Informer sur la mort animale pour une citoyenneté éclairée
Cet article est paru dans la revue Valériane n°176
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Par Murielle Degraen et Sylvie La Spina,
animatrices chez Nature & Progrès
Le bien-être animal, valeur-phare de notre association, doit être assuré jusqu’au dernier souffle. Si abattre à domicile chez les éleveurs professionnels et amateurs peut réduire le stress, il est tout aussi crucial que l’acte de mise à mort soit pratiqué dans les règles de l’art. Or, la méconnaissance de cette science est à l’origine de nombreux quiproquos dans notre société. Il est temps de permettre à chacune et à chacun de reprendre le pouvoir sur ces questions par une meilleure connaissance de la mort animale et des pratiques qui l’entourent.
« Paysans occupés à tuer le cochon », Pieter Brueghel le Jeune (1564-1647)
Abattre un animal pour le manger est souvent perçu de manière opposée à toute notion de bien-être. « Laissez-les vivre », protestent les personnes sensibles à ces questions. Comme si la mort n’attendait pas au tournant les animaux, tout comme chacun d’entre-nous. « Laissez-les vivre plus longtemps », peut-on exiger. Car il est vrai qu’en des termes éthiques ou philosophiques, l’âge d’abattage de nombreux animaux de rente peut poser question. Mais, pour le bien-être animal, il faudrait plutôt dire : « permettons-leur de mourir sans stress et sans souffrance ». C’est le discours de nombreux éleveurs amateurs qui participent aux rencontres sur le projet d’interdiction de l’abattage privé initiées par Nature & Progrès depuis ce printemps[i].
[i] Plus d’informations et lien vers le compte-rendu complet de la conférence : https://www.natpro.be/campagnes/mieux-a-la-maison/
Abattre chez soi, une autre voie pour le bien-être animal
Manger de la viande implique la mise à mort d’un animal sensible, soit un être capable de ressentir des émotions et de la douleur. Si certains refusent cet acte en choisissant de bannir les produits carnés de leur assiette, la majorité des consommateurs délèguent cette étape délicate aux acteurs de la chaine alimentaire. Loin des yeux, loin du cœur : la mort animale est invisibilisée dans les abattoirs et les barquettes de viande, présentées de manière séduisante dans les étals.
Des éleveurs amateurs choisissent de prendre soin de leurs animaux jusqu’à leur dernier souffle en pratiquant à domicile, dans les conditions les moins stressantes pour les animaux, l’étape délicate de l’abattage. Un mieux pour le bien-être de l’animal qui ne doit pas être transporté, mis en contact avec des individus étrangers, être confronté aux bruits, lumières, odeurs et autres sources de stress rencontrés à l’extérieur. L’avantage d’une mise à mort « chez soi » est cependant conditionné par une pratique parfaite de l’abattage. Et justement, ces techniques, taboues, sont peu connues.
Actualiser les pratiques
Une transmission des gestes subsiste dans les campagnes. Dans un article nostalgique publié dans le journal agricole Le Sillon belge, Marc Assin (pseudonyme) évoque : « Le cochon, par exemple, reste dans sa loge, lève la tête pour qu’on lui gratte le cou… et se prend une boule de fonte sur le crâne. Clap de fin ! Le gros pépère n’a rien vu venir et s’effondre d’un seul coup.[i] » L’abattage par coup de masse était courant antan, mais est aujourd’hui interdit en raison des risques de « ratés » de la technique : pour peu que la puissance du coup et sa localisation ne soient pas optimales, l’étourdissement sera mal réalisé, ouvrant la porte à la souffrance animale.
Depuis lors, les progrès de la recherche scientifique ont permis de mieux comprendre la conscience et la mort animale, et le risque de souffrance lors de l’étape de l’abattage. Ces avancées ont permis de cibler les bonnes pratiques et de les traduire en textes législatifs, notamment dans le Règlement européen (CE) n°1099/2009[ii]. Une actualisation des pratiques d’abattage à la lumière des progrès de la recherche en médecine vétérinaire est donc indispensable, d’autant que les ressources fiables (guides, formations…) sont rares.
