment cela se traduit-il pour elle, au jour le jour, voilà ce que nous avons tenté d’apercevoir… Plus encore que les séries d’actes, à caractère souvent symbolique, posés au nom de ces différentes « maisons », de ces différentes marques, nous sont apparus de nouveaux modes d’organisation qui, dans un souci primordial de bien-être au travail, régissent aujourd’hui leur obligation d’efficience. Car le monde de l’entreprise, nul ne peut l’ignorer, est avant tout soumis aux réalités implacables de l’économie.
Pourtant, leur « capital humain » – plus que leur capital tout court – apparaît désormais comme leur meilleur atout pour traverser les tempêtes annoncées. Les « patrons » que nous allons vous présenter le savent mieux qui quiconque et c’est donc sur lui qu’ils investissent aujourd’hui, avec une bienveillance qui pourra surprendre. Plus les nouvelles générations y pénètrent, plus les entreprises sont scrutées quant à la réalité de leurs valeurs et de leurs engagements. Au premier rang desquels figurent évidemment le climat et l’environnement. Mais pas seulement : les questions de gouvernance et les questions de genre sont là également, avec force, au tout premier plan… Le rapport de l’entreprise à sa propre autonomie et à ses propres limites sont également des notions qui semblent de plus en plus incontournables.
Alors ? L’entreprise de demain sera-t-elle écologique et citoyenne ? Parions qu’elle le sera…
Par Dominique Parizel et Benoît Lespagnard
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Asdaex – www.asdaex.com
Intégrateur de logiciels spécialisé en automation, informatique industrielle et hospitalière, ainsi qu’en analytique
« Il n’y a pas de Planète B, affirme d’emblée Francis Martin, un des quatre fondateurs d’Asdaex. Nous sommes une société de services, une société de personnes où les employés passent le plus clair de leur temps derrière des ordinateurs. Nous servons principalement le secteur des sciences de la vie – pharmaceutique, biotechnologies, medtech et hôpitaux – et nous constatons que la préoccupation environnementale est de plus en plus clairement exprimée chez eux. Très fortement parmi les nouvelles générations, bien sûr, mais la prise de conscience a aussi gagné les générations plus anciennes. Et c’est très bien comme cela… Deux choses doivent évidemment être distinguées, en ce qui nous concerne : nos convictions, d’une part, et l’ensemble des opportunités que nous pouvons saisir pour les rencontrer mais aussi, d’autre part, la dimension strictement égoïste qui concerne la valeur intrinsèque de l’entreprise et celle des gens qui la composent. La problématique environnementale fait, de plus en plus, partie de nos valeurs propres, sous la pression surtout de nos plus jeunes collaborateurs mais aussi d’une prise de conscience généralisée. Fort heureusement, l’action voulue par ceux et celles qui composent Asdaex rencontre très bien la nécessité économique. Et la collaboration avec des associations telles que Nature & Progrès est une excellente opportunité pour nous, de telles organisations apparaissant, à l’égard des entreprises, comme Jiminy Cricket sur l’épaule de Pinocchio. Elles les rappellent aux dures nécessités environnementales. »
Au service de la planète
« Comment les spécificités du métier d’Asdaex peuvent-elles être mises au service de la planète ? Pour donner un peu de contexte, explique Francis Martin, prenez l’exemple des cryptomonnaies – comme le bitcoin par exemple – qui sont de véritables catastrophes environnementales car la puissance de calcul qu’elles requièrent est toujours plus élevée afin d’empêcher qu’elles puissent être « hackées ». Ces monnaies sont donc extrêmement énergivores, le bitcoin nécessitant aujourd’hui, à l’échelon mondial, autant d’électricité qu’un pays comme la Suisse, ainsi que nous le rappelle le mathématicien Jean-Paul Delahaye ! Plus généralement, travailler dans le cloud – c’est-à-dire utiliser des serveurs distants – ne doit pas être un prétexte pour négliger les problèmes d’environnement car c’est toujours mobiliser quelque part des centres de calcul très énergivores. Nous avons donc la responsabilité de revisiter régulièrement nos pratiques pour être sûrs de ne pas consommer trop. À cet effet, Asdaex réalise un audit avec une société externe afin d’évaluer la bonne utilisation de ses infrastructures informatiques et de les optimiser si c’est possible. Pour chacun de nos projets, par exemple, nous créons un espace digital où est stockée toute l’information utile ; il n’est cependant pas possible de faire cela pour chaque projet, en laissant exister les anciens. Un système d’archivage permet donc de consommer moins.
