S’associer pour reprendre la ferme – La ferme de la Sarthe

Cet article est paru dans la revue Valériane n°174

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Par Caroline Battheu-Noirfalise,

animatrice chez Nature & Progrès

La transmission des fermes constitue un des principaux enjeux pour le maintien de l’agriculture familiale en Wallonie. Comment reprendre une ferme sans subir la pression économique de l’endettement ? Pourquoi et comment s’associer dans cette aventure ? A la Ferme de la Sarthe, Valentine Jacquemart témoigne de son expérience.

Valentine Jacquemart et Thomas Huyberechts devant la fromagerie de la Ferme de la Sarthe.

 

D’après les statistiques wallonnes[i], en 25 ans, la région a perdu la moitié de ses fermes à un rythme moyen de 11 par semaine. Il en reste actuellement quelques 12.500. D’après les pyramides d’âges, 70 % d’entre elles seront à remettre dans les dix ans à venir, ce qui correspond à plus de 50 % de la surface agricole utile. Or, seul un agriculteur de plus de 50 ans sur cinq déclare disposer d’un repreneur.

 

Préserver notre agriculture familiale

Les fermes sans repreneur alimentent le plus souvent l’agrandissement des exploitations voisines. Sur ces mêmes 25 dernières années, les superficies moyennes ont doublé. « Des fermes toujours plus grosses, toujours plus capitalisées, ne pourront, in fine, plus être reprises que par des sociétés », analyse la journaliste Amélie Poinssot dans son livre « Qui va nous nourrir » (Actes Sud, 2024). Cette situation met en péril nos agricultures familiales. « C’est le moment ou jamais de se battre pour un accès populaire à la terre, pour restaurer partout les usages et les égards à même d’en prendre soin. »

Des sociétés ou des agricultures familiales, ce sont les secondes que l’on souhaite continuer à voir prospérer dans nos campagnes. Une opinion partagée tant par les citoyens que par les politiques. « Un enjeu central pour la Wallonie est de sauver ses/ces fermes, de les préserver en tant qu’unités de production fonctionnelles en évitant qu’elles ne disparaissent à la fin de la carrière de l’exploitant. Il s’agit de maintenir un maillage dense de fermes épanouies dans les campagnes wallonnes et d’optimiser le renouvellement des générations en agriculture. », lit-on dans un rapport du Réseau wallon de Développement Rural[ii]. La transmission doit faire face à une série d’entraves économiques, juridiques et administratives, ce qui nécessite un travail sur le long terme.

 

La Ferme de la Sarthe

L’histoire de la Ferme de la Sarthe remonte aux arrière-grands-parents de Valentine, qui cultivaient la terre et élevaient quelques animaux pour subvenir à leurs besoins et ceux d’un marché très local. Le père de Valentine, Damien, reprend la ferme alors qu’elle est en fin d’activité. Avec peu d’expérience pratique et convaincu par les principes de la biodynamie, il se forme auprès de pionniers belges et français et essaie plusieurs productions (élevage caprin, petits fruits, plants à repiquer) pour finalement se concentrer sur les vaches laitières et les céréales. Avec le temps, la ferme se développe : le troupeau grandit et des surfaces supplémentaires sont acquises. Damien et son épouse fidélisent une clientèle via leur présence sur les marchés de Namur et sur les premières éditions du Salon Valériane. Ils sont également dans les premiers producteurs belges à recevoir la mention Nature & Progrès. David, le frère de Damien, s’associe au projet. Avec le temps, la ferme se scinde en deux branches complémentaires. Damien se spécialise dans la production laitière tandis que son frère David se concentre sur les cultures.