A la demande de Nature & Progrès, Marc Vandenheede, docteur en médecine vétérinaire de l’ULiège, est venu expliquer les bonnes pratiques d’abattage pour les particuliers. L’objectif est que chacun et chacune puisse prendre connaissance de l’importance de bien pratiquer l’étourdissement et la saignée. Si le bien-être animal est une valeur première de notre association qui vise un « mieux vivre » des animaux, il est indispensable d’aborder cette étape délicate et d’informer nos lecteurs. Que l’on soit « pratiquant » ou pas, ce savoir est indispensable à une meilleure compréhension des enjeux relatifs à l’abattage des animaux et à leur respect. Car, nous le verrons, une connaissance lacunaire aboutit à de nombreux quiproquos.
Le rôle de l’étourdissement
La mort d’un être vivant est décrétée lorsque l’électro-encéphalogramme est plat ou qu’il y a arrêt cardiaque prolongé. Lorsque l’animal est destiné à la consommation humaine, elle est provoquée par la saignée, un acte qui vise à sectionner des vaisseaux sanguins, ce qui provoque une hémorragie. Réalisée sur un animal conscient, cette manipulation est à la fois stressante et douloureuse, d’autant qu’il faut un certain temps pour que la mort survienne. C’est la raison pour laquelle l’étourdissement doit précéder la saignée : sans douleur, l’animal est amené à un état d’inconscience et d’insensibilité (similaire à ce que l’on vit lors d’une anesthésie générale sous l’effet de médicaments).
En provoquant une perte de conscience et de sensibilité, l’étourdissement évite à l’animal de souffrir, physiquement ou psychologiquement, durant l’étape de la mise à mort. La perte de conscience doit se poursuivre durant tout le processus jusqu’à la mort effective de l’animal. Il est donc important que l’étourdissement soit efficace et d’une durée suffisante, certaines techniques étant même irréversibles. Une liste des méthodes approuvées par espèce est donnée dans l’Annexe 1 du Règlement (CE) n°1099/2009. A domicile, pour les ongulés, il s’agit de méthodes mécaniques de percussion de la boite crânienne avec un matador (pistolet à tige perforante). Appliqué en un point précis du crâne variant selon l’espèce animale, et dans la bonne direction afin de toucher sa cible, le percuteur va endommager de manière irréversible le cerveau, ce qui provoquera inconscience et insensibilité. Tout écart dans la localisation ou dans l’orientation va réduire la qualité de l’étourdissement, avec un risque important de souffrance. C’est la raison pour laquelle la personne qui met à mort doit disposer de compétences avérées.
La qualité de l’étourdissement est systématiquement vérifiée, en abattoir, via différents signes : l’absence de réflexe cornéen (effleurer l’œil ne provoque pas de mouvement de paupière), l’apnée (absence de respiration), la perte de posture (l’animal tombe et n’essaie pas de se relever) et la présence d’un mouvement de pédalage ou de raideur des pattes qui indique que le cerveau est endommagé, laissant la moëlle épinière induire des « mouvements-réflexes ». Il faut donc être capable de vérifier ces signes et qu’ils se prolongent jusqu’à la mort effective de l’animal.
La qualité de la saignée
La saignée est réalisée le plus rapidement possible après l’étourdissement (après vérification de sa qualité). C’est l’hémorragie massive qui provoquera la mort de l’animal. Il est donc important de sectionner les vaisseaux sanguins nécessaires, c’est-à-dire les deux artères carotides et les deux veines jugulaires. Une saignée trop superficielle n’atteindra que les deux jugulaires, ce qui prolonge la durée nécessaire pour aboutir à la mort de l’animal. Ici aussi, le geste ne s’improvise pas. Chez un mouton, la mort arrive 15 secondes après la section de ces veines et artères, tandis qu’elle prendra 70 secondes si une seule artère carotide est sectionnée, voire 5 minutes si seules les jugulaires sont coupées. Les risques que l’animal reprenne conscience pendant ce temps sont alors plus élevés, ce qu’il faut éviter à tout prix. La mort de l’animal peut être constatée par l’absence de réflexe oculaire, de respiration, de mouvement spontané, de réaction à la douleur (pincer le museau) et l’arrêt du saignement.