Asdaex, c’est un autre aspect spécifique de notre métier, conseille également à ses clients des architectures informatiques adaptées à de nouvelles installations, lorsqu’il s’agit de nouvelles usines par exemple. La consommation énergétique doit être inscrite dans la logique même de ces architectures. À sécurité égale, nous conseillons le coût environnemental le plus acceptable. L’industrie que nous servons jouit de belles marges financières et sa capacité d’investissement permet une réflexion très approfondie en matière de responsabilité sociétale. Ainsi, la prise de conscience, believe it or not, est-elle très forte dans le secteur pharmaceutique de notre pays ! Sans doute parce que les gens qu’il emploie sont, en interne, de véritables acteurs de la cause… De manière plus générale, un gain énergétique important peut être fait en revisitant les méthodes de production. Les entreprises pharmaceutiques le font et mettent en place de véritables indicateurs de performance non-financiers qu’elles n’hésitent pas à communiquer et qui sont de nature à acquérir de plus en plus d’importance. C’est donc, de leur part, un engagement véritable, ce qui est rassurant. De manière plus générale encore, pareille démarche demande bien sûr un peu d’investissement. Mais peut-être le choc énergétique que nous vivons actuellement forcera-t-il encore davantage de décideurs à se préoccuper de ces questions ? Quelles que soient finalement leurs motivations, pourvu que cela soit bon pour la planète… »
Les valeurs de l’entreprise
« Nous devons tous lutter contre les coûts environnementaux cachés, s’insurge Francis Martin ! L’impact de la culture de la consommation immédiate de ces trente dernières années doit absolument être rendu visible pour les consommateurs. Regarder une série sur l’une des plateformes disponibles ? Quelle difficulté y aurait-il à patienter quelques jours ou à optimiser le transport des marchandises ? À acheter un support physique plutôt que de regarder « en direct » – avec une qualité d’image parfois médiocre qui est, à mes yeux, un recul de vingt ans… L’ensemble des plateformes de téléchargement, sans parler de contenus « moins recommandables », représentent une portion extrêmement importante de la bande passante, selon l’Institut Belge du Numérique Responsable ! Il y a vraiment matière à s’interroger sur cette consommation énergétique aberrante…
Chez Asdaex, sûrs que les petits ruisseaux font les grands fleuves, nous tablons sur de petites initiatives, en sensibilisant, par exemple, nos collaborateurs à travers des commandes de fruits – chacun bénéficiant, par ailleurs, de chèques-repas. Ces fruits bio et locaux – même si nous avons parfois des bananes – sont également de saison, cela va de soi, mais nous prenons soin de bien expliquer la démarche, à tous et à chaque fois… Et c’est pareil s’agissant de l’hôtel à insectes que nous avons installé, en collaboration avec Nature & Progrès. Nous en expliquons longuement les tenants et les aboutissants. Nous sommes une société en forte croissance et nous accueillons donc beaucoup de nouveaux collaborateurs qui nous interrogent sur les valeurs de l’entreprise. Notre valeur essentielle est la confiance ! Et au-delà, viennent la transparence, la communication, le respect de la parole donnée… Les questions environnementales, tout