 

Reprendre : un cheminement personnel

Après des études d’éco-conseillère, Valentine, la fille de Damien, lance une parcelle de maraîchage en indépendant complémentaire pour fournir la coopérative Paysans-Artisans. Elle a progressivement un déclic : « Pourquoi travailler pour quelqu’un d’autre alors qu’il y a une entreprise chez moi qui porte les valeurs que je défends ? ». En 2020, en pleine pandémie, elle devient officiellement associée avant de reprendre pleinement la ferme début 2025. La transition se fait progressivement, Damien restant actif sur la ferme. Valentine, bien que proche de son père, souligne les difficultés inhérentes à la transmission mais reconnaît néanmoins la valeur de l’expérience et préfère d’abord apprendre avant d’expérimenter : « Il y a des petites choses pour lesquelles je ne suis pas toujours d’accord avec lui, mais il a 40 ans d’expérience et je respecte énormément cela. » La transmission de connaissances et de savoir-faire n’est pas pour autant une chose aisée, même dans un cadre familial. « Le problème, dans une ferme, c’est qu’on ne s’arrête pas pour aller voir ce que fait l’autre et essayer de comprendre car il y a trop de boulot et cela donne l’impression de perdre du temps. »

 

Une association qui prend racine

La présence de Damien est également précieuse pour Thomas Huyberechts, ingénieur agronome de formation sans expérience agricole familiale. Ayant travaillé aux côtés d’éleveurs qui lui ont transmis leur passion, Thomas a rejoint la ferme il y a quatre ans, dans un premier temps comme stagiaire, avant d’envisager sérieusement de devenir fermier. Il voit également cette expérience comme un moyen de gagner en cohérence et en légitimité dans son travail de représentation du monde agricole à la FUGEA. Aujourd’hui, il transfère néanmoins son temps de travail vers la ferme de manière progressive. Thomas souligne l’intérêt de l’association, qui lui évite de porter seul le poids d’une reprise. L’association se fait sous une forme juridique relativement simple entre deux personnes physiques. Thomas a, par ailleurs, racheté 50 % du capital d’exploitation (troupeau, machines et stocks) mais sans reprendre les bâtiments et les terres en propriété. « Cela permet de me sentir un peu chez moi aussi, mais ça m’arrangeait bien de ne pas devoir directement investir dans de l’immobilier ». Valentine et Thomas vont établir un règlement de travail et une convention d’association pour clarifier les prises de décisions et prévenir les conflits.

 

Organiser le travail

Pour l’heure, la transition en douceur du travail de Damien vers Thomas n’induit pas un besoin urgent de réorganisation des tâches à la ferme. À terme, les associés souhaitent cependant structurer davantage les responsabilités tout en laissant à chacun la possibilité de profiter de la diversité des tâches qu’offre le travail agricole. Dans le futur, Valentine et Thomas souhaitent continuer le même modèle. Ils n’arrivent pas avec des idées de révolution, mais pensent tout de même améliorer les procédés internes, notamment en travaillant sur une génétique du troupeau – actuellement en Rouge Pie – qui valorise mieux l’herbe. Les jeunes repreneurs ont investi dans des panneaux solaires. « Le prix de l’énergie a triplé ici à la ferme. Qu’est-ce qu’on va faire si le prix du mazout fait pareil ? »

 

Les jeunes Rouge Pie x Fleckvieh dont quelques mâles sont engraissés en tant que bœufs

 

Un modèle agricole résilient et ancré localement

Avec une trentaine d’hectares de surface agricole utile, dont cinq hectares de céréales et de prairies temporaires, la ferme offre une diversité de produits laitiers transformés sur place et des colis de viande provenant de l’engraissement des veaux laitiers mâles castrés et de cochons élevés au petit-lait de la fromagerie. La ferme privilégie ainsi la diversité mais également la vente en circuit court (magasin à la ferme, via Agricovert et Paysans-Artisans). Cette stratégie limite la dépendance aux fluctuations du marché global, renforce les liens avec la communauté locale et consolide l’ancrage territorial de la ferme.

Conscients des sacrifices qu’exige l’agriculture, Valentine et Thomas apprécient néanmoins la liberté que leur confère leur modèle. En effet, le faible niveau d’endettement confère une flexibilité décisionnelle rassurante pour les jeunes éleveurs. « Dans une reprise classique, il aurait fallu tout redimensionner : de plus grandes étables, plus de terres et agrandir la fromagerie ; cela représente beaucoup d’investissement d’un coup. » Les repreneurs ne perdent pas de vue les chiffres économiques du projet. « Ici, je sais ce que la ferme dépense et je sais ce que la ferme gagne », confie Valentine. Forte de l’expérience familiale et du soutien de Thomas, elle envisage l’avenir avec pragmatisme : poursuivre l’œuvre familiale tout en garantissant une qualité de vie décente, également au niveau du temps de travail.