Donner la possibilité de se former
Cette conférence sur les bonnes pratiques d’abattage à la lumière des connaissances scientifiques actuelles met en évidence la nécessité, pour les personnes qui mettent à mort des animaux pour consommation alimentaire, d’une formation approfondie sur les gestes et sur les indices qui permettent d’éviter la souffrance animale. Si cette formation est obligatoire pour le personnel des abattoirs, elle n’est actuellement pas accessible pour les particuliers qui réalisent l’abattage privé à des fins d’autoproduction alimentaire. L’échange de pratiques entre habitants des villages est le principal mode d’apprentissage, mais force est de constater que ces transmissions orales ne suivent pas les progrès de la recherche scientifique. Par exemple, nombreux sont celles et ceux qui ne savent pas qu’un étourdissement à la masse n’est plus autorisé.
Si Nature & Progrès plaide pour le maintien de la possibilité d’abattage à domicile pour les éleveurs amateurs, l’association demande la mise en place des formations nécessaires pour que les pratiques puissent être réalisées dans les règles de l’art et garantir l’absence de souffrance jusqu’au dernier souffle.
Etourdir n’est pas tuer
Lors de sa conférence, Marc Vandenheede fait remarquer que les abattages rituels, reposant sur une prescription religieuse stipulant que l’animal doit être saigné vivant, pourraient être réalisés sur des animaux étourdis, vu que l’on sait aujourd’hui que l’étourdissement n’implique pas la mort de l’animal. L’acceptation de ces nouvelles données scientifiques pourrait-elle résoudre les tensions autour de l’abattage rituel, une pratique culturelle largement controversées pour la souffrance qu’elle occasionne aux animaux sacrifiés ?
Soulignons également que la méconnaissance des pratiques d’abattage aboutit le plus souvent à de mauvaises interprétations. Les vidéos d’abattoirs filmées en cachette et diffusées par les associations de protection animale, accompagnées d’un « décodage » par le commentateur, sont le plus souvent mensongères. Méconnaissance ? Mauvaise intention ? Peu importe à partir du moment où la personne qui visionne ces vidéos peut elle-même les traduire, avec ses propres connaissances. Un mouvement de pédalage des pattes ne veut pas dire que l’animal a été mal étourdi et tente de s’enfuir. Il est le signe que l’étourdissement a bien été réalisé et que le cerveau n’a plus le contrôle sur le système nerveux. L’électronarcose n’est pas une méthode de mise à mort par électrocution, comme la chaise électrique le fut anciennement. Elle permet d’amener l’animal à un état d’inconscience et d’insensibilité.
Redevenir des citoyens avertis
Le sujet de l’abattage des animaux est tabou. Pourtant, il s’agit d’une pierre d’achoppement majeure en matière de bien-être animal. C’est le sujet le plus sensible, mais aussi le moins connu, d’une part parce que les citoyens évitent d’envisager la mort d’un animal, miroir de notre « finitude » humaine, d’autre part parce que l’information n’est pas facilement accessible. Elle est même cachée derrière l’opacité des abattoirs. Ne faudrait-il pas permettre à chacune et à chacun qui le souhaite de disposer des informations nécessaires pour mieux comprendre la mort animale, ses étapes et ses pratiques, et développer sa capacité d’analyse et son esprit critique par rapport à toutes les problématiques qui touchent à ce sujet ?
REFERENCES
Présentation de Marc Vandenheede à FestiValériane (septembre 2025)
Guides européens de bonnes pratiques (en anglais)
[i] Assin M. Aller simple pour l’enfer. Le Sillon Belge, 12/07/2025.
[ii] Règlement (CE) n°1099/2009 du conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.
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