comme les questions de genre, sont ainsi régulièrement abordées. Le nombre de femmes engagées – et, par conséquent, la diversité de la réflexion au quotidien – est important pour notre entreprise et nous nous efforçons en permanence d’en recruter davantage, même s’il est plutôt difficile d’en trouver dans les métiers de l’automation, de l’informatique industrielle, etc. Je dirais, mais c’est peut-être affaire de perception, qu’elles sont plus sensibles que les hommes aux questions écologiques, ce qui est positif pour nous car cela transforme notre regard sur les choses et nous assure une large diversité d’idées nouvelles…
Nous avons, chaque jeudi, une « happy hour » où chacun s’exprime et échange librement ; les idées fusent et circulent. Nous organisons aussi un « événement » collectif, trois fois par an, où je veille à ce qu’ils ne se passe jamais dans un esprit de compétition – jamais de classements, de vainqueurs ni de perdants… – car nous privilégions les comportements coopératifs, et non les comportements compétitifs. Ce sont toujours des moments qui me permettent de discuter, avec l’un et l’autre, de manière informelle. Le choix d’un cadre naturel génère souvent des réflexions originales et des questionnements nouveaux qu’il faut être capable d’entendre… Quelqu’un m’a dit : il faudrait faire un compost pour les déchets organiques de la maison ! J’ai trouvé l’idée excellente et j’ai demandé à cette personne de venir me trouver si elle avait besoin d’un budget – Asdaex dispose, à cet effet, d’un budget en relation avec le bien-être au travail… Beaucoup d’idées apparaissent mais il n’y a pas toujours quelqu’un pour les prendre en charge. Certains comportements peuvent être imposés – les gobelets en plastique, par exemple, ont été remplacés par des bouteilles réutilisables – mais c’est encore beaucoup mieux si un projet qui suscite l’adhésion trouve quelqu’un qui a envie de s’y investir pour le bien de tous. J’apprécierais que ce genre de choses – mise en œuvre incluse – reflète vraiment une volonté collective, plutôt que d’être perçue comme un service rendu par l’employeur, au risque de se banaliser rapidement… »
Le vent de tempête qui brise le moulin
« Asdaex, conclut Francis Martin, ne sera jamais une société cotée en bourse car nous voulons continuer à maîtriser, nous-mêmes, les orientations importantes. La croissance de l’entreprise n’a jamais été un objectif à nos yeux ; nous visions une vingtaine de collaborateurs, endéans les trois ou quatre ans, afin d’être crédibles économiquement. Nous sommes soixante-quatre ! C’est dû au succès de nos projets chez nos clients, pas à la volonté de croître pour croître. Nous suivons une logique à moyen terme de respect et de confiance. Nous ne recrutons pas de mercenaires… Asdaex tient à se prémunir de ce qu’on nomme le treadmill effect : le vent entraînant un moulin, lui permettant d’acquérir une certaine vitesse… Mais les actionnaires de sociétés cotées en bourse veulent toujours un peu plus et font tourner le moulin toujours un peu plus vite. Si vite qu’à la fin, il risque de voler en éclats ! L’efficacité opérationnelle a souvent, en contrepartie, un coût humain. Plus l’entreprise est grande, plus ce coût humain est anonymisé par le nombre d’employés : s’il y en a beaucoup, impossible de les connaître tous.