Dans le contexte wallon où la transmission des fermes devient critique pour notre souveraineté alimentaire, l’aventure de la Ferme de la Sarthe illustre à la fois la complexité et la richesse de la transmission intra-familiale, ainsi que les opportunités offertes par des collaborations extra-familiales, sur des structures dont la relativement petite taille représente une opportunité abordable pour les repreneurs. Ce modèle de reprise en association gagnerait à essaimer. Les cadres administratif et législatif actuels sont-ils bien adaptés à une reprise en association de ce type ? Il conviendrait de s’en assurer, et d’effectuer les adaptations nécessaires pour faciliter ces transmissions « hors cadre ».

 

REFERENCES

[i] Statistiques disponibles sur https://etat-agriculture.wallonie.be/

[ii] Réseau wallon de Développement Rural. 2022. Accompagner la transmission des fermes en Wallonie. Propositions du Collectif Transmission. Rapport, 29 pages. https://reseauwallonpac.be/sites/default/files/transmission_dispositif_daccompagnement_note_du_rwdr.pdf

 

 

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Le label bio européen : un outil de base indispensable

LE LABEL BIO EUROPÉEN : UN OUTIL DE BASE INDISPENSABLE

Depuis sa première publication en 1991, la règlementation bio européenne a fait l’œuvre de plusieurs révisions. La dernière en date est d’application depuis le 1er janvier 2022 et des règlements nationaux sont toujours en cours d’élaboration pour en réguler l’application dans chaque Etat Membre. On entend d’ailleurs souvent que « le bio d’ici et le bio de là-bas ce n’est pas la même chose ». Remettons la ferme au milieu du village européen…

Par Mathilde Roda (article rédigé dans le cadre du dossier Agriculture biologique : un label et bien plus encore, publié dans la Revue Valériane n°160 de mars-avril 2023).

Une règlementation transversale

La législation bio européenne repose sur le Règlement (UE) 2018/848. C’est le document de référence qui définit les grandes lignes et principes de l’agriculture biologique. Il est accompagné d’actes d’exécution qui précisent certains articles et d’actes délégués qui en précisent ou modifient le contenu non essentiel (1). Ces règlements ont un portée légale identique dans tous les pays de l’Union Européenne. Nul gouvernement ne peut faire l’impasse sur ce qui y est explicitement noté. Un agriculteur bio d’Espagne devra donc respecter les mêmes règles qu’un Wallon ou un Polonais.

Ce qui peut varier est de deux natures. Soit il s’agit de points laissés volontairement à l’appréciation des gouvernements nationaux par la Commission Européenne. Cela concerne la gestion administrative ou des champs d’application non encore couverts par la règlementation européenne, comme la restauration collective ou l’élevage d’escargots. Soit il s’agit d’une liberté donnée aux Etats membres d’interpréter les termes qui ne sont pas explicitement définis. Par exemples, l’âge en dessous duquel on considère un « jeune bovin », ce qu’on entend par « principalement couvert de végétation », le pourcentage à partir duquel « principalement » est atteint, etc. Il peut y avoir des divergences sur ces points, mais elles resteront toujours limitées par le respect de la règlementation générale.

Comment ça se passe en Wallonie ?
En Wallonie, c’est un Arrêté du Gouvernement Wallon qui régit l’application des règlements européens. Il est complété par un Guide de Lecture, plus pragmatique, permettant aux acteurs de terrains de clarifier les règles, afin d’homogénéiser l’application de la législation bio sur le territoire wallon. Lors de l’élaboration de ces documents, le secteur agricole wallon a été consulté. Nature & Progrès a participé à ce d’un long processus de négociation.
L’agriculture étant une matière régionalisée, la Flandres possède son propre Arrêté et des différences d’interprétation subsistent entre les deux régions. Si cela parait aberrant, il faut se rendre compte que les réalités agricoles flamandes et wallonnes sont différentes. La communication interrégionale est cependant active et ces différences sont vouées à être lissées. En espérant que la volonté d’autonomie et de valorisation du terroir de la Wallonie inspirera au Nord du pays. Cela risque de devenir incontournable, au vu du contexte agricole et de son évolution…