En tant qu’économiste, je connais évidemment tout ce qui est effet d’échelle. Tout n’est évidemment pas compatible avec la petite entreprise. Fabriquer des voitures de série sans grandes entreprises n’est pas envisageable, raison de plus pour que la dimension environnementale et de respect de la planète y soit extrêmement présente. Une dimension qui est cependant beaucoup plus facile à installer dans une petite entreprise, pour peu que les patrons y soient sensibles… Sans doute faut-il aussi conserver une confiance suffisante dans la technologie. Elle rend d’énormes services pourvu qu’on lui pose les bonnes questions. Elle n’est jamais que ce qu’on en fait, n’étant pas intelligente en tant que telle… Ce qui nous ramène immanquablement à nos valeurs et à nos responsabilités. Ici et maintenant… »
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Honesty – www.honesty.be
Une tribu de spécialistes, un autre regard sur l’immobilier
« J’ai personnellement été atteint par la maladie de Crohn, une inflammation du tube digestif, explique Ludovic Guiot, administrateur-délégué d’Honesty. Ayant pu constater l’impact sur mon propre corps d’une nourriture mal appropriée, j’ai prêté une meilleure attention à mon alimentation et à mon hygiène de vie. Une réflexion plus globale sur l’environnement a naturellement suivi et est devenue une véritable démarche familiale. Ma conception du plaisir a également évolué et je m’efforce, autant que possible, d’écarter de ma vie tout ce que je n’aime pas. Deux choses ont donc fait que ma maladie est en rémission : qualité de la nourriture et bonheur d’aller vers ce qui me plaît. Beaucoup de gens ne mettraient jamais une essence frelatée dans leur réservoir mais n’hésitent pas à se nourrir de façon déplorable… »
Les lois de l’attraction
« En tant que patron d’entreprise, poursuit Ludovic Guiot, je m’efforce aussi d’amener mes collaborateurs à éviter ce qui ne leur plaît pas dans leur job. Cela peut sembler étrange mais cette réflexion est pourtant fondamentale : si le travail ne convient pas, pourquoi ne pas en changer ? Ouvrir de telles perspectives est une excellente manière d’améliorer le confort des collaborateurs. Les mentalités doivent évoluer : il faut arrêter d’être dans le devoir, dans le paraître, et il faut, pour cela, identifier correctement sa propre envie et savoir où on est bon. C’est d’ailleurs souvent lié ; il est clair que, si on aime, on sera bon dans ce qu’on fait. Et le reste suivra, je crois aux lois de l’attraction. Nous sommes des moteurs pour tout ce qui nous arrive de positif et de négatif mais il n’est pas toujours aisé de le faire comprendre à notre entourage : famille, amis, collègues… Il ne faut donc pas craindre d’amener autrui à de telles réflexions. En tant que patron, je dois le demander à ceux que j’emploie : peut-être n’est-ce plus la fonction ou l’entreprise qui te conviennent ? Je dois aussi ouvrir la possibilité de réfléchir autrement. C’est pourquoi Honesty travaille avec une association nommée Emploi Mode d’Emploi (EME) – www.eme-conseil.be – qui recherche les modalités de l’épanouissement personnel dans l’entreprise et, par conséquent, une amélioration du travail.
Mieux encore : Honesty va entamer un grand virage, dès le début de l’année prochaine ! Nous voulons nous réorganiser afin qu’il n’y ait plus un responsable ultime mais que des pôles de compétences soient mis à la disposition de tous et que l’autonomie de chacun soit accrue au point de faire disparaître, à terme, toute forme de structuration hiérarchique. Je vous invite, à ce sujet, à lire Reinventing Organizations, de Frédéric Laloux – une version traduite, résumée et illustrée, est disponible aux éditions Diateino -, dont l’idée est d’évoluer vers des fonctionnements de ce type. Pour améliorer le travail de chacun, il ne suffit pas de mettre un billard ou un kicker dans la cafétaria – je caricature – mais il faut laisser la liberté d’action la plus étendue possible aux collaborateurs et ne pas laisser planer l’impression que quelqu’un est susceptible, à tout moment, de les contrôler… Nous voyons aujourd’hui, chez Honesty, à quel point nos collaborateurs sont jaloux de leur autonomie. Trop de gens ont encore souvent, dans leur tête, l’impression qu’une telle autonomie n’est pas légitime. Il faut absolument réagir, face à de telles peurs, en mutualisant la réflexion, en rendant plus disponibles les ressources liées à des fonctions ou à des compétences, de sorte que n’importe quel collaborateur n’ait plus jamais besoin du patron pour arriver à la bonne décision. »
Priorités et valeurs
« Avant cela, n’importe quelle « boîte » doit évidemment définir ses priorités, ses valeurs. Chez Honesty, affirme avec fierté Ludovic Guiot, c’est la bienveillance ! Quelqu’un d’hyper-compétent, mais qui n’est pas bienveillant, n’a pas sa place chez nous. C’est la base. Le métier, ensuite, devient une sorte de la logistique… Je n’avais jamais imaginé qu’Honesty serait une entreprise avec onze bureaux et une quarantaine de collaborateurs. Ce sont les opportunités, les rencontres de personnes amenant des projets, qui décident du destin d’une « maison » comme la nôtre. Et pas une stratégie déterminée de longue date. Il me semble donc préférable, dans cet esprit, que les décisions et les évaluations se fassent entre collègues : fixer, par exemple, de nouveaux objectifs à qui est insuffisant ou irrespectueux, ou carrément prier cette personne d’aller voir ailleurs… Nous n’engageons jamais sur base d’un diplôme ou de compétences spéciales mais surtout sur base de la personnalité. Et, par rapport au métier spécifique de l’immobilier, nous formons nous-mêmes ces nouveaux arrivants. Neuf personnes sur dix sont dans cette situation-là, chez nous…
Il est confortable de rester dans ses habitudes. Faire partie de ceux qui décident de fonctions et de priorités paraît trop ardu à beaucoup de gens qui n’y sont pas prêts. Nous devons donc d’abord déterminer comment bien négocier ce tournant. Honesty veut avant tout conserver son humanité, même si le structure grandit. Aux Pays-Bas, la première entreprise de soins de santé à domicile emploie plusieurs milliers de personnes mais tout se fait en autonomie, jusqu’à former la concurrence pour lui expliquer ce qu’il faudra faire demain… La volonté, au lieu d’expédier simplement les gens dans des homes, est d’amener tous ceux qu’elle sert à davantage d’autonomie, en expliquant, par exemple, comment renforcer les liens avec la famille et les voisins. Toutes les questions émanant du terrain peuvent être posées par des groupes d’infirmiers, à des juristes ou à des médecins, sans qu’aucune structure pyramidale n’existe pour diriger tout cela… Le « boss » n’est plus là que pour certaines questions d’ordre très général. Et ceci est possible, même dans des « boîtes » de très grande taille…
Nous axons notre communication sur la « tribu Honesty » afin de souligner notre grande solidarité interne, dans un monde de l’immobilier qui est encore très concurrentiel, où les commerciaux, dans certaines entreprises, se bagarrent entre eux pour s’arracher les affaires… Ce n’est pas le cas chez nous ! Toutefois, l’inconvénient de la tribu, c’est que ses membres sont parfois plus durs encore que ne le serait le patron : un nouvel engagé doit prouver, par exemple, qu’il mérite bien de faire partie de la communauté. D’une manière générale, la tribu sanctionne beaucoup plus vite… »
S’adapter au monde qui change
« Aujourd’hui, les gens veulent de la liberté, de l’autonomie, constate Ludovic Guiot, travailler à temps partiel afin de garder du temps pour eux. Pourquoi serait-ce un problème, du moment que le travail est fait ? Aller chez le dentiste avec un enfant ? Chez nous, il ne faut même pas en faire la demande, ni même prendre congé… L’organisation du travail ne doit plus être du ressort de patron. Et c’est faisable dans toutes les entreprises mais, pour cela, il faut avant tout de la pédagogie, il faut changer la culture de travail. La rentabilité doit évidemment toujours être au rendez-vous mais n’est-ce pas justement cette souplesse, cette légèreté qui rend aujourd’hui le travailleur plus efficace dans son boulot ? Comment ce travail doit-il être évalué ? Chez nous, pas de chiffres, personne n’a d’objectif ! Le rapport humain est toujours prépondérant, ainsi que les rapports avec les clients. Je n’évalue donc personne individuellement mais le brainstorming est collectif sur ce qu’il est nécessaire d’améliorer.
Quel est le service qu’un agent immobilier peut rendre ? Notre rôle est d’abord de donner les bons conseils par rapport à un patrimoine. Garder ou vendre ? Quel est le prix de vente idéal ? Comment aborder la vente, en scindant, par exemple, le bien pour mieux le valoriser ? Il faut toujours, après réflexion, préférer le bon conseil au conseil intéressé, opter pour la relation à long terme dans l’intérêt du client…
Quand des collaborateurs qui ont de vraies compétences quittent l’entreprise, eh bien, c’est terrible pour l’entreprise ! Mais si ces mêmes collaborateurs s’épanouissent dans l’entreprise et peuvent être partie prenante de son destin, quelles raisons auraient-ils encore de la quitter ? Je pense donc que notre nouvelle organisation sera très attractive pour des gens qui arrivent dans le métier que nous faisons. Or l’enjeu principal aujourd’hui est justement de trouver les bonnes personnes. Et nombreux sont ceux qui acceptent à présent, de renoncer à une partie de leur salaire pour des questions de valeurs… Mieux encore : plusieurs patrons de PME – en électricité, chauffage, peinture – ont postulé, ces derniers mois, chez Honesty, alors que leur entreprise tournait bien. Ils peinent à trouver des gens formés ! Et les candidats ne manquent pourtant pas mais ce sont les formateurs, qualifiés et passionnés, qui font aujourd’hui défaut. Il est urgent de réfléchir autrement, en offrant d’autres perspectives au maçon, par exemple, dont on sait très bien que la pénibilité du métier ne lui permettra pas de travailler sur chantier jusqu’à soixante-sept ans. D’autres, à quarante-cinq ans, souhaitent changer de métier mais ne peuvent pas se le permettre financièrement… Pourquoi ne pas leur assurer un revenu ? »
La solidarité fera la différence
« Nous regrettons que le public, d’une manière générale, soit encore insuffisamment sensibilisé à ces questions, conclut Ludovic Guiot. Nous-mêmes devons mieux communiquer à ce sujet car on imagine rarement que l’écologie et l’aspect humain des choses puissent toucher une société immobilière. Mais il faut dire que le milieu de l’immobilier a été considérablement assaini depuis vingt-cinq ans… L’écologie est avant tout une histoire d’humanité. Je me souviens d’une réflexion de Pierre Rabhi qui place le respect de l’humain au centre, tout le reste n’étant que conséquences logiques. J’ai entendu dire qu’aujourd’hui, 70% des Belges font un job qu’ils n’aiment pas. C’est souvent une question d’éducation car on formatte, dès l’école, sur base de notes largement arbitraires, on drille à une performance qui est pipée d’avance. Et tout est à l’avenant : vous devez mériter à l’égard des autres ! Certes, il faut du courage mais, quand on aime vraiment ce qu’on fait, est-ce encore bien du courage ? En tant que parent, comme en tant que patron, c’est de voir les individus se « casser la gueule » qui est terriblement dur. Nous pouvons juste nous efforcer qu’un problème ne se répète pas, chercher la pédagogie ou la formation continue adéquates, donner à la personne le moyen de trouver elle-même la solution qui lui convienne…
Je pense donc que le travail en groupe permet d’oser davantage, induit des processus de correction plus crédibles et plus efficaces… Alors qu’être morigéné par la hiérarchie est toujours absolument contreproductif. Le rôle du patron aujourd’hui est difficile à jouer, à tel point que je me présente souvent comme un simple collègue. « Un collègue qui décide », dis-je alors sous forme de boutade… Sûr que c’est toujours la solidarité qui fera la différence ! »
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Civadis – www.civadis.be
Solutions IT pour les autorités locales
» Depuis quelques années, raconte Marc Breuskin, directeur des projets spéciaux et des partenariats, Civadis s’engage dans une action sociale liée aux cadeaux de fin d’année qui sont destinés à remercier notre clientèle. Nous demandons à notre personnel de faire des suggestions d’actions à caractère local et construites autour d’objectifs précis. Nous examinons alors, avec leurs promoteurs, comment y associer Civadis et c’est ainsi que nous avons fait le choix de Nature & Progrès afin de présenter une démarche en faveur de la biodiversité menée en commun : l’installation d’hôtels à insectes dans le cadre du Plan Bee. Une communication spécifique fut réalisée, en complément des cadeaux, et nous développons aussi, avec nos employés, les raisons qui motivent notre choix, un représentant de l’association partenaire étant ainsi convié afin d’en parler, ce qui peut inciter, si elles le souhaitent, les personnes concernées à prolonger la démarche… Soucieux de choisir nos cadeaux dans un cadre d’économie locale, nous optons souvent pour du chocolat, ce qui permet un vrai partage chez nos partenaires plutôt que de concerner exclusivement l’une ou l’autre personne…
Nos clients sont essentiellement des pouvoirs locaux, notre travail consistant à leur fournir des logiciels adaptés à leurs besoins. Ces logiciels sont installés sur leurs propres machines et nous ne pouvons donc qu’être de bon conseil en ce qui concerne les consommations énergétiques, dans le cas d’utilisations éventuelles de datacenters, sans que cette problématique concerne directement Civadis. Notre maison-mère en possède, quant à elle, et vient d’installer une éolienne afin de viser le bilan le plus neutre possible. Nous faisons nous-mêmes, bien entendu, très attention à nos propres consommations et à tout ce qui concerne l’ajustement, après la pandémie, de notre espace de travail qui est relativement grand. Nous réfléchissons aussi à l’introduction de nouvelles sources d’énergie, telles que les panneaux solaires… »
Adapter la politique de mobilité
« La question du sens, précise Sophie Demoitié, directrice financière et des relations humaines, oriente le choix que fait notre comité de direction pour la thématique associée aux cadeaux de fin d’année. Or les défis écologiques préoccupent toujours plus nos collaborateurs. Il est donc important qu’une société comme la nôtre mette l’accent sur les problématiques sociétales et environnementales. Cette image positive est destinée bien sûr à notre clientèle mais elle réaffirme aussi, en interne, les valeurs auxquelles Civadis est très attaché. Nos plus jeunes collaborateurs sont particulièrement sensibles à ces questions, l’évolution des mentalités est très claire à sujet. Sans aller jusqu’à donner toutes priorités à l’environnement, les candidats à l’engagement chez Civadis nous interrogent régulièrement sur le sens que nous donnons aux fonctions proposées. Nous travaillons principalement pour les communes et les CPAS – et donc pour la population dans son ensemble -, nos priorités sont donc naturellement orientées vers le service public et vers le local.
Nous réfléchissons, Marc l’a évoqué, à investir dans le photovoltaïque et à mettre en place des systèmes originaux permettant à nos collègues d’orienter davantage leurs choix de mobilité vers des vélos ou des véhicules électriques. Tous pensent spontanément, par exemple, sur ces questions, à recourir davantage à des véhicules partagés. Le cadre de travail dont Civadis est propriétaire, à Rhisnes près de Namur, est très verdoyant et très aéré mais est malheureusement mal desservi par les transports en commun. Afin d’innover dans notre politique de mobilité, nous avons donc adressé un questionnaire à tous les collaborateurs afin de mieux comprendre leurs souhaits et leurs usages réels, les habitudes de mobilité qu’ils seraient prêts à modifier, ou même s’ils seraient éventuellement prêts à déménager pour bénéficier de conditions de travail différentes… Les résultats de cette enquête et l’analyse de l’état de notre flotte actuelle de véhicules nous permettra de proposer une gamme de solutions que chacun pourra combiner en fonction de son cas particulier. Nous évoluerons également, dans notre plan de rémunérations, en ne proposant plus systématiquement le véhicule de société. Nous sommes aussi très attentifs au bien-être des collaborateurs : l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, par exemple. Nos différentes antennes – Marche, Leuze-en-Hainaut et Herstal – offrent également des solutions aux collaborateurs qui viennent de loin. Nous mettons donc au point une sorte de « plan cafétaria » où la voiture serait davantage comprise comme un outil parmi d’autres. La pertinence du passage à l’électricité de notre flotte de voitures de société reste, pour l’heure, très complexe à évaluer, concernant notamment l’aspect fiscal et vu le coût d’un véhicule électrique, en regard de la valeur de revente de nos véhicules