Des règles claires applicables à tous

Socle de base, la législation bio européenne offre un cadre réglementaire cohérent qui marque les différences avec les agricultures conventionnelles. Cadre qui est contrôlé strictement. Elle ne se substitue pas aux règlementations agricoles et alimentaires générales mais vient en complément. Le règlement de base « énonce les règles régissant la production biologique, la certification correspondante et l’utilisation, dans l’étiquetage et la publicité, d’indications faisant référence à la production biologique, ainsi que les règles applicables aux contrôles » (2). L’appellation « bio » concernant l’agriculture et l’alimentation est réservée à ce qui entre dans le cadre de ce règlement. Les cosmétiques et produits d’entretien ne sont donc pas couverts, les labels faisaient référence à l’appellation « bio » dans ces cadres-là ont leurs propres cahiers des charges (par exemple, Cosmebio). L’appellation « bio » peut alors ne pas avoir exactement la même signification.

 

Plus concrètement, le champs d’application du R2018/848 prévoit de couvrir : les produits agricoles vivants (cultures, animaux, semences et autres matériels de reproduction des végétaux), les produits agricoles transformés à destination de l’alimentation humaine, l’alimentation pour animaux, ainsi que, et c’est une nouveauté, une douzaine de produits considérés comme liés à la production agricole : huiles essentielles, laine, coton, levures, cire d’abeille, sel…

La culture en bio

Le label bio européen cadre la production végétale concernant le recours à des intrants et des semences bio, mais aussi par des listes restrictives de produits autorisés pour la gestion des maladies et ravageurs. Le règlement en vigueur depuis 2022 apporte des éléments nouveaux, en ouvrant la porte au recours à des semences plus « hétérogènes » afin de favoriser la sélection paysanne de semences bio. Mais aussi une volonté d’aller vers plus de 100% bio en limitant les possibilités de dérogations. En effet, vu le manque d’accès à des matières bio – semences, fumier, paille,… – dans certains pays, dont le nôtre, la Commission permet de déroger à la règle dans un certain cadre. Ce nouveau règlement cherche donc à limiter cela afin de pousser au développement du secteur bio pour qu’il s’autonomise. Enfin, comme un retour aux fondamentaux, le R2018/848 prévoit que la rotation en cultures annuelles inclut obligatoirement des légumineuses et autres engrais verts.

 

Un point d’attention dans l’évolution de la règlementation est la multiplication des tentatives d’introduction de nouvelles substances/nouveaux produits dans la liste des intrants utilisables en agriculture biologique. Le secteur se montre généralement défavorable aux demandes concernant des produits issus de la chimie de synthèse ou des co-produits de l’industrie, et favorable aux substances naturelles qui permettent des alternatives aux produits autorisés controversés, comme le cuivre en pommes de terre ou les insecticides pyréthrinoïde en maraîchage. Un cap à absolument conserver !

L’élevage en bio

En bio, on ne pense pas qu’à la mise à mort correcte de l’animal, mais aussi à sa mise en vie ! La règlementation européenne, qui revendique l’agriculture biologique comme « l’application de normes élevées en matière de bien-être animal », définit la taille et l’aménagement des bâtiments d’élevage, du parcours extérieur, l’alimentation des animaux – bio, sans OGM – et les méthodes de gestion des maladies. Le bio base le soin aux animaux sur des pratiques préventives naturelles, les traitements médicamenteux font parfois l’objet d’une dérogation sur prescription vétérinaire. Elle rappelle également que les animaux doivent être en lien avec le sol et qu’ils doivent pouvoir satisfaire à leurs besoins naturels. Concrètement, une vache ou un mouton doivent brouter, un porc doit pouvoir fouiller le sol avec son groin et une volaille gratter la terre. Certains de ces principes ne sont pas traduits en articles contraignants dans le texte de loi et ne sont donc pas toujours strictement appliqués sur le terrain.

 

Parmi les nouveautés, on notera la volonté de favoriser l’autonomie alimentaire des éleveurs en augmentant la proportion d’aliments pour animaux provenant de l’exploitation elle-même ou, si cela n’est pas possible produits en coopération régionale. Encore faut-il voir comment chaque Etat définit « régionale ». La Wallonie et la Flandres n’ont déjà pas la même approche, la première considérant la Belgique et les régions limitrophes alors que la deuxième l’Europe dans son entièreté.

La Commission a réaffirmé le besoin de tous les animaux d’accès à un espace de prairie et non pas seulement une cours extérieure, même si la formulation n’est pas contraignante en ce qui concerne les porcs. En volailles, les densités restent très faibles par rapports aux élevages conventionnels – 2 fois moins élevées qu’en élevage standard intensif – et des règles sont ajoutées en bâtiment : plus de perchoir, plus grandes et meilleur accès aux trappes menant à l’extérieur. Une évolution décevante est la possibilité d’élevage de taille industrielle puisque la limitation, à 3.000 poules pondeuses ou 4.800 poulets de chair, se fait maintenant par « compartiment » et non plus par « bâtiment ». Heureusement, il est demandé d’aménager les espaces extérieurs avec une grande variété de végétaux, arbres et arbustes répartis sur toute la superficie pour permettre une utilisation équilibrée de tout l’espace à disposition par les volailles.

Notons que des règles sont maintenant définies pour les élevages de lapins et cervidés, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

La transformation en bio

Les principes spécifiques à la transformation biologique ne peuvent être mieux résumés que par le règlement lui-même, qui stipule que la production de denrées alimentaires biologiques transformées repose sur les quelques principes suivants : produire à partir d’ingrédients agricoles biologiques; restreindre l’utilisation des additifs alimentaires et d’auxiliaires technologiques ; exclure les substances et méthodes de transformation susceptibles d’induire en erreur le consommateur quant à la véritable nature du produit; recourir à des méthodes biologiques, mécaniques et physiques de transformation; exclure les nanomatériaux manufacturés.

 

 

Un produit transformé pourra être étiqueté comme « biologique » à condition qu’au moins 95 %, en poids, des ingrédients agricoles du produit soient biologiques. Les 5% d’ingrédients agricoles restants concernent une liste de 5 cas particuliers non disponibles en bio : algues, poisson sauvage, boyaux, gélatine…Seuls 56 additifs alimentaires et 42 auxiliaires technologiques sont actuellement autorisés, ils ont été jugés nécessaires à la production, la conservation ou la qualité organoleptique des produits transformés. Les colorants ne sont pas autorisés sauf en estampillage ou décoration des œufs de Pâques.

 

Un socle déjà bien solide…

Si la législation bio européenne ne va pas assez loin dans ses exigences pour certains, et trop loin pour d’autres, on peut lui reconnaître le mérite de poser les bases d’une reflexion sur les méthodes de production de notre alimentation. Au-delà du respect des règles, les producteurs et transformateurs bio, les vrais, sont poussés à mettre en place une batterie de pratiques leur permettant de respecter au mieux le cadre et garantissant ainsi au consommateur que son alimentation est au plus proche de ses exigences sociétales et nutritionnelles.

Des fromages du terroir – La ferme au vivier

Cet article est paru dans la revue Valériane n°172

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Par Caroline Battheu-Noirfalise,

animatrice chez Nature & Progrès

Entre Ardenne et Condroz, sur la verte commune de Neupré, Cyrille et Zoë élèvent en bio des vaches mixtes. Le lait est entièrement valorisé en fromages, maquée et beurre, et la viande est commercialisée sous forme de colis. Rencontre avec de nouveaux producteurs de la mention Nature & Progrès.

Zoë Roger et Cyrille Larock auprès de leur troupeau, dans leur nouveau bâtiment d’élevage.

 

En 2015, Cyrille Larock relance la fromagerie de la ferme familiale à Rotheux (Neupré) et travaille comme aidant dans l’élevage. Trois ans plus tard, Zoë Roger vient y faire un séjour dans le cadre d’une formation en biodynamie. Ils s’associent en 2022 et viennent de rejoindre la mention Nature & Progrès. Découvrons leur philosophie et leurs pratiques.

 

Des vaches mixtes

Lors de la reprise, Cyrille récupère le troupeau Blanc Bleu Mixte historiquement présent sur la ferme. Aujourd’hui, il compte une soixantaine de bovins dont une vingtaine de vaches laitières issues d’une diversité de races, pures ou en croisement. Alors qu’il avait un intérêt pour la Brune Suisse, Cyrille déplore le caractère trop laitier des individus présents en Wallonie. Il s’oriente dès lors vers la Simmental pour sa capacité à produire du lait et de la viande de manière équilibrée (caractère dit « mixte »). Des veaux mâles sont conduits en bœufs valorisés ensuite en colis de viande. Les éleveurs déplorent cependant la fermeture des abattoirs locaux et s’intéressent à l’abattage à la ferme.

 

Circularité et synergies au sein du terroir

Les surfaces disponibles sont composées d’environ 37 hectares dont seulement 2,5 hectares de terres cultivées. Le père de Cyrille, Louis, avait fait appel à Terre-en-vue pour l’acquisition de terrains. Un bloc de 11 hectares de prairies jouxte le bâtiment d’élevage, ce qui permet de sortir facilement les vaches en pâture. Sur les deux parcelles arables sont cultivées, en rotation et selon les années, des céréales panifiables, des betteraves fourragères, des mélanges triticale-avoine-pois, de la luzerne ou de la prairie temporaire. Les terres ne sont amendées qu’avec le fumier de l’exploitation, composté et mélangé à un activateur de compost. Les producteurs aimeraient pérenniser un échange paille-fumier avec des agriculteurs voisins. Etant donné le manque de surfaces cultivables, une partie de la complémentation est achetée, actuellement auprès d’une firme d’aliments. Cyrille cherche des solutions plus locales et pourrait obtenir une partie de la production de céréales auprès d’un agriculteur bio du namurois.

 

Confort des animaux et des éleveurs

Le nouveau bâtiment d’élevage incorpore des notions de durabilité au niveau des matériaux (bois), de bien-être animal ainsi que des éléments facilitateurs du travail : arrivée automatique des concentrés depuis le silo, griffe permettant de déplacer les ballots de foin, chaine à fumier… Ce choix leur permet de dégager du temps pour leur famille : « On veut que nos vaches soient bien, et nous aussi ».

En hiver, les vaches sont liées mais possèdent 1m30 de largeur et une attache confortable (collier avec une chaine attachée à un seul point), ce qui leur permet de disposer de plus de liberté. Elles sont déliées régulièrement pour se dégourdir les pattes. Chacune dispose de son auge, ce qui permet de doser la complémentation en fonction des besoins individuels. L’ancienne stabulation libre demandait beaucoup de paille, donc des achats. De plus, le fumier très pailleux se décomposait lentement. La nouvelle étable dispose également de box pour les génisses, les vêlages et les vaches blessées.

 

Le nouveau bâtiment dispose d’une griffe pour pouvoir distribuer facilement le foin aux animaux.

 

Des paysans-fromagers

La philosophie des producteurs est de concentrer leurs efforts sur les actions qui exercent une influence sur la qualité des produits vendus, notamment le lait. Zoë et Cyrille transforment la totalité du lait que leur donnent les vaches – et uniquement leur lait – afin de proposer des produits de qualité, qui soient le reflet de leur terroir. Zoë aime parler de « paysans fromagers » au même titre que « paysans boulangers », pour appuyer le fait que toute la chaine de production est connue, gérée et soignée par les mêmes producteurs. Ils ont appris à fabriquer le fromage auprès d’autres fermiers dans le Jura, et proposent dès lors une gamme de fromages à pâte semi-cuite (tomme, raclette) mais également de la maquée et du beurre.

Le lait est trait au bidon pour éviter son déplacement sur une trop longue distance. « Cela l’agite et on n’est jamais certain des résidus présents dans les tuyaux. » En fromagerie, Cyrille et Zoë travaillent avec un chaudron de cuivre, qui permet de préserver la qualité du lait et favorise de bons échanges chimiques dans le processus de transformation. Tous les produits sont au lait cru. La transformation n’est pas réalisée toute l’année car les éleveurs souhaitent grouper les vêlages au printemps. Ainsi, ils essaient d’habituer leurs consommateurs à un vide saisonnier dans la vente de produits, représentatif des cycles biologiques de production.

 

Les producteurs se définissent comme « paysans fromagers », ayant une maitrise sur l’entièreté du cycle de production.

 

Les colis de viande sont proposés en direct à la ferme tandis que les produits laitiers sont vendus majoritairement via des magasins coopératifs (Coopérative Ferme Larock, Agricovert à Gembloux, Fermes en vie à Marche-en-Famenne, les Petits Producteurs à Liège…

 

Cyrille Larock et Zoë Roger, Ferme au Vivier

Rue du Cimetière 11, 4120 Rotheux-Rimière (Neupré)

https://www.fermeauvivier.com/

paysansfromagers@lavache.com

 

 

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Face à l’impact du Mercosur, les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) sont-ils à même de soutenir nos producteurs locaux ?

© Nature & Progrès, tous droits réservés

Carte blanche

par Caroline Battheu-Noirfalise, Agronome – Chargée du réseau de producteurs

La politique néo-libérale menée par l’Europe fait tanguer nos agriculteurs wallons au rythme des traités de libre-échange. Les prix de vente qui en résultent entrainent la diminution de leur revenu et l’intensification de leur système de production – avec tous les impacts environnementaux que cela peut engendrer. Par ailleurs, entre Fairtrade, BIO, local et autres mentions, le consommateur a de plus en plus de mal à s’y retrouver et, sous fond de crise économique, choisit souvent la simplicité. Une solution serait-elle de remettre du lien entre producteurs et consommateurs autour d’une « charte de production » co-définie par les deux parties ?

Les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) délivrent une certification non-marchande basé sur l’évaluation des participants par leurs pairs et d’autres acteurs de la communauté concernée. Ainsi, chaque producteur participant reçoit la visite de consommateurs et d’autres producteurs pour évaluer la concordance entre les installations (fermes et/ou ateliers) et une charte définie par le collectif. Sur base des informations récoltées lors des visites, le collectif étudie les dossiers des requérants pour convenir de l’accès et l’utilisation ou non au label au sein de commission locale. Au-delà de leur aspect décisionnaire, ces commissions sont également des lieux de débats et de responsabilité partagée pour trouver des solutions pratiques à des non-conformités relevées. Basé sur la transparence et la confiance, le principe des SPG est donc bien plus qu’un simple contrôle, c’est un cercle vertueux d’amélioration continue.

Valentine Jaquemart (Ferme de la Sarthe à Mettet) : « La mention N&P, c’est un plus pour la dynamique sociale, le bien-être animal ou le lien au consommateur. C’est important d’y adhérer pour que le mouvement continue d’exister ! »

En termes de charte, les SPG ont été créé spécifiquement pour la certification de l’agriculture biologique ou, en son essence, une agriculture plus respectueuse de la santé et de l’environnement.  Les SPG permettent de se réapproprier la philosophie plus globale de l’agriculture biologique. Effectivement, les chartes SPG couvrent des aspects plus larges que la certification BIO européenne dont notamment des aspects sociaux, de prix juste pour le producteur et le consommateur ou encore l’utilisation d’énergie et d’eau. Aujourd’hui, le cadre d’application des SPG dépasse l’agriculture et concerne également l’écotourisme ou l’écoconstruction. En 2019, la fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique (IFOAM) dénombrait 223 initiatives de SPG dans 76 pays du monde, dont 166 déjà opérationnels regroupant 496 104 producteurs.

Créé en 1964, la fédération Nature & Progrès (N&P) France est à l’origine des premiers SPG dans les années 70. Peu de temps après, son homologue Belge, N&P Belgique voit le jour. Dans notre pays, c’est actuellement une communauté d’une soixantaine de producteurs et d’environ 4000 membres qui œuvrent collectivement pour le maintien de la mention N&P, principalement en Wallonie. Pour lutter contre la concurrence déloyale induite par les traités de libre-échange, le mouvement recrée un lien de confiance entre producteurs et consommateurs permettant de soutenir le développement d’une agriculture locale et durable sur laquelle plane une menace grandissante.