à moteurs thermiques. Chez nous, la voiture reste un véritable outil de travail, beaucoup de collaborateurs se rendant quotidiennement en clientèle, mais à partir de juillet 2023, quoi qu’il en soit, nous passerons à l’électrique. Le rechargement – notamment pour ceux qui habitent en appartements – reste une question complexe, le planning de charges devant être plus structuré que pour les voitures à essence. Pour l’heure, Civadis est équipé de deux doubles bornes et le passage général à l’électricité ne pourra se faire qu’avec l’installation d’un réseau plus important, c’est pourquoi nous pensons à construire un carport muni de panneaux photovoltaïques et d’un nombre de bornes nettement plus conséquent. »
Des évolutions rapides
« Recharger la voiture sur le réseau, quand on rentre chez soi, est évidemment toujours le mauvais choix, précise Marc Breuskin, car c’est aussi le moment où l’électricité coûte le plus cher. Celui qui dispose de panneaux photovoltaïques a tout intérêt à recharger ses batteries, pendant l’après-midi, quand rien d’autre ne tourne chez lui. Un bon schéma serait peut-être d’équiper les surfaces de parkings en panneaux photovoltaïques – dans les supermarchés, par exemple -, de manière à recharger des batteries qui y seraient disponibles. Ceci permettrait sans doute de mieux adapter la consommation à la production électrique. Nous sommes encore dans une phase pilote à cet égard et il est certainement un peu tôt pour faire déjà des choix trop catégoriques, dans la mesure où la technologie – et notamment l’autonomie des voitures – évoluent à grand pas. J’ai eu vent, par exemple, d’un projet où un robot de chargement vient se coller aux voitures en stationnement sur un parking…
Le télétravail est un des outils qui a également évolué très vite, et les solutions qu’il offre sont aujourd’hui pleinement exploitées pour nos réunions. Toutes nos salles sont équipées de systèmes performants. Civadis offre aussi, à ses collaborateurs, la possibilité de trois jours de télétravail par semaine, ce qui est très apprécié même si de nouvelles questions se posent en matière d’esprit d’équipe et de consolidation des liens sociaux. Les logiciels que nous proposons intègrent aussi, de plus en plus, les outils digitaux, à l’intention des administrations que nous servons afin de gérer leurs propres process. Tout ce qui est factures, bons de commandes, etc. est aujourd’hui systématiquement dématérialisé. Tout ce qui peut être récupéré via des messageries permet d’éliminer beaucoup de papier. L’amélioration du dialogue entre citoyen et administration est également au cœur de nos produits, ce qui contribue également à donner du sens au travail qu’offre Civadis : il ne s’agit pas uniquement d’outils de base mais d’une modernisation complète du contact avec les institutions, dans l’intérêt de tous nos concitoyens. Travailler pour nous consiste donc à rendre un réel service à la population. Mais, attention, proposer une solution ne la rend pas pour autant exclusive et chacun doit rester libre de ne pas accepter les solutions électroniques ; ceux qui ne sont pas prêts doivent pouvoir continuer à recevoir les différents éléments de manière traditionnelle. Ajoutons enfin que Civadis change très régulièrement de matériel informatique qui ne reste, chez nous, qu’entre trois et cinq ans. Nous disposons ainsi d’équipements que nous donnons à des écoles ou à des associations. Ce matériel reste adéquat pour l’usage qui en sera fait, même s’il ne correspond plus à nos standards professionnels de performance…
Chacun d’entre nous est acteur d’avenir, conclut Marc Breuskin ! Il ne faut pas attendre spécialement que les politiques ou les entreprises « fassent quelque chose ». Chacun doit « faire quelque chose ». Un peu d’attention suffit pour ne pas subir le changement. »
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Nul doute, à présent, que le capital humain soit la ressource essentielle de l’entreprise citoyenne. Ce constat implique donc clairement que le facteur de changement de nos entreprises soit la bienveillance qu’elles témoignent à l’humain, bien plus que la course au profit. Cette course aujourd’hui les épuise, la valorisation de la compétence humaine au contraire les régénère, les fait revivre. Encore un logiciel à modifier d’extrême